Longtemps oubliée, Oujda vit encore avec les séquelles de cette méprise politique qui voulait que l'Oriental axe son développement sur sa position de ville frontière. Aujourd'hui la région prend son destin à bras le corps. Oujda entame sa requalification urbaine, alors que le reste de la région s'est doté des infrastructures nécessaires pour développer son industrie, construire la Costa del sol marocaine et devenir la plus grande zone agricole. Reportage Lundi 11 juillet 2006, il est pratiquement 14h quand l'avion de la Régional Airlines atterrit sur le tarmac de l'aéroport d'Oujda-Angad. Il y a un retard de deux heures. Mais l'hôtesse a une excuse toute trouvée. "Les retards sont la règle pour les vols internes". Mais, peut-être que, ce n'est qu'une avant-première de ce qu'est l'Oriental : une région qui regorge de surprises. Quand la voix sur le haut-parleur de l'avion annonce que la température a l'extérieur est de 41°C, on en oublie presque cette déconvenue. Parmi les passagers, il y a naturellement des habitués à cette chaleur extrême, mais il y a également quelques deux ou trois personnes qui mettent les pieds dans la capitale de l'Oriental pour la première fois. Commence alors une longue quête des différences avec des villes comme Casablanca, Fès, Rabat, Marrakech ou encore Agadir. D'abord, il y a le chauffeur de taxi qui assure le transfert de l'aéroport à la ville pour recueillir quelques informations. Son véhicule, bien que vieux, une Mercedes 190 du début des années 1980, est très propre. Il a pris le soin de tout mettre en ordre. On sent chez lui, l'habitude de transporter des "étrangers", c'est-à-dire des non-Oujdis. Il ne se prive pas de donner les premières informations sur la santé économique de la ville. Cela commence d'abord par l'immobilier, notamment le locatif. Un appartement au centre ville se loue entre 2000 et 4000 dirhams. "Mais tout dépend du standing", s'empresse-t-il de préciser. Peu importe, on est dans des niveaux de prix qui sont beaucoup moins élevés qu'à Casablanca ou encore à Marrakech, les deux villes qui battent tous les records. La première impression que laisse la ville est donc assez bonne : "la vie n'y est pas du tout chère". Il reste à vérifier si cette faiblesse du coût de la vie traduit ou non la faiblesse de l'économie. On ne saurait l'exclure. Et plus tard Farid Chourak, directeur du Centre régional d'investissement (CRI) le confirmera. "Oujda est une ville qui présente beaucoup de particularités". De par sa superficie de 7500 hectares, c'est la deuxième ville la plus grande, après Casablanca. C'est donc la cité où la densité de la population est l'une des plus faibles, puisqu'il ne compte que 500.000 habitants. La région a été fortement touchée par l'exode rural du fait des sécheresses successives. Oujda a ainsi mal digéré son développement urbain. Mais Oujda est une ville qui a vécu et qui continue de survivre avec les vestiges du passé. Le commerce transfrontalier y est très développé, surtout dans le sens des importations en provenance de l'Algérie. "Importation" est d'ailleurs un terme très enrobé, car il s'agit essentiellement de contrebande. Souk El Fellah, la Mecque de la contrebande Dans l'Oriental, toute l'économie est basée d'une manière ou d'une autre sur le commerce illégal de marchandises importées d'Algérie. Il suffit de se rendre au Marché Couvert ou mieux encore d'aller à Souk El Fellah. On est ici dans la tanière de la contrebande vendue dans des cantines qui ont pignon sur rue. On y trouve des marchandises à faire pâlir de jalousie le célèbre marché de Derb Ghallef de Casablanca, véritable capitale de l'illégal, du marché noir et de la piraterie. Qu'il s'agisse de produits alimentaires, d'électroniques, d'électroménager et même de matériaux de construction, tout est estampillé Algérie. La contrebande ne s'arrête pas là. Elle se vend dans des bidons de cinq litres dans les rues et tout au long des routes qui desservent Saïdia, Berkane, Nador, Jerada, etc. Cette contrebande là concerne le carburant. Ici, tous les moteurs de l'Oriental à l'exception des voitures de l'administration et de certaines sociétés carburent aux huiles algériennes. Le bidon de cinq litres d'essence sans plomb n'est vendu qu'à 25 dirhams, alors que le même volume serait vendu à 32 dirhams dans les autres régions du Maroc. "Il s'agit en définitif d'un véritable élément de compétitivité", commente un responsable. L'activité industrielle se