Entre roman et biographie imaginaire, «Danseur» passionne par son sujet et par ses ressorts chers à tout best-seller américains : exil, sexe, provocation, malheur, pathos. La force du roman de Mccann réside dans son style narratif : raconter l'histoire de Noureev, par l'intermédiaire (imaginaire et romancé) de divers acteurs de sa vie : sa sœur, Serguei et Anna (qui le forma à Oufa et lui fit découvrir la danse et la musique), leur fille qui l'hébergea à Leningrad, ses amis, sa complice de scène et de coulisses la grande Margot Fonteyn, ses amants, sa gouvernante ou des anonymes fascinés par le talent du jeune garçon de l'époque… avec en filigrane une partie de l'histoire contemporaine soviétique dont certains aspects de la guerre froide semblent parfois un peu caricaturaux mais restent essentiels pour bien comprendre le contexte dans lequel évolua Noureev... et son exil ! Car l'étoile eut une vie à la hauteur de sa rage : pleine, violente, passionnée, exigeante, égoïste. Entre vampire génial, qui pouvait tout sacrifier pour son art et ami dévoué, généreux et fou. Il y a de la fascination et de l'agacement devant cet homme hors norme qui eut la force d'assumer, envers et contre tout, son destin à force de travail, d'acharnement. Car, y compris ses détracteurs, tous furent subjugués par cette énergie, cette incandescence que dégageait Noureev qui ne vivait que pour la danse. L'image sulfureuse de l'amant «cherchant du sexe» à tout prix, à tout moment, plein d'excès et de dédain, contribue à transformer en mythe cet animal de grâce, de chair. Il mourut du sida en 1993. Mais on aime à rêver devant le désir d'absolu de ce jeune Tatar de Oufa devenu un mythe, qui, tout petit, se cachait pour danser. Rudolf Noureev, ce tatar aux pieds nus baptisé le Rimbaud des steppes fit une carrière internationale éblouissante au prix d'un exil destructeur. Danseur, conte mêlant habilement la réalité à la fiction, retrace sa vie sous un angle original. Colum Mccann ne se limite pas à une banale biographie. Il éclaire au contraire avec force la solitude et les drames qui accompagnent le génie et sa renommée. En plus des thèmes habituellement évoqués par cet écrivain de l'exil et de la solitude, l'auteur revisite la passion, la confiance extraordinaire que certains nomment l'arrogance, le génie, la richesse, les appétits incontrôlables, le déclin tragique et son cortège de déchirures. Une très belle histoire d'amour et d'art où se côtoie la jet-set de l'époque : Margot Fonteyn, Truman Capote, Samuel Beckett, Andy Warhol, Jimmy Hendrix, John et Yoko, Tennessee Williams, Mick Jagger, pour ne citer qu'eux. L'œuvre de Colum McCann s'enrichit et prend une toute autre dimension dans cette vie d'après-guerre de purge stalinienne, traversant avec brio les trois continents (Léningrad, Paris, Rome, New York) de la dernière moitié du XXe siècle !