Alors que Amman ne nie pas le fait que ses services ont participé à la traque d'Abou Mousaâb Al-Zarkaoui, des sources concordantes à Bagdad et Téhéran affirment que le leader d'Al-Qaïda dans le Pays des Rafidaïnes aurait été un exemple des cadeaux que l'Iran pourrait offrir à Washington si leurs négociations en cours aboutissent. Washington comme à Paris, les analystes politiques qui suivent de près les tractations entre l'Occident et la République islamique d'Iran soulignent que le deuxième front ouvert soudainement en Afghanistan est à l'origine de l'apaisement américain. De ce fait, le responsable de la politique étrangère auprès de l'Union européenne, Javier Solana, a été dépêché dans la capitale iranienne portant des propositions communes en majorité conciliantes. Ces dernières ont été suivies par des déclarations positives de la part du secrétaire d'Etat américain, Condoleeza Rice. Celle-ci est allée beaucoup plus loin en promettant à la République islamique d'Iran de lui octroyer le matériel nécessaire au développement de son programme nucléaire à condition que les Iraniens acceptent ses exigences transmises. Téhéran, qui a déclaré officiellement qu'elle étudiera avec grand intérêt les propositions occidentales, a décidé de prouver qu'elle est capable d'aider les Etats-Unis à sortir des bourbiers irakien et afghan. C'est dans ce contexte qu'il faut placer la «livraison» d'Al-Zarkaoui à ses détracteurs américains. A cet égard, certaines sources irakiennes proches de l'ancien Premier ministre, Iyad Allaoui, affirment que la visite-éclair, il y a quelques semaines du ministre iranien des Affaires étrangères, Manouchahr Mottaki, à Amman et sa rencontre avec le roi Abdallah II avaient pour objectif la négociation de ce marché. Ce, notamment, après que les services de renseignements jordaniens avaient réussi à localiser le périmètre dans lequel se déplaçait Al-Zarkaoui avec son dernier carré. Cependant, ces services demeuraient incapables de fixer les lieux exacts de leur cible. Ce que les Iraniens pouvaient facilement réussir du fait des liens qu'ils entretiennent avec des groupuscules d'Al-Qaïda qui venaient d'Afghanistan pour combattre en Irak. Faut-il rappeler que la République islamique d'Iran avait par le passé aidé les Américains contre le régime des Talibans après le 11 septembre 2001 et leur avait facilité la tâche pour destituer celui de Saddam Hussein ? Ces mêmes sources irakiennes affirment, d'autre part, que la visite de Mottaki à Bagdad, quelques jours après son retour d'Amman, visait à mettre les dernières retouches au plan visant à liquider Al-Zarkaoui. Une réunion aurait rassemblé le Premier ministre irakien, Nouri al-Malki, et l'ambassadeur des Etats-Unis, Zalmay Khalil Zad. Contacté par La Gazette du Maroc, vendredi dernier, un responsable iranien auprès du ministère des Affaires étrangères a démenti catégoriquement l'implication de son pays dans cette affaire. Egalement tout lien avec Al-Qaïda. Et celui-ci d'ajouter que tous les membres de cette organisation interceptés ont été livrés à leurs pays d'origine, plus particulièrement l'Arabie Saoudite, l'Egypte et le Koweït. Ce qu'approuvent ces derniers. Ce même responsable a tenu à préciser que l'Iran avait toujours été la cible des attaques médiatiques de l'organisation d'Al-Zarkaoui. Ce constat n'est pas de l'avis de Riza Pahlavi, fils aîné du chah d'Iran. Ses proches, qui mettent en garde contre les répercussions positives des négociations sur la démocratie en Iran, laissent entendre que Al-Zarkaoui pourrait être le premier des cadeaux que Téhéran va donner au fur et à mesure que les choses avancent. Pour eux, un rapprochement entre les deux pays ne peut se faire qu'au détriment des intérêts du peuple iranien. Pour ce qui est des Syriens, les principaux alliés de l'Iran