Les Algériens ne se font pas trop d'illusions quant aux résultats du procès d'El Khalifa Bank. Ils sont, d'emblée, certains que les noms de grandes personnalités impliquées dans cette affaire, n'apparaîtront jamais dans les débats du tribunal de Blida. Le pouvoir cherchera, le cas échéant, des boucs émissaires alors que le principal accusé, Rafic Abdel Moumen Khalifa, garde son silence énigmatique. "Il ne suffit pas de citer les noms des frères Keramane et quelques ministres qui n'avaient aucun poids à l'époque pour que la mise en scène de Blida soit crédible aux yeux des Algériens», souligne un ancien premier ministre de l'ère Bouteflika. À chaque fois que la juge Fatiha Brahimi appelait un témoin à la barre, prononçait le nom d'une personnalité présumée avoir bénéficié des largesses de l'homme d'affaires, «Moumen Khalifa», les présents dans la salle se regardaient en souriant. «La tâche de Madame la Juge ne sera pas une promenade de santé», commentait l'ancien chef du gouvernement des réformateurs, Mouloud Hamrouche. Car, d'après les observateurs les plus avisés, il ne s'agit pas d'une faillite classique d'une banque privée. Mais plutôt, d'un scandale financier où des décideurs au sommet auraient joué des rôles déterminants. À Alger, tout le monde s'accorde à dire que l'affaire est beaucoup plus compliquée que l'on essaye de le faire croire. De ce fait, les pièces du puzzle ne seront jamais recollées. «C'est comme l'histoire de l'assassinat de feu Président Mohamed Boudiaf. On ne connaîtra guère la vérité ni les véritables responsables ou commanditaires», disait un proche de l'ancien ministre des Affaires étrangères, Ahmed Taleb Ibrahimi. Si la juge est connue pour sa compétence, son intégrité, le climat de suspicion demeure néanmoins de mise. On parle déjà d'interférences politiques voire des menaces venant «d'en-haut» auxquelles la magistrate ne pourra pas, en fin de compte, faire face. Déjà, environ une cinquantaine d'avocats ont menacé, à la suite du rejet en bloc par la Cour Suprême des pourvois en cassation, de boycotter l'audience qualifiée de «séance d'exorcisme» à la charge des accusés. Les observateurs remarquent que l'Etat algérien a mis le paquet pour donner à ce procès une importance exceptionnelle.Les médias proches du pouvoir ont, au troisième jour déjà, commencé à faire les éloges du tribunal de Blida qui cherche la transparence. Tout ce qui a été dit à la barre que ce soit par les accusés acquittés tel que Djamel Guilmi, l'homme de main de Moumen Khalifa, ou par des témoins passagers, n'a pas convaincu l'assistance.Car tout ce qui avait était dit sur les cadeaux offerts par ce dernier au monde du Show Biz français, le sponsoring des clubs de foot ou les billets gratuits, est déjà connu par les Algériens. Donc, rien de nouveau sur ce plan. En effet, ceux-ci s'attendaient à voir défiler devant le tribunal de grandes «pointures», de hauts responsables aussi bien politiques que militaires. C'est à dire, ceux qui couvraient ce petit pharmacien qui a pu avoir accès auprès des établissements financiers à des sommes lui permettant de créer une banque privée… et où ?...en Algérie ! Ceux qui connaissent le pays, ses rouages et les équilibres existants entre les ailes du pouvoir, affirment qu'il était impossible à n'importe quel homme d'affaires, quel que soit son poids financier et professionnel, d'avoir une licence de banque privée qui financera le reste, Khalifa Airways, Khalifa TV et les autres activités. On se demande comment ce novice du monde des affaires a pu devenir, du jour au lendemain, l'incontournable dans une Algérie où tout se joue très serré au point de laisser sa peau parfois. Moumen Khalifa qui a arrosé une grande partie de l'establishment algérien, exécutait les ordres qui lui etaient donnés par cet «en-haut». À l'époque, on cherchait à blanchir le «Trésor du FLN», disait au moment de la montée en flèche du phénomène Khalifa, un ami du père de