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Présidentielle Française : Le vote des franco-marocains
Publié dans La Gazette du Maroc le 21 - 05 - 2007

Jamais les Français d'origine marocaine, ne se sont investis autant dans une campagne électorale hexagonale. Forte de la consolidation de ses pouvoirs effectuée en 2004, la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) interdit aux institutions publiques et privées, d'opérer quelque lecture ethnique, que ce soit des résultats de la présidentielle sur la base de l'origine ethnique. Mais des indications crédibles sont offertes ici et là quant à l'implication des Franco-Marocains dans l'élection présidentielle qui vient d'avoir lieu. L'arrivée de Nicolas Sarkozy à la magistrature suprême, semble avoir divisé les électeurs français d'origine marocaine. Enquête.
Jusqu'à la dernière minute, Mustapha N., président d'une association antiraciste du Val-de-Marne, a cru à l'élection de Ségolène Royal. « Depuis la naissance de la Vème République, jamais une majorité sortante n'a pu franchir le second tour, pour accéder à la présidence. Jamais. Ce qui vient de se passer fera le bonheur des amphis de Sciences Po », assure-t-il. Le constat est authentique, en effet. Mais les temps ont changé. Sarkozy atterrit à la tête d'une France démotivée, surendettée, terrassée par le fisc et avachie par la surlégifération. La classe moyenne, celle-là même qui crée la richesse, est sollicitée par toutes sortes de ponctions. Les «acquis sociaux» dévitalisent le pays, au point que seuls les RMIstes et les milliardaires se trouvent aujourd'hui à l'abri de la machine à financer les amortisseurs socioéconomiques. Remettre la France au travail devenait urgentissime. Sarko a su le dire à ses compatriotes et ils l'ont écouté. Mais 47% d'entre eux n'y croient point et n'attendent que la bonne opportunité pour le lui signifier. Le soir même du second tour, près de 400 véhicules ont été cassés ou brûlés ; des dizaines de boutiques et d'édifices furent saccagés.
Fissure générationnelle
Quartier des Tartelets à Evry, dans le département de l'Essonne. La Mosquée d'Evry se vide peu à peu de ses prieurs. Des groupes se constituent à l'extérieur de l'enceinte. La proportion de jeunes est flagrante. Ici, la peur colonise les esprits. Tout comme Julien Dray, député de l'Essonne, Serge Dassault, l'un des trois magnats de la presse, qui ont mis leurs titres au service de la campagne de Sarkozy, est un élu du coin. De plus, les évènements de 2005 sont encore présents dans les mémoires. Les propos de l'ancien locataire de la Place Beauvau, résonnent encore dans les esprits. Comment un fils d'immigré a-t-il pu prononcer des mots aussi durs à l'égard des jeunes des quartiers, qui ne réclamaient que justice, face aux dérives d'une Brigade anti-criminalité (BAC), qui a terrorisé des gamins, au point de les précipiter à l'intérieur d'un transformateur électrique hautement périlleux ? « Chirac a fait amende honorable après ses propos sur les «odeurs ». Même s'il est élu, Sarko devra payer ses c... Nous ne baisserons jamais les bras », assène Hakim, la vingtaine à peine traversée. Haj Hocine, un sexagénaire dûment flanqué de son chapelet rectifie : « Ne parle pas comme ça, mon fils. Allah proscrit la « fitna». Les jeunes Monfermeil n'avaient qu'à bien se tenir. Ils ont provoqué les forces de l'ordre. Puis ils ont détruit les biens d'autrui et les équipements publics. Sarkozy n'avait fait que son boulot », dit-il au milieu du brouhaha juvénile. En désespoir de cause, il se retira en répétant « lahawla… ». En réalité, la communauté franco-marocaine est profondément partagée, quant à l'appréciation de l'élection triomphale de Sarkozy. Les 16-25 ans sont atterrés par ce résultat. Les autres semblent partagés entre le pragmatisme, la satisfaction et le doute. « Je pense que Sarko sera plus utile au Maroc que Ségolène. Celle-ci ne connaît rien à notre pays d'origine. A part la plage de Hammamet en Tunisie, elle ne connaît rien au Maghreb. Sarko, lui, connaît les élites marocaines et a, à maintes reprises, fréquenté le Palais », proclame Hafid C. un élu communal du Val d'Oise. A Aulnay-sous-Bois, ville emblématique de la Seine-Saint-Denis, qui a vu naguère s'affronter Akka Ghazi, manipulé par la CGT et la droite qui tient dorénavant les rênes du pouvoir local, la déception est lisible sur les visages des jeunes.