dans la région, on s'abstient de tout commentaire concernant le «cadeau» offert par les Iraniens à Washington. Effet de courte durée Il est certain que l'administration Bush avait un grand besoin d'une quelconque victoire en Irak. Notamment après les revers consécutifs du mois dernier et les «rechutes» en Afghanistan. Elle était prête, dit-on à Bagdad, à payer le prix fort à celui qui pourrait l'aider à réaliser ce rêve. Là, Washington a choisi de joindre l'utile à l'agréable en négociant la tête d'Al-Zarkaoui contre un apaisement sur le plan du dossier nucléaire iranien. Ce, même si le président Georges Bush a déclaré, vendredi dernier, que Téhéran n'a devant elle que quelques semaines et non quelques mois pour accepter les propositions européennes. Une déclaration intervenue après les déclarations des responsables iraniens qui ont demandé le temps nécessaire pour étudier l'offre de Javier Solana. Quoi qu'il en soit, force est de souligner que l'effet positif de la mort d'Al-Zarkaoui sur les positions des Américains en Irak ne sera que de courte durée. Dans ce cadre, un membre de l'Association des Oulémas d'Al-Sunna, Hareth al-Dari, a indiqué que l'émir d'Al-Qaïda dans le pays des Rafidaïnes aurait perdu beaucoup de son influence ces derniers mois. Ce qui l'avait probablement obligé à changer continuellement sa position. Plus particulièrement après qu'il est devenu persona non gratta dans plusieurs fiefs des sunnites comme à Al-Fallouja et Al-Ramadi. Cela veut dire que l'organisation avait déjà préparé son successeur qui ne tardera pas à prouver qu'il est plus radical qu'Al-Zarkaoui et plus «raisonnable». On commence déjà à dire que le nouveau chef ne s'attaquera pas à la population civile, comme cela a été le cas avec son prédécesseur, notamment chiites, mais concentrera ses attaques sur les forces de l'occupation américaine. Ce qui rendra la victoire de Bush, et avec lui le Premier ministre, Nouri al-Malki, de courte portée. Dans ce même ordre de prévision, les analystes politiques irakiens estiment que la mort d'Al-Zarkaoui va mettre en exergue la résistance irakienne. Ce qui compliquera la mission des forces de la coalition et poussera les courants chiites qui contestent l'occupation à faire preuve de leur nationalisme. Tout dépendra aussi des résultats des négociations de Washington avec Téhéran. Car l'échec de celles-ci pourra entraîner la majorité des chiites à durcir leurs positions et inciter la Syrie à ouvrir ses frontières aux combattants arabes, plus précisément après avoir entamé le tri nécessaire. On se demande maintenant, après la disparition d'Al-Zarkaoui comment Washington va-t-elle agir pour justifier sa présence militaire en Irak. D'ores et déjà, les porte-paroles de la Maison –Blanche rectifient le tir, minimisent, certes relativement, cette dernière victoire contre Al-Qaïda, en indiquant que la mort de l'ennemi numéro 1 du peuple irakien n'arrêtera pas les attaques terroristes. De toute manière, nombreux sont les experts américains, plus particulièrement du Foreign Affairs Center de Washington, qui ont montré leurs doutes concernant l'importance d'Al-Zarkaoui. Dans leur dernier rapport, ils ont considéré que ce dernier était sûrement capable d'aller jusqu'au bout dans ses actions terroristes, mais son organisation demeure moins influente que ne l'estiment les différents services de renseignements américains. Ceux-ci, conclut le rapport, devraient s'occuper plus de la résistance structurée qui ne vise que les troupes américaines. Autre constatation à prendre en compte, c'est qu'Al-Zarkaoui aurait été tué quelques jours auparavant. Et que l'ambassadeur américain à Baghdad aurait demandé de retarder l'annonce afin de faire le dernier choix concernant la nomination des ministres de la Défense, de l'Intérieur et de la Sécurité