Le secrétaire général du Mouvement Populaire et ministre de l'Agriculture, Mohand Laenser répond à nos questions sans réserve et retrace l'expérience du gouvernement Jettou, tout en se projetant dans l'avenir. Avec une analyse et une stratégie claires, Mohand Laenser prépare son parti à entamer les prochaines élections en assurant une présence conséquente le 7 septembre prochain. Il revient également sur les alliances potentielles. La Gazette du Maroc : Depuis les élections de 2002, le pôle Haraki a connu plusieurs changements, notamment la fusion. Comment avez-vous vécu ces changements et votre participation gouvernementale ? Il faut rappeler que le MNP avait participé au gouvernement Youssoufi. Donc le pôle Haraki a collaboré au sein du gouvernement d'alternance. Mais il est vrai que la participation gouvernementale de notre famille politique a été initiée par l'avènement du gouvernement Jettou. En 2002, aucun parti n'a pu construire une majorité pour prétendre à la Primature. Il fallait, donc, un Premier ministre non partisan qui peut avoir la confiance des partis. Driss Jettou a su convaincre l'actuelle majorité. Sur le plan des résultats, le gouvernement a fait du bon travail. Cela est dû au fait que Driss Jettou est un Premier ministre de gestion. Avant lui, Abderrahmane Youssoufi avait une mission politique. Que répondez-vous aux critiques qui accusent l'équipe Jettou d'être hétéroclite? Si on doit la comparer avec le gouvernement d'alternance, il faut reconnaître que ce dernier était, également, hétéroclite. Le gouvernement Jettou est beaucoup plus un gouvernement d'action. Maintenant, il faut avouer qu'au sein d'un gouvernement d'une large coalition, on perd en rapidité d'action et de décision. Mais malgré cela, le gouvernement Jettou a tenu plus de cinq ans et ses résultats sont plus que satisfaisants. Est-ce que l'actuel Premier ministre a su dépasser les clivages et les crises qu'a connus le gouvernement ? C'est vrai qu'il y a des clivages entre les grandes composantes du gouvernement. Mais Dieu merci, nous avons toujours pu trouver un compromis. Cela est dû essentiellement à la maturité des dirigeants des partis et au rôle du Premier ministre. Chaque formation politique gouvernementale exprime son mécontentement et réagit quand il le faut. Si on doit parler de chiffres. Pensez-vous que le bilan du gouvernement Jettou soit positif ? Tout est relatif. Si on doit le comparer aux gouvernements précédents, il est certain que le bilan de l'équipe Jettou est positif. Maintenant, si on doit le comparer aux attentes des Marocains, on trouvera des lacunes qu'il faudra rattraper. Je parle, ici, particulièrement du chômage, du décollage économique… Je pense que les fruits du travail du gouvernement Jettou seront palpables dans quelques années. Plusieurs intervenants politiques ont souhaité clairement le maintien de ce gouvernement. Quelle est votre position au sein du Mouvement Populaire ? Effectivement, la ligne de conduite du gouvernement Jettou doit être maintenue au minimum pour les cinq prochaines années. Le but est de maintenir la cadence des investissements et de la croissance. Reste à savoir, si forcément les mêmes hommes et les mêmes partis seront là en 2007. Cela dépendra de la carte politique. Peut-on dire que l'élection de Mustapha Oukacha à la présidence de la deuxième chambre, en septembre dernier, soit un signe que le MP, l'USFP, l'Istiqlal et le RNI forment le socle du prochain gouvernement? Non, l'élection de M. Oukacha est tout simplement le signe que le Maroc n'a toujours pas passé sa phase transitoire. Nous avons demandé à notre candidat de se retirer de la course à la présidence de la deuxième chambre parce que nous savions que nous n'aurions pas suffisamment de voix pour gagner. Pourtant nous sommes la première force politique au sein des deux chambres. Au lieu d'aller à l'éclatement de la majorité, nous avons choisi de temporiser et de soutenir le candidat du RNI. Pour vous le meilleur candidat aurait été M. Fadili ? Absolument. La logique voudrait qu'au sein d'une coalition normale, le parti qui arrive en tête soit soutenu par les autres formations. Or, l'avènement même du gouvernement Jettou est basé sur le compromis. Pensez-vous que les grandes formations politiques du pays peuvent former une coalition gouvernementale ? Je crois que oui. Rappelez-vous