limite à une zone qui compte 200 unités environs. Oujda est surtout une ville de services et de commerce. Mais, il faut exclure pour le moment les services touristiques. Car, sur ce point précis, le patrimoine hôtelier est très faible. A part l'Atlas Orient de la Sotoram, l'unique hôtel 4 étoiles de la ville, et l'Ibis Moussafir le 3 étoiles d'Accor, il est difficile de trouver un lit de qualité. Après une douche écossaise, il est temps de quitter momentanément l'hôtel pour rejoindre un restaurant. Malheureusement, il n'y a pratiquement aucune bonne table dans la ville. Le réceptionniste de l'hôtel est bien moins bavard quand on lui demande un renseignement dans ce sens. Il faut faire une croix sur les saveurs orientales et presque sur toutes les bonnes saveurs tout court. Tous les Oujdis le savent, l'unique bonne table de la ville est Le Dauphin, un restaurant spécialisé dans le poisson et les fruits de mer. La proximité du port de pêche de Ras El Maa (Cap de l'Eau), lui garantit des produits frais à longueur d'année. Voilà en somme, à quoi ressemble Oujda pour celui qui vient d'entrer en son contact. Pourtant, la convivialité de la population fait vite oublier à la ville ses petites faiblesses. Une ville nouvelle Et on apprend à l'aimer davantage quand on découvre les mille et un projets à l'intérieur de la ville comme à l'extérieur d'ailleurs. Les nombreux projets annoncés, non pas seulement dans la ville, mais à l'échelle de toute la région, transformeront l'Oriental pour en faire l'un des principaux pôles de développement du Maroc. L'acharnement du Wali, Mohamed Brahimi, à mener vers la croissance toute la contrée, a fini par fédérer l'ensemble des acteurs à la fois publics et privés autour d'un seul mot d'ordre, celui de développement. Rien n'est laissé au hasard à commencer par la ville elle-même. La ville doit avoir une grande agglomération avec la qualité de vie capable de séduire et de retenir toutes les forces de la région. Il y a ainsi, quelque 118 projets de requalification urbaine, dont la plupart sont déjà présentés à SM le Roi Mohammed VI qui ne s'est pas gardé de donner ses recommandations dans les moindres détails. Ces projets concernent en priorités les infrastructures de base, dont Hamid Bakkouch, l'ingénieur en chef de la municipalité parle avec beaucoup de passion. Au total, ces projets devront mobiliser quelque 4 milliards de dirhams, dont 1,275 milliard de dirhams ont fait l'objet d'une convention entre la ville et plusieurs partenaires à la fois publics et privés. La région ne cachant plus ses ambitions dans le tourisme, notamment avec la Station balnéaire de Saïdia, elle a décidé de soigner la première image qu'elle offre à la descente de l'aéroport. Cela commence par l'entrée nord, longue de 12 km, dont 4 en périmètre urbain. Ainsi quelque 73 millions de dirhams seront investis pour lui assurer un traitement paysager avec un système d'irrigation intégré, c'est-à-dire au goutte-à-goutte et à partir d'un forage sur site. L'éclairage d'ambiance, en bas des palmiers, ancré au sol finira de convaincre du niveau de qualité qu'Oujda s'impose désormais. Au niveau urbain, les voies de circulation seront élargies donnant accès au centre ville avec deux triples voies. C'est dans cette même logique de qualité et ce même niveau d'exigence que toute la ville est en train d'être reconstruite. Et, l'erreur n'est pas permise quand on sait que le Roi suit de près cette ville qui doit se positionner comme la future Strasbourg du Maghreb. D'autres boulevards, carrefours, places publiques et autres jardins auront droit à un traitement semblable. Ainsi, Oujda comptera les plus grands nombres de carrefours décoratifs du Maroc. Neuf de ces projets de carrefour, combinant à la fois les thèmes minéral, végétal, lumineux et aquatique ont été présentés lors de la dernière visite de SM le Roi. "Oujda est une ville carrefour, il ne lui restait plus qu'à être une ville de carrefours", comme le résume si bien Hamid Bakkouch. Au total, un budget de 3 millions de dirhams a déjà été dégagé pour ces 9 carrefours. Mais ce n'est qu'une mise en bouche, puisque les 4 places entrant dans cette requalification urbaines nécessiteront 26 millions de dirhams. Et pour la place du 16 Août, de la Révolution du Roi et du Peuple, SM le Roi a demandé qu'un concours soit lancé pour le monument devant refléter son aspect historique. Toutefois, dans ce chapitre des places, le clou est laissé celle du 