Les Français qui avaient assisté, jeudi dernier, aux surenchères intervenues à l'Assemblée nationale lors du vote du texte liant, contrairement aux décisions prises par l'Union européenne, l'adhésion de la Turquie à la reconnaissance du génocide du peuple arménien, se sont laissés malheureusement entraînés dans des diatribes de tout genre. De leur côté, des députés sont rentrés en compétition pour prouver, d'une part, leur soutien au peuple arménien qui, selon certains d'entre eux, est Chrétien, face aux «barbares turcs» qui sont des musulmans, tentant d' «envahir» l'Europe ; et, de l'autre, lui promettre de s'opposer, dans l'avenir, à l'adhésion d'Ankara à cette entité. Ce, même si la Turquie accepte toutes les conditions imposées, allant du respect des droits de l'Homme à l'ouverture de son marché aux Chypriotes grecs. Comme ils sont petits ces députés qui se réveillent soudainement aujourd'hui pour se rappeler du génocide et de la nécessité de punir la Turquie a posteriori. Ces derniers oublient certainement que cette même Turquie avait pendant des décennies défendu les frontières de leur pays au sein de l'OTAN contre les menaces provenant à l'époque de l'ex-URSS. Ces députés sont en train de mentir aussi bien au peuple arménien qu'aux Français en s'abstenant de dire la vérité voire les véritables raisons qui les avaient poussés du jour au lendemain, à montrer leur amour exceptionnel aux Arméniens, à leur cause et au devoir de mémoire. Ce, après un silence de mort pendant de longues années. Ce mélange d'opportunisme et d'affairisme politique de ces députés qui n'ont pas le courage de dire à leurs co-citoyens que ce sont les quelques 400.000 voix arméniennes qui les intéressent le plus ; et non les souffrances et les malheurs de ce peuple meurtri qui avait tout enduré aussi bien des Turcs que des Bolcheviks et de l'oubli du monde libre depuis 1980. La récente visite du président Chirac dans la capitale de l'Arménie a été l'accélérateur du vote de ce nouveau texte à l'Assemblée nationale. Sur la reconnaissance du génocide de la part d'Ankara, le Chef de l'Etat français a parfaitement raison. Mais en soulignant que les grands Etats «grandissent plus en reconnaissant leurs erreurs et optent pour les réparer», M. Chirac est en contradiction avec lui-même. Car son grand pays, la France, doit aussi reconnaître les méfaits de son colonialisme au Maghreb. Le vote de ce texte a, malheureusement, ravivé la haine chez une catégorie de la population française et de certains médias qui n'ont pas hésité à faire, exprès, l'amalgame entre l'Islam, les musulmans, les Turcs barbares et le tollé injustifié contre le pape Benoît XVI. Ces «Visionnaires» députés qui ne voient ce génocide arménien qu'à travers le vote aux prochaines élections présidentielles de 2007, ont montré de par leurs interventions et déclarations irresponsables qu'ils ne connaissent rien de l'histoire, moins encore de la géographie. D'où l'amalgame qui a résulté de leurs surenchères. «Jamais la France n'avait connu un tel nombre de députés aussi a-politiques», rétorquait un ambassadeur français à la retraite que j'ai rencontré par hasard, jeudi soir à la salle d'attente à l'aéroport d'Orly. Ce diplomate chevronné qui avait roulé sa bosse au Proche-Orient, travaillant au Caire, à Téhéran, à Bagdad et à Ankara, considère que la position prise par Chirac a été hâtive d'autant qu'elle ne récupérera pas la majorité du vote arménien. Ce, sans parler de la polémique qui a commencé à surgir au sein de l'U.E. En semant l'amalgame entre un génocide perpétré par un pouvoir sanguinaire turc de l'époque et l'Islam et les musulmans qui veulent envahir l'Europe, ces députés ont vraiment montré qu'ils ne connaissent rien de l'histoire ni de l'Islam. Ces derniers ne savent sûrement pas que les peuples arabes, musulmans en majorité, colonisés par les Ottomans, ont eux aussi été persécutés, tués par les soldats de la «Haute porte», leurs leaders pendus sur les places publiques. Ces députés ne sont jamais au courant –car, probablement ils ne lisent pas, ne se documentent pas, avant d'effectuer leurs dérapages et surenchères- que les familles arabes musulmanes du Proche-Orient avaient accueilli chez elles ces Arméniens fuyant la Turquie. Et qu'ils sont devenus après la chute de l'empire Ottoman des citoyens à part entière. Des députés, même des ministres siègent, à l'heure actuelle, aux Parlements et aux gouvernements libanais et syriens. Ils ont même leurs propres partis politiques, le Tachnak (droite), le Hanchak (gauche). Ce qui n'avait jamais existé en Europe ni en France. Nous sommes contre le génocide arménien. Nous avons toujours demandé à travers les écrits, les pétitions, à ce que le gouvernement turc reconnaisse cette erreur qui a trop perduré et d'agir le plus vite possible pour réparer ce préjudice humain qui entâche l'image d'un grand pays comme la Turquie qui s'apprête à adhérer à l'U.E. Néanmoins, nous demandons à ces démocrates français, qui ne cessent de nous donner des leçons en matière de démocratie, de civilisation, des valeurs républicaines, des droits de l'Homme et des femmes en nous rappelant les bienfaits de leur colonialisme, de voter un texte concernant le génocide palestinien et, par là, condamner l'Etat d'Israël, demeurant le seul au XXIème siècle à occuper un autre peuple, spolier ses territoires, tuer ses enfants chaque jour. Auront-ils le courage de le faire ? J'en doute, au moins pour l'instant.