la période post-électorale en 2002. il y avait deux pôles, l'un regroupait l'USFP, RNI et le PPS et l'autre autour de l'Istiqlal et du Mouvement Populaire. Le plus important est que la coalition ne soit pas imposée de l'extérieur, mais qu'elle voit le jour autour d'une formation politique. Si on respecte cette règle, je pense qu'on aura une formation gouvernementale unie autour d'une même plate-forme et au sujet de la distribution des portefeuilles. Le Souverain s'est engagé à choisir un Premier ministre partisan en 2007. Pensez-vous que ce rendez-vous soit un tournant majeur pour le Maroc ? Evidemment que nous avons les ressources pour atteindre cet objectif. Cela dit, le parti qui arrivera en tête ne sera pas forcément celui qui mènera le gouvernement. S'il n'arrive pas à avoir une majorité, le second peut s'en charger. La Constitution est claire à ce sujet. Le plus important est qu'on s'inscrive dans un processus démocratique. Le Mouvement Populaire a défendu le mode de scrutin uninominal. Pourtant, le gouvernement a retenu celui par liste au plus fort reste à un seul tour. Comment jugez-vous cette approche ? Pensez-vous que l'Etat a pris des garanties pour éviter la prédominance d'un parti ? Je crois qu'il y avait beaucoup d'arguments subjectifs qui ont mené au choix du mode de scrutin par liste. Certains partis de la majorité ont demandé une autre législature pour vraiment évaluer ce mode. Mais il est vrai, aussi, qu'il y avait quelques calculs politiques puisque certains partis croient que le mode de scrutin par liste est très favorable à leurs formations. Au MP, nous sommes convaincus que le mode de scrutin par liste au plus fort reste à un seul tour continuera à donner une carte politique éparpillée et favorisera la balkanisation. Pourquoi alors le MP a accepté le choix de la majorité ? Nous sommes membre de cette majorité. Nous avions deux choix. Accepter l'approche du gouvernement ou le quitter. Finalement, le mode de scrutin choisi est beaucoup plus proche de l'uninominal que de la liste. Concernant les listes électorales, je crois que nous pouvons travailler avec celles déjà établies. Quand la carte bio-métrique entrera en vigueur, je pense que l'utilisation de la carte nationale sera possible. Concernant le découpage électoral, je pense que quelques réajustements seront nécessaires. Plusieurs conseillers de votre parti ont été mis en cause lors des élections du tiers de la deuxième chambre. Quel est votre sentiment ? Sur le principe, le Mouvement Populaire est contre toute fraude électorale. Il est vrai que nous n'avons pas toutes les garanties pour dire que tous nos candidats sont exemplaires. Evidemment que la justice doit faire son travail. En même temps nous sommes contre toute manipulation du système juridique. Maintenant, les citoyens ont des doutes. Dans quel sens ? Quand un parti qui n'a pas plus de 1600 conseillers communaux arrive à élire 11 conseillers à la deuxième chambre, les citoyens ont le droit de se poser des questions. Quand certains des candidats des autres partis qui ont eu le même score, lors de l'élection du 8 septembre dernier, sont mis en cause et jugés, alors que le seul candidat de ce parti mis en cause et blanchi par la justice, un grand point d'interrogation s'impose. En plus, les candidats des autres partis ont été jugés sur la base d'écoutes téléphoniques dont on peut dire beaucoup de choses. En constatant tout cela, les citoyens se posent des questions. On demande que le doute soit levé. Que proposez-vous ? Je dois dire, tout d'abord, qu'un journal proche de l'USFP avait écrit que le ministère de la justice allait se pencher sur des rapports établis par le ministère de l'Intérieur concernant les élections de 2002. C'est du chantage de bas niveau. Nous sommes devant un problème politique. Pour le dépasser, je propose de faire une enquête sur les élections du 8 septembre. Elle peut être menée par une commission parlementaire. Mais on ne peut pas admettre ce qui s'est passé. Le Mouvement Harki a, finalement, tenu son congrès constitutif. Le déroulement de ce congrès a été critiqué par vos propres militants. Certains ont même quitté le navire. La fusion entre l'UD, MP et MNP a été entamée en 2003. Nous avons pris notre temps avant de faire notre congrès. Le but est d'être sûr que les bases allaient adhérer à notre vision. Mais, il