Trois mois et demi de filature, de traque et d'investigations. Voici comment les services de la DGSN ont pu mettre la main sur l'un des cerveaux du braquage perpétré en Angleterre au mois de février 2006, le dénommé Moulay Brahim Lamrani (alias Lee Murray) qui s'est installé au Maroc. Pisté depuis qu'il a mis les pieds au Maroc, Lamrani, un professionnel des arts martiaux, a réussi à écouler et à blanchir une bonne partie du butin ( 847 millions de Dh ) en achetant plusieurs biens immobiliers et en créant une société d'import et export. Enquête. Il a deux patronymes, l'un pour l'identité nationale, l'autre en guise de nom de guerre. Au Maroc, il s'appelle Moulay Brahim Lamrani. En Grande-Bretagne, il est Lee Murray. Depuis dimanche 25 juin 2006, jour de son interpellation à Rabat, il fait la Une des journaux marocains et étrangers et suscite un intérêt tout particulier à la dimension des charges retenues contre lui par le New Scotland Yard et la justice britannique qui réclament sa tête plus que quelqu'un d'autre. Un indice parmi tant d'autres : Avant comme après son arrestation au Maroc, l'état-major de la police d'Etat britannique et ceux de « Home Office », équivalant du ministère de l'Intérieur local, ont évoqué son cas, révélé son identité, et relaté son histoire rocambolesque à plusieurs reprises aussi bien sur des chaînes de télévision, BBC et Sky News entre autres, que dans les grands titres de la presse écrite comme, Financial Times, The Sun, Independant, et Daily News… Motifs d'accusation : sa participation dans le braquage le plus important de l'histoire de la criminalité mondiale qui a eu lieu à Kent (sud-est de l'Angleterre) dans un dépôt de fonds appartenant à Securitas de Tonbridge. Le montant dépouillé, la bagatelle de 53 millions de livres Sterling, l'équivalent de pas moins de 847 millions de DH. Un butin record jamais atteint dans les annales des hold-up perpétrés dans toute l'Europe. Le dernier en date étant le cambriolage de la Northern Bank à Belfast en décembre 2004, dans lequel 26,5 millions de livres avaient été dérobés. Scolarité ratée Qui est Lee Murray ? Pourquoi et quand est-ce qu'il a élu domicile au Maroc pour s'y réfugier ? Comment il a été localisé et interpellé par les limiers Marocains ? En quoi constituait-t-il une menace jugée extrêmement sérieuse aussi bien pour le Maroc que la Grande-Bretagne ? Pourquoi a-t-il fait l'objet d'une filature policière qui a duré plus de trois mois au Maroc sans pour autant être arrêté par la police marocaine? Commençons par le Commencement. Lee Murray est une star des arts martiaux, le Kick Boxing et les combats d'Ultimate Fighting (la lutte en cage), en Grande-Bretagne. Né en Angleterre le 12 novembre en 1977, d'un père Marocain (natif de la région Ait Baâmrane de Sidi Ifni) et d'une mère british, Moulay Brahim Lamrani a eu une enfance très compliquée, marquée essentiellement par une scolarité ratée dans la région de Sidcup. Pour avoir fait un court passage à l'école, il ne se fie qu'à son instinct et à ses réflexes. À la dure école de la vie, il a bien compris qu'il ne pouvait s'en sortir qu'à la force de son poignet. À ses heures perdues, Moulay Brahim Lamarani s'essayait alors aux arts martiaux et aux combats de la rue. C'est le déclic dans la vie de ce jeune garçon qui n'avait à l'époque que 15 ans. Lee Murray prend ainsi goût aux combats et à la lutte ainsi qu'à l'argent qui en découlait. En quelques années, il deviendra un virtuose dans le domaine. Et se découvre un métier de lutteur de cage professionnel. En plus clair, un technicien des arts martiaux avec de surcroît une licence de pratique qui lui a été accordée par la Fédération anglaise d'Ultimate Fighting en 2004. Un jeu qui s'est vite internationalisé, essentiellement aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, avec ses défis, son agressivité sans pareille, ses lois, et bien évidemment ses stars. Le banditisme, un gagne-pain Et justement Lee Murray est un indomptable héros qui a fait ses preuves dans le Ultimate Fighting en Angleterre puisqu'il a décroché plusieurs médailles en la matière. Celui-ci n'est pas du genre à accepter l'humiliation et la défaite. Mourir plutôt que de tomber. C'est comme ça qu'il conçoit l'honneur et la dignité. Du coup, il commence à fréquenter les boîtes de nuit huppées de Londres et mène en