l'homme d'affaires qui était proche du fameux leader, Mohamed Boussouf. Ce dernier jouait le rôle de garde-fou de ce trésor. La vérité est ailleurs Face à ce brouhaha qui accompagne ce procès de Blida, l'homme le plus concerné demeure serein dans sa résidence londonienne. À tous les journalistes qui l'avaient approché directement ou indirectement, La Gazette du Maroc en faisait partie, Moumen Khalifa gardait le silence ou répondait par deux mots : «wait and see». Les proches de sa tante, et directrice de Khalifa Airways, Djaouida Djazourli, laissent entendre que l'homme d'affaires ne paraîtra devant aucun tribunal algérien quelles que soient les pressions. Si les autorités algériennes dépassent les lignes rouges, les listes des véritables impliqués dans le scandale financier seront balancées aux médias internationaux. Les concernés le savent parfaitement et c'est pour cette raison qu'ils se contentent de jouer sur la périphérie en cherchant des boucs émissaires du genre des frères Keramane. Simplement parce que l'un deux, était à l'époque le gouverneur de la Banque centrale. Pour l'instant, il semble que Rafic Abdel Moumen Khalifa n'est pas du tout inquiété. De ce fait, il n'est pas pressé de sortir de son mutisme, préférant conserver son silence énigmatique perturbant. Dans ce contexte, on apprend d'une source londonienne que plusieurs personnalités algériennes avaient passé, depuis l'annonce du procès de Blida, des messages à l'homme d'affaires algérien selon lesquels ils lui confirmaient leur sympathie et leur soutien matériel et moral. Au quatrième jour du procès, les observateurs ressentent un fléchissement de l'ampleur de la mise en scène juridique. Les autorités algériennes chargées de ce dossier ne montent plus sur leurs grands chevaux comme cela avait été le cas le jour de l'ouverture du procès. On se contente de parler des témoignages qui ont «permis de lever un petit coin du voile épais derrière lequel se jouait la tragicomédie de ce scandale financier». Et on s'interroge déjà sur le suivi qui pourra perdurer des années si les magistrats se limitent aux témoignages des petits et appellent, en vain, à la barre ceux qui sont visés pour devenir des boucs émissaires. Du côté de la présidence de la République, on affirme que la justice algérienne est libre de trancher. Et que le chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika, a mis en garde contre toutes interférences politiques afin que la vérité éclate au grand jour. «Belles paroles», ironise un contestataire de ce dernier qui souligne que la naissance de l'empire Khalifa, sa percée spectaculaire au niveau de tous les secteurs et enfin sa chute catastrophique ébranlant l'économie et la réputation du pays, se sont effectuées avec l'arrivée de Bouteflika au Palais d'El-Mouradia. En d'autres termes, il est le pur produit de son système et non celui de ses prédécesseurs. En effet, le monde des affaires, aussi bien en Algérie qu'à l'étranger, n'a pas entendu parler de Moumen Khalifa qu'avec l'ouverture économique décidée par Bouteflika et son équipe de libéraux. «L'homme d'affaires n'aurait pu créer une boutique de prêt-à-porter dans le quartier chic de Hydra dans la capitale, Alger, s'il n'avait l'aval de toutes les composantes du pouvoir», souligne en rigolant un banquier concurrent, tombé lui aussi en disgrâce. Et de poursuivre : «Comment donc aurait-il pu décrocher une licence de banque et acquérir, même en leasing, une flotte aérienne qui a mis la compagnie nationale, Air Algérie, sur la touche ?». Khalifa show ne fait que commencer. Mais ce qui est certain, il n'aura pas une fin heureuse comme tente de le faire croire le pouvoir. Dans la foulée, on remarque que ni le gouvernement Belkhadem ni la population ne se sentent concernés par ce scandale financier qui a secoué le pays et entaché son image. Pour la simple raison, qu'ils sont convaincus que les véritables responsables resteront loin du tribunal.