est évident que cette aspiration a rencontré des difficultés à tous les niveaux. Dans toute fusion, les personnes qui ont des positions veulent les garder. Pourquoi n'avez-vous pas choisi le vote des militants ? Lors du congrès, on n'a pas voté pour les instances du parti. Il a choisi le Conseil National qui, lui, a élu le comité central. Les 300 personnes de ce comité ont choisi le bureau politique. Nous avons opté pour le vote par liste. Ce choix a été retenu pour permettre aux trois composantes d'être présentes au sein des instances. Nous sommes dans une phase transitoire et il fallait dépasser les frictions que nous avions. Lors du prochain congrès, nous allons passer à la prochaine étape et je pense remettre tous nos choix au vote des militants. Pourtant, plusieurs députés ont quitté votre mouvement lors de ce congrès ? Si vous parlez du cas de Bouaâza Ikken, je dois vous dire que la fusion c'est faite avec l'Union Démocratique (UD). Pour des raisons internes, les leaders de l'UD ont choisi d'écarter Ikken. Maintenant nous sommes prêts à accueillir d'autres composantes. Voulez-parlez du MDS et d'Al Ahd ? Effectivement. Nous sommes en train de discuter avec ces deux partis. Le cas de M. Archane est-il délicat ? Ce n'est pas à nous de juger M. Aârchane. Et d'ailleurs nous traitons avec un parti. Nous sommes en train d'étudier toutes les formules, dans le cadre de la loi sur les partis, pour trouver un rapprochement. Vous avez présenté un programme lors du congrès d'union. Qu'en est-t-il exactement? Il est vrai que la loi sur les partis impose à chaque formation d'avoir un programme. Maintenant, un parti qui vient d'être constitué met en avant uniquement des principes. Les programmes changent en fonction de chaque situation. Par contre, nous allons communiquer aux électeurs les priorités que nous allons appliquer une fois au gouvernement. Il s'agit de maintenir la croissance pour valoriser l'emploi. Le plus important est la réforme de l'agriculture, la mise à niveau des petites et moyennes entreprises, la clarification entre la religion et la politique et le problème de l'enseignement. Comment allez-vous faire pour le choix de vos candidats ? Nous allons utiliser tous les systèmes qui sont prévus par la loi et les statuts. Il y a une commission qui travaillera avec les régions. Quelles sont les formations avec lesquelles pensez-vous pouvoir faire des alliances ? C'est une question très importante. Je ne veux pas parler ni de la gauche ni de la droite. Nous sommes un parti de centre droit et nous siégeons au gouvernement avec des partis de gauche. Il est évident que nous nous sentirons mieux au sein d'un gouvernement libéral, je pense à des partis comme le RNI et l'Istiqlal. Mais réellement, personne ne peut me donner la différence, aujourd'hui, entre l'USFP et l'Istiqlal. Et le PJD ? L'instrumentalisation de la religion en politique est le mal à combattre. Le PJD tel qu'il se présente aujourd'hui, moyennant quelques rectifications, est un parti qui peut, évidemment, se retrouver au sein d'un gouvernement. Mais il doit absolument clarifier certains points. Le danger est de faire un système d'exclusion. En 2012, ils seront beaucoup plus présents. Si on doit faire une majorité, aujourd'hui, j'irais vers des partis beaucoup plus proches que nous et ensuite vers l'actuelle majorité. Cela dépendra, aussi, du choix des instances du parti. Il ne faut pas oublier qu'il y a des partis au sein de l'opposition qui font partie de la famille libérale. Je parle de l'UC et du PND. Et le Wifaq ? Il est gelé uniquement par déontologie. Je crois que les partis qui posent ce groupement peuvent collaborer dans l'avenir. Mais, comme je l'ai dit, il faut attendre les résultats des prochaines élections pour statuer. Etes-vous pour une réforme constitutionnelle ? Pas vraiment. Il faut d'abord appliquer la Constitution de 1996. Les prérogatives du Premier ministre sont très larges. Par contre, pour appliquer les résolutions du CORCAS, je crois qu'une réforme est nécessaire pour l'application d'une autonomie plus large pour le Sahara. Que pensez-vous pour cette autonomie ? Cette autonomie nous permettra de sortir de l'impasse. Il y a un consensus national concernant l'affaire du Sahara. L'autonomie est une solution, mais la marocanité de nos provinces du sud ne doit jamais être remise en cause.