nationale. Chose maintenant réalisée, le gouvernement Al-Malki n'aura plus aucune excuse pour mettre son programme sécuritaire et ses «menaces» à exécution. Crier victoire sur tous les toits après la mort d'Al Zarkaoui sera de courte durée. Les Irakiens, toutes tendances et confessions confondues, sont conscients de cette réalité malgré les quelques manifestations de joie à Al-Najaf ou dans quelques quartiers chiites visés jadis par l'organisation d'Al-Zarkaoui. Le couvre-feu ainsi que les barrages multipliés ces derniers jours n'ont rien changé à la situation qui devient de plus en plus critique. L'annonce, par les Talibans, d'envoyer 150 kamikazes pour venger Al-Zarkaoui commence à inquiéter aussi bien le gouvernement irakien que jordanien où l'armée de ce dernier continue le siège de la ville d'Al-Zarka dont Abou Moussaâb est issu. Exagérations et craintes L'environnement arabe, dont la majorité a affiché sa satisfaction de la disparition d'Al-Zarkoui, craint, d'autre part, les effets d'un marché qui sera conclu entre Téhéran et Washington. Tout en minimisant cette victoire et ses répercussions sur la scène irakienne, notamment au niveau de la réconciliation nationale et l'arrêt des massacres confessionnels, les Etats arabes de la région cherchent maintenant à intégrer le dialogue qui jusqu'ici était bilatérale entre l'Occident et les Iraniens. Ce qui devrait préserver leur position régionale. Les pays du Golfe, en particulier, sont capables d'utiliser leur poids pétrolier et leurs liaisons politiques et sécuritaires pour s'assurer de ne pas être écartés du dossier iranien traité par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Chine - où s'est rendu, il y a quelques jours, le président iranien Mahmoud Ahmedinejad - la Russie, l'Allemagne et la France. Les Etats arabes du Machrek sont maintenant déterminés à se placer au cœur des dossiers brûlants de la région. Et, par là, participer à l'avenir de l'Irak et de la Palestine. La preuve, les dernières rencontres au sommet entre le président Moubarak et Abdallah II à Charm al-Cheikh, la visite du roi hachémite en Arabie Saoudite, suivies par les deux escales du Premier ministre israélien, Ehud Olmert, au Caire et à Amman, après ses entretiens à Washington. De ce fait, l'affaire Al-Zarkaoui et la victoire qui a rapidement perdu de son éclat est une exagération. Les véritables difficultés et tensions ne tarderont pas à émerger dans les prochains jours. D'ores et déjà, les bombardements de l'aviation israélienne des plages de Gaza, tuant enfants et parents civils, a «dégonflé» la bulle Al-Zarkaoui. Elle a répandu à sa place les craintes de la montée des tensions partout dans le monde arabe. Les Eats voisins de l'Irak n'ont plus d'inconvénients à intervenir directement dans le conflit irakien après l'écartement d'Al-Zarkaoui de l'équation. Que ce soit par l'intermédiaire de La Ligue Arabe ou par le biais de ses prolongements. Car il n'est plus question de laisser la voie libre à l'Iran. Ce qui pourrait être encouragé par les Américains au cas où les négociations avec Téhéran tombent à l'eau. Après tout, Al-Zarkaoui n'est pas Oussama Ben Laden. Même si Les Etats-Unis lui avaient donné toute cette importance pour justifier leurs échecs en Irak. C'est, d'ailleurs, l'avis d'un haut responsable saoudien. Cela dit, ce genre de «cadeau» offert par Téhéran - si bien entendu les informations se confirment plus tard -, sera-t-il suffisant pour convaincre les différents centres de décision au sein de l'establishment américain, notamment au niveau du Pentagone et de la CIA qui commencent à montrer leurs divergences avec l'administration Bush à la veille des prochaines élections législatives ? Pour ces raisons et bien d'autres, la situation en Irak n'a pas tendance à s'apaiser, avec ou sans Al-Zarkaoui.