parallèle une vie de farniente avec l'argent qu'il a empoché dans les combats qu'il a emportés haut la main. De rencontre en rencontre, Lee Murray se forge de solides amitiés avec les gangs et les malfrats londoniens qui ont décelé chez lui une aptitude et une volonté exceptionnelles dans le domaine de la criminalité. Son esprit de battant et son agressivité le pousseront, presque instinctivement, d'abord à friser l'illégalité avant de s'y installer à plein temps. Du banditisme, il fera désormais son gagne-pain. Un homme comme lui, qui s'est rendu coupable de nombreux forfaits, est fait pour crever ou rester libre. C'est sa propre vision du monde. Drôle de psychologie. Nous sommes en janvier 2006 et les préparatifs vont bon train pour le casse record qui sera opérée dans la ville de Kent au sud de l'Angleterre. La cible n'est autre que le dépôt de la société de transport des fonds Securitas de Tonbridge. Le modus opérandi est simple et consiste à prendre en otage la petite famille du patron du dépôt pour le forcer à coopérer (lire encadré). Le 21 février 2006, le gang joint l'acte à la parole et passe à l'action. Un hold-up spectaculaire qui a permis à la bande de subtiliser pas moins de 847 millions de DH en l'espace d'une petite heure. Averti, le Scotland Yard prend l'affaire en main et réussit en l'espace de quelques jours à identifier les malfrats grâce à la découverte de la camionnette du gang abandonnée dans le parking de l'hôtel d'Ashford International. Enquêtes et investigations Celle-ci contenait des armes à feu, des cagoules, des vestes protectrices semblables à des gilets pare-balles, et surtout des empreints digitales et ADN qui ont permis d'identifier facilement les coupables. Entre temps, Lee Murray, l'un des cerveaux de l'opération et son acolyte Paul Allen ont déjà pris la poudre d'escampette. Destination : le Maroc à travers la ville occupée de Sebta où ils se sont introduits sans être repérés à bord de leur véhicule, de marque Mercedes, à la fin du mois de février 2006. Toutefois, au fur et à mesure que l'enquête avance du côté de Scotland Yard, les investigations et les arrestations des membres du gang prenaient plus d'ampleur. Le nom de Lee Murray et ses origines sont dévoilés et communiqués par voie judiciaire aux autorités marocaines qui le pointent aux postes frontaliers. L'homme est bel est bien arrivé au Maroc, mais il est reparti quelques jours après en Europe. La note des autorités britanniques qualifie l'homme de très dangereux, agressif, et tout le temps armé. La fiche de Scotland Yard indique également que Lee Murray serait impliqué dans une vaste opération de braquage en Angleterre. Sans perdre patience, les services de l'ordre ont notifié son signalement aux services frontaliers concernés à l'attente d'un éventuel retour au pays. Chose faite en mars 2006. Moulay Brahim Lamrani rentre au bercail toujours en compagnie de son complice Paul Allen et coupe l'écoute avec le monde extérieur. Sa vie ainsi que sa carrière en Kick Boxing est menacée. Cela, Lee Murray l'a compris cinq sur cinq. Depuis cette date, les deux gangsters sont pris en filature par les services secrets marocains qui ne les lâchaient pas d'une semelle. De jour comme de nuit, Lee Murray et son compagnon de route Paul Allen sont surveillés et pourchassés dans tous les endroits qu'ils fréquentent. Avec une discrétion sans pareille. À Casablanca, à Marrakech, à Agadir, avant de décider de s'installer définitivement au quartier Souissi à Rabat. Des liasses de billets distribuées à tout vent Seulement voilà, Moulay Brahim Lamrani ne pouvait pas se suffire d'un rythme de vie ordinaire. Cela ne correspondait pas à sa personnalité profonde. Il est plutôt du genre aventurier qui aime le risque. Un individu brutal qui s'attend au pire. Un personnage qui n'a pas peur de vivre dangereusement. La preuve, il ne résiste pas à la tentation de se pavaner dans son véhicule, très haut de gamme, ramené de Grande-Bretagne avec des plaques minéralogiques anglaises. Un train de vie pharaonique, une manière d'importer au Maroc le mythe européen de l'enrichissement facile. Le meilleur moyen de rencontrer du monde est de sortir la nuit. Moulay Brahim Lamrani est justement un noceur, qui fréquente les boîtes de nuit select. C'est là où il fait son numéro favori pour séduire les filles, gruger les friqués