Le renouvellement du tiers de la deuxième chambre est devenu une " affaire " dont la justice s'est saisie, le démantèlement d'un réseau de drogue a révélé les complicités de hauts responsables et des mesures drastiques sont prises pour plus de maîtrise des rouages sécuritaires : autant d'éléments d'une rentrée fiévreuse qui pointe des périls auxquels le devenir démocratique reste confronté. Trois séries d'évènements ne cessent de défrayer la chronique de ce début d'automne plutôt chaud. Chacune suscite des interrogations quant au devenir démocratique du pays en laissant entrevoir les périls possibles et en donnant la mesure des impératifs politiques à assumer. En premier lieu, l'opération électorale de renouvellement du tiers de la deuxième chambre du parlement est devenue une " affaire ". A la suite de multiples témoignages et soupçons quant à une pratique exacerbée d'achat des voix des " grands électeurs ", les juges d'instruction auprès de diverses cours d'appel vont mettre en examen une dizaine au moins de nouveaux conseillers ayant fait l'objet de plaintes de leurs concurrents ou d'enquêtes des autorités. Parmi ces suspecte, 3 relèvent du parti de l'Istiqlal, 2 du Mouvement populaire et autant du RNI et du PPS et 1 de l'USFP . Un candidat du FFD qui n'a pas été élu fait aussi partie de cette fournée. Déjà un conseiller du MP avait été arrêté avant le 8 septembre, jour du scrutin, et déféré devant le juge après avoir été trouvé en pleine tractation dans un moulin avec une dizaine d'électeurs de la région Tadla-Azilal. En attendant les verdicts éventuels liés à cette affaire peu rassurante, le débat sur une réforme constitutionnelle de la deuxième chambre ainsi qu'une révision des procédures électives a repris de plus belle. Il s'agirait de réduire les prérogatives de cette chambre à celles d'un sénat représentant les régions et les collectivités locales et ne faisant plus double emploi avec la première chambre. Cela suffirait-il à assainir les mœurs politiques des instances élues, compte tenu de l'ampleur du clientélisme et des enjeux d'influence ou tout au moins de visibilité ou d'auto-protection de certains notables ? Mœurs politiques L'affaire de la deuxième chambre ne doit pas servir seulement à nourrir les discours moralisateurs sur la corruption de la classe politique, voire selon certains de tout le système. On sait que ceux qui sont les plus prompts à faire de la surenchère sur ce thème sont loin de porter l'idéal démocratique dans leur cœur. Le moment est cependant plus propice que jamais à un examen critique lucide de la nature de cette tendance à la corruption électorale. D'autres pays en transition démocratique connaissent aussi ce phénomène, lequel est peut-être lié aussi bien à la faible intégration de la culture démocratique dans la société qu'à l'excessive dépendance vis-à-vis des forces d'argent. Il n'est en tout cas pas négligeable que cette affaire ait éclaté et qu'elle ait des suites judiciaires. C'est le débat public et l'application des lois qui pourront, à la longue favoriser l'évolution de ces mœurs, surtout qu'elles ne datent pas d'aujourd'hui. Il est essentiel que la leçon vaille pour les prochaines élections de 2007 où la menace de " l'argent sale " se profile encore. La deuxième série d'évènements est liée à la chute d'un nouveau baron de la drogue en la personne de Bine al Ouidane. Les révélations de ce dernier ont abouti à la mise en cause de tout un réseau de protecteurs et de complices, dont notamment l'ex-directeur de la sécurité des palais royaux , Abdelaziz Izzou et 16 autres responsables des services de la gendarmerie, de la DST et de la police, tous incarcérés. L'enquête sur Bine al Ouidane met en cause une douzaine d'autres personnes et pourrait même dévoiler d'autres barons du hachich. Dans un domaine qui avait longtemps grevé l'image du Maroc et où le blanchiment d'argent a dévoyé une partie de son économie, les limites rouges ont-elles été franchies ? L'implication de hauts responsables des services de sécurité a montré que les réseaux de la drogue sont devenus une menace sérieuse avec laquelle l'Etat est obligé de couper dans le vif. Le risque de gangrène et de perte de la maîtrise des rouages sensibles de l'appareil sécuritaire explique la sévérité et le caractère voulu exemplaire de l'inculpation. On peut y voir la volonté de contenir avec plus de fermeté les réseaux de drogue avant qu'ils n'atteignent à un degré dangereux d'influence par le biais de l'argent calamiteux. Les indications sur de possibles financements de groupes sinon de mouvements islamistes par des trafiquants de drogue nourrissent aussi ces appréhensions. Comme on l'a vu ailleurs, en Algérie et en Afghanistan, de telles accointances sont courantes entre intégristes et réseaux de drogue et de contrebande. La volonté d'une réorientation de l'économie de la région du Nord grâce aux grands projets d'infrastructures et aux investissements dans plusieurs domaines permet aujourd'hui d'affronter plus ouvertement le problème endémique de la culture et des trafics du kif . Maîtrise des rouages Le troisième moment marquant de cette rentrée est celui de la décision d'écarter de la direction de la DGSN le général Laanigri et son remplacement par un cadre du ministère de l'intérieur. Malgré l'ascendant que le général avait pris sous le nouveau règne et le rôle qu'il avait joué dans la lutte contre le terrorisme, il a subi le contrecoup de l'arrestation de A. Izzou et d'autres membres des services de sécurité. Ceci est venu s'ajouter à la découverte du groupe jihadiste " Ansar al Mahdi " qui comptait parmi ses membres quelques militaires et des policiers. Cette conjonction de faits a été perçue comme autant de failles à un moment où le contexte et l'évolution politique du système exigent au contraire plus de maîtrise des rouages de l'Etat. Il y va aussi d'une sorte de démystification des instances en charge de l'autorité. Il n'est plus tabou de remettre en question des responsables si hauts gradés soient-ils, le principe étant que tout un chacun doit désormais davantage être comptable de ses responsabilités. Ainsi, qu'il s'agisse de l'assainissement des opérations électorales par le recours à la justice ou du sursaut face au péril représenté par les réseaux de trafic de drogue ou encore de la nécessité d'une plus grande maîtrise des rouages de l'appareil sécuritaire, la question du devenir démocratique du pays ressort sans cesse. A mesure que ce processus s'affirmera, ces problèmes seront plus nettement mis en évidence ainsi que la possibilité de les résoudre.