Au premier tour, Sarkozy n'a recueilli ici que alors que Royal y a pêché 33,84%. Au second tour, cette dernière put récolter 54,51%, alors que Sarkozy n'eut droit qu'au pâle taux de 45,49%. Le taux de participation (82,13%) n'est pas loin du taux national. Les jeunes des quartiers se sont, en effet, rués vers les listes électorales pour barrer la route à l'ancien maire de la ville la plus riche de l'Île-de-France. On comprend donc la déception de ces jeunes Français d'origine maghrébine, qui voulaient rendre à l'ex-premier flic de France la monnaie de sa pièce.
Sarkozy
pro-marocain
Au quartier des 3000, situé au nord de la ville, non loin de l'usine Citroën où pères et grands-pères trimaient sans respect aucun de leur dignité, la mémoire tient mordicus à manifester ses rancœurs. «Mon père a tellement reçu de coups de pied au cul par les amis de Sarko dans le Département que je ne conçois même pas l'idée de voir la gueule de ce mec. Même s'il est, comme moi, fils d'immigré. C'est un traître», crie Jamal, 24 ans. Le propos est dur.
Mais la hargne transperce le regard pour attester d'une douleur héritée, longtemps entretenue. En vérité, la campagne présidentielle a engendré une alchimie de la peur qui était nécessaire à l'électorat lepéniste pour reporter ses voix sur le nouveau président. Cette peur est manifeste, y compris auprès de la seconde génération, aujourd'hui quadragénaire. Les dogmes de l' «identité» et de l'«immigration choisie», sans compter les allusions musclées telles que «aimer la France ou la quitter» font froid au dos de beaucoup de Franco-marocains. «On peut s'attendre à tout de la part de Sarkozy, même si nous sommes à peu près sûrs qu'il suivra Chirac sur le chemin de l'appui diplomatique et économique au Royaume», avance Jilali H. journaliste d'une radio communautaire. Ni la promesse d'un «ensemble méditerranéen», ni l'engagement d'un «soutien constant» à l'Afrique ne semblent avoir fait leur effet auprès de ces sceptiques.
Barbès-Rochechouart. La bouche de métro éjecte la foule vers les escaliers donnant sur le kiosque de Jean-Michel, un Franco-marocain originaire d'El Jadida. Parfaitement intégré, sinon assimilé, ce dernier peine à cacher sa satisfaction à voir Sarkozy accéder au sommet du pouvoir. «C'est bien pour remettre les pendules à l'heure en France. C'est une excellente nouvelle pour la Maroc. Mon analyse ne repose pas uniquement sur mon intime conviction. Elle résulte aussi de mes lectures quotidiennes de la presse tant française que marocaine», assure-t-il. Il est vrai que ce Français d'origine doukkalie met un soin particulier à exposer la presse maghrébine, parfois avec davantage de zèle que pour les publications hexagonales. Il tient à souligner le fait qu'il voyage au pays d'origine trois à quatre fois par an, tout en insistant sur son attachement viscéral à la France.
En vérité, même les Français d'origine marocaine qui ont été déçus par le résultat des urnes s'accordent à reconnaître l'utilité de Nicolas Sarkozy, pour le développement d'un Royaume qui s'est inscrit dans une marche modernitaire irréversible. Ils comptent sur le nouveau locataire de l'Elysée, pour soutenir les aspirations démocratiques et socioéconomiques de leur pays d'origine. Et cela suffit à apaiser la déception des «Royalistes». D'ailleurs, Chirac s'est envolé au Maroc dès la remise des clefs de l'Elysée à son successeur.
D'ailleurs, des centaines de milliers de Franco-marocains, ont bel et bien voté en faveur de Sarkozy et beaucoup d'entre eux sont fiers de leur geste. Après tout, leur (double) compatriote Rachida Dati, la talentueuse porte-parole du candidat Sarkozy, vient d'être faite garde des sceaux. Une cerise bien marocaine sur le gâteau républicain !


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