et se rapprocher des milieux louches. Là où il passe, dans une boîte de nuit ou un casino, il laisse des pourboires de nabab. C'est que Lamrani est le genre à sortir des liasses de billets qu'il distribue à tout vent. Et il lui arrive même d'en gagner. Comme au Casino de Marrakech, ou il a pu empocher la bagatelle de 6 millions de Dh en une seule nuit. Rien que pour cela, il avait suffisamment attiré l'attention des limiers les moins doués de la police nationale marocaine. Pour justifier sa présence longue durée au Maroc, Lee Murray créé une société écran d'import et d'export et s'achète sa première villa pour un montant de 1,2 milliards de centimes au quartier Ouladiya à Rabat. La société fictive lui permet également de recevoir des transferts d'importantes sommes d'argent au Maroc pour l'achat d'une autre villa dans le même quartier au prix de 50 millions de Dh. Un subterfuge pour tromper la vigilance des services de l'ordre et ceux de l'Office des changes et pour également blanchir sa part du braquage sans trop de difficulté. À ce moment-là, Lee Murray ne faisait officiellement l'objet d'aucun mandat d'arrêt international. D'où l'intérêt pour les enquêteurs Marocains de réussir l'enquête et d'amasser le maximum d'informations et de pièces à convictions avant de procéder à l'interpellation des membres du gang. C'est le chef de la police judiciaire de la préfecture de police de Rabat, en collaboration avec d'autres services notamment la DST, qui se chargera de cette enquête. Preuve, si besoin en est, que l'affaire est extrêmement importante. Ne se doutant de rien, Lee Murray et son complice ont même séquestré et torturé à mort leur chauffeur qu'ils ont soupçonné d'avoir volé la sommé de 1,7 million de Dh à l'intérieur de la villa qu'ils occupaient. Ce dernier a porté plainte sans pour autant qu'il y ait une intervention de la part de la police judiciaire qui attendait le moment opportun pour passer à l'acte. Une stratégie qui s'avérera payante puisque le malfrat ne reniflera jamais le traquenard. Mieux encore, il croyait que son affaire est définitivement classée en Angleterre, vu qu'il n'a jamais été inquiété au Maroc. Saisies et perquisitions Trois mois passés sans que la police marocaine ne mette la main dessus est interprété par Lee Murray comme une cavale à vie. Une victoire sans précédent dans les annales de la criminalité mondiale. C'était sans compter sur la détermination de la police nationale qui n'attendait que le feu vert pour appréhender les membres du gang qui se sont finalement réuni dans la luxueuse villa de Lee Murray à Rabat. Nous sommes le Dimanche 25 juin 2006. Les enquêteurs chargés de la surveillance sont tous mobilisés ce jour-là pour appréhender les quatre suspects qui se sont dirigés au centre commercial Mega Mall du quartier Souissi à Rabat. Une trentaine de policiers bien baraqués ont cerné les lieux en attendant le feu vert. L'assaut est donné à 15h tapantes. Pris par surprise, Lee Murray et ses compagnons ( Paul Allen, Mustapha Tinirisar et Kary Antoni Armitag), ont eu tout de même le temps de résister et de se débattre comme des bêtes sauvages. En tout et pour tout, nous déclare un haut gradé de la DGSN, qui a supervisé l'arrestation, toute l'opération n'a duré que quelques secondes avant de mettre le gang hors d'état de nuire. Hormis quelques blessures légères des enquêteurs, aucune balle n'a été tirée. L'opération s'est bien déroulée et les malfrats ont été conduits illico presto à la villa pour effectuer des perquisitions et des saisies pour boucler l'enquête. Sur place, les enquêteurs découvriront une quantité importante de cocaïne et du cannabis, des matériaux sophistiqués de détection de métal, des caméras de surveillance, des objets et des montres en or massif, et quelques liasses de billets en Livres Sterling… L'interrogatoire serré durera trois jours avant que les prévenus ne soient présentés au Parquet de la ville de Rabat qui a transmis leur dossier au juge d'instruction. Les chefs d'accusation retenus contre eux sont nombreux : association de malfaiteurs, agressions et violences, enlèvement, séquestration, coups et blessures ayant entraîné une infirmité, détention et consommation de drogue dure…. Lee Murray et ses complices risquent de grosses peines qu'ils purgeront assurément au Maroc avant d'être extradés en Angleterre.