Résistant de la première heure, compagnon de Zerktouni, fondateur de l'UNFP et enfin du parti de l'action qu'il fonda après un long exil en Algérie, Abdallah Sehadji, nié par ses compagnons de lutte, avait pourtant la stature d'un grand homme d'Etat. Itinéraire J'ai connu Abdallah Senhadji juste avant la glorieuse Marche Verte de 1975. Un événement que je persiste à considérer comme une étape tampon entre deux phases de notre histoire contemporaine. En ces temps-là, je travaillais sur un sujet journalistique centré sur les hommes de la résistance nationale et les membres de l'Armée de libération et je tenais à transcrire toutes les informations historiques recueillies sur la glorieuse Révolution du Roi et du Peuple. C'est ainsi que j'avais eu l'honneur de rencontrer et de discuter longuement avec toute une légion de résistants marocains de la première heure. En particulier, ceux qui ont préféré le calme à la parole. Qui ont su garder pour eux leurs gloires et leurs actes et sacrifices, évitant qu'ils ne soient l'objet de spéculations, de prétentions et d'actes de politique politicienne. En réalité, en ces années-là, j'avais tant entendu sur la résistance marocaine, de la bouche de dizaines d'hommes de terrain. Au point qu'on avait cru, au fil des articles publiés ici et là, que j'étais moi-même membre du mouvement de la résistance. Il n'en est rien pourtant. J'étais encore jeune, même si j'appartenais à l'époque aux jeunes de Hay El Mohammedi, le fameux quartier des Carrières centrales, quartier des résistants par excellence. Senhadji, le résistant nié par ses compagnons Jusqu'à ce que je fasse la connaissance de cet homme humble et réservé, Abdallah Sehadji était un réel chef nationaliste et l'un des fondateurs historiques de l'action secrète armée. Nombre de résistants le considèrent, jusqu'à nos jours, comme étant le père spirituel et le pionnier incontestable de ce mouvement engagé dès le milieu des années quarante. Ceux qui connaissent l'itinéraire de cet homme savent, en tout cas, pourquoi il a préféré se tenir loin des feux de la rampe. Cela me pousse à le décrire plutôt comme étant le résistant nié par ses compagnons. L'histoire atteste, pourtant, qu'Abdallah Sehadji avait été l'un des pères fondateurs du mouvement national de résistance, aux côtés de Mohamed Zerktouni. Il avait été le fondateur direct des premières cellules de la lutte armée, agissant dans la clandestinité, contre l'occupation et ses symboles. C'est grâce aux armes qu'il s'était procurées qu'ont eu lieu les premières opérations des «Fédayines et Moudjahidines marocains». Il sera aussi l'un des fondateurs de l'armée de libération basée dans le nord du Maroc et l'un des quatre chefs historiques qui avaient constitué une commission de coordination entre les Moudjahidines marocains et algériens. Une commission qui comprenait, du côté marocain, Abdallah Senhadji et Abbès El Messaâdi, autre vaillant résistant du Rif, assassiné aux premières années de l'indépendance, alors que les alliés algériens étaient représentés par le futur président Mohamed Boudiaf et l'un des symboles du FNL, Larbi Ben M'hidi. Co-fondateur de l'USFP et réfugié en Algérie À l'aube de l'indépendance, il eut successivement l'occasion d'être nommé vice-président du Conseil national de la résistance et du mouvement de libération. Il eut l'occasion de défendre, auprès de Feu Mohammed V et le Prince Héritier Moulay El Hassan, les intérêts et l'avenir des résistants et la nécessité impérieuse de les récompenser pour les sacrifices consentis au service de la nation. Il sera nommé, plus tard, premier Gouverneur de la Province