11 mars qui fait 11 ha. Il s'agira de créer pratiquement une toute autre vision de la ville avec la meilleure mosquée, une esplanade, un parking de plusieurs centaines de voitures et une zone entièrement piétonne, des fontaines intégrées au sol et qui ne rejaillissent qu'à l'occasion. Il y aura ici l'un des plus grands centres commerciaux du Maroc, mais aussi des hôtels, restaurants et autres lieux d'animation capables à eux seuls de redonner un nouveau visage à la ville d'Oujda. Il faut rappeler toutefois que l'aménagement devrait coûter quelque 40 millions de dirhams. La requalification urbaine concerne aussi d'autres boulevards notamment Mohammed V, Yacoub El Mansour ou encore Driss Akbar. D'un statut d'oublié, Oujda passera ainsi à celui d'exemple à suivre notamment par des villes comme Casablanca. L'ambition des élus a été très forte, mais le carnet d'adresses de Mohamed Brahimi a beaucoup facilité la concrétisation de ces projets qui sont actuellement à l'étape de chantiers. Car pour ces ambitieux projets, il faut des ressources financières que les bailleurs de fonds ne donnent finalement qu'aux hommes de confiance. Plan Emergence Le wali de l'Oriental a ainsi fait émerger une autre convention qui a permis de mobiliser 160 millions de dirhams. C'est ce qui a permis aux travaux de débuter quelques semaines seulement après avoir été projetés. L'action du Wali ne s'arrête pas dans la ville, mais s'étend désormais à toute la région et à tous les secteurs qui vont de l'agriculture au tourisme en passant par l'industrie ou encore les centres de services. En effet, l'Oriental sera la première région à décliner sur le plan territorial le plan Emergence. La région a en effet, commandé une étude auprès du cabinet Ernst & Young pour lancer les projets les plus importants concernant son arrimage au développement. Cette étude a permis de décliner à l'échelle régionale le plan Emergence. Mais avant d'en arriver au plan Emergence, il y a d'abord le plan Azur. C'est le moment de prendre la route à destination de la première station balnéaire de cet ambitieux projet qui consiste à doter le Maroc de 160.000 nouveaux lits supplémentaires de 2001 à 2010. Saïdia, développée par l'entreprise espagnole Fadesa doit compter environ 30.000 lits. Le site se trouve à une soixantaine de kilomètres d'Oujda et il est donc naturellement desservi par l'aéroport d'Oujda-Angad distant de 48 km de Saïdia. Les nombreux passagers de cet aéroport n'auront que l'embarras du choix pour s'y rendre, puisqu'il est possible de passer soit par Ahfir soit par Berkane. La voix a été dédoublée pratiquement sur tout le trajet. La petite portion qui reste est en cours d'élargissement. D'ici 2010, les responsables promettent de le livrer comme pour l'extension de l'aéroport qui sera complètement refait à neuf avec une capacité proche du triple de son niveau actuel. En attendant d'en arriver là, les yeux sont braqués sur Saïdia Mediterrania, nom que Fadesa a donné à son projet. Les curieux ne sont d'ailleurs pas déçus. Ici, les ouvriers travaillent jour et nuit et le chantier avance à pas de géant. Les maisons poussent comme des champignons et l'essentiel a déjà trouvé acquéreur. En principe d'ici 2010, l'ensemble du site sera livré. "Il faut faire vite, mais il n'est pas question de confondre vitesse et précipitation", martèle Mohamed Brahimi. En réalité, son équipe avec à sa tête Mohamed Chourak, directeur du CRI, veille au grain pour que le projet soit réalisé dans le cadre strict du cahier des charges. Pour le moment, c'est ce projet Saïdia qui tire vers le haut toute l'économie formelle de la région. "Au niveau des ventes de ciments, on enregistre une progression de 40% par an depuis 2000", explique Dominique Drouet, président-directeur général de Holcim Maroc qui possède deux cimenteries dans l'Oriental, l'une à Selouane et l'autre à Nador. Il s'agit véritablement d'un record qui explique clairement à quel rythme la région progresse. La région de l'Oriental fera pâlir de jalousie celles de Casablanca de Rabat qui sont dynamiques économiquement parlant mais, qui avancent à une cadence faible. Ici, tout est au rythme d'une fusée supersonique alors qu'ailleurs on avance plutôt à pas feutrés. Dans cinq ans, plus rien ne sera comme avant, dans cette région qui a véritablement décidé de sortir des discours peu productifs et de se lancer véritablement dans les actions concrètes capables de la mener vers le développement.