Un projet de loi visant l'organisation et la restriction de l'exercice de l'immunité parlementaire est actuellement présenté à la Chambre des conseillers. Toutefois, il est légitime de poser cette question de plus en plus lancinante : ne faut-il pas procéder à la suppression du régime de l'immunité parlementaire, notamment dans sa dimension dérogatoire ou de droit commun ? C'est un pléonasme d'écrire qu'une démocratie forte et solidement établie ne peut se concevoir sans un Parlement puissant ; bénéficiant de la confiance et de l'appui populaire et composé de membres intègres et d'une moralité exemplaire. Mais il est affligeant de constater que l'usage fait par certains de nos députés de la protection de l'immunité parlementaire qui leur est offerte ne peut être que préjudiciable à la crédibilité et au prestige de l'institution à laquelle ils appartiennent. Une utilisation qui vide le principe de l'immunité parlementaire de son sens et détourne les dispositions de la constitution et de la loi, des raisons et des fins qui fondent son existence. L'immunité parlementaire trouve sa consécration dans l'article 39 de la constitution, qui subsume deux types d'immunités. La première dite “ absolue ” et connue sous le nom de “ l'irresponsabilité parlementaire ” et qui interdit la poursuite, l'arrestation, la détention ou le jugement d'un membre du Parlement ; à l'occasion des opinions et des votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions, à l'exception des opinions qui remettent en cause le régime monarchique, la religion musulmane ou constituant une atteinte au respect dû au Roi. L'immunité qualifiée de relative et appelée “ inviolabilité parlementaire ”, est problématique par nature, et c'est elle qui suscite la critique. Ainsi selon l'article 39 de la constitution, un parlementaire ne peut être poursuivi, arrêté pour crimes ou délits, qu'avec l'autorisation de la Chambre à laquelle il appartient, sauf dans le cas du flagrant délit. L'arrestation hors session d'un membre du Parlement ne peut être effectuée à son tour, qu'avec l'autorisation du bureau de la Chambre à laquelle il appartient, hormis le cas du flagrant délit, des poursuites autorisées ou de condamnation définitive. L'existence de ces règles n'a nullement pour but l'installation d'une situation d'inégalité de jure, ni d'inciter les parlementaires à narguer la loi, en se prévalant de leur immunité. Ainsi l'objectif du premier type d'immunité, relative à l'irresponsabilité parlementaire, est d'accorder aux élus de la nation les conditions nécessaires pour l'expression libre et sans entraves de leurs opinions pendant l'exercice de leur mandat. Ils sont protégés à cet égard contre toute action judiciaire qui vise à les bâillonner, et c'est également une garantie pour la minorité contre les exactions éventuelles de la majorité au pouvoir. Tandis que l'inviolabilité parlementaire, autre catégorie de l'immunité, est destinée à éviter que des poursuites abusives soient engagées contre un parlementaire, afin d'entraver l'exercice de ses fonctions, le Parlement se charge de vérifier de près les motivations de cette action et la nature des forfaits reprochés à l'élu. Le projet de loi N° 17.01 soumis à l'examen de la commission de la justice et de la législation de la Chambre des représentants, entend mettre de l'ordre à l'exercice de cette protection offerte aux parlementaires, et remédier aux lacunes existantes dans la procédure de poursuite des parlementaires en matière délictuelle et criminelle. Ainsi, selon les dispositions de ce projet de loi, le Procureur général du Roi est habilité à demander l'autorisation de poursuivre un membre du Parlement pour crimes ou délits commis, ainsi que pour procéder à son arrestation. La demande d'autorisation doit être adressée au ministre de la justice, qui se charge de la référer à la présidence de la Chambre concernée. L'article 3 de ce projet précise que si la demande est adressée pendant le déroulement d'une session parlementaire, la Chambre en question dispose de 15 jours pour délibérer et rendre sa décision. Si la session est finie avant l'expiration du délai, le bureau de cette Chambre doit se prononcer sur cette demande dans un délai similaire. Les autorités judiciaires peuvent procéder à l'arrestation ou la poursuite du parlementaire en cause, si une décision n'a pas été rendue dans les limites du délai prescrit. Le président de la Chambre concernée peut adresser une demande visant la suspension des poursuites ou la levée de détention d'un parlementaire, tout en étant tenu de préciser les raisons qui justifient cette demande et de spécifier les fait auxquels elle s'applique. Mais la question demeure toujours posée sur la possibilité de supprimer le principe de l'inviolabilité parlementaire qui protège les parlementaires contre les poursuites et les arrestations relevant du droit commun, tout en maintenant le premier type de l'immunité garantissant un exercice libre de la fonction parlementaire. Un débat autour de cette question au Maroc est sans doute nécessaire pour redorer le blason du Parlement et lui donner une crédibilité de plus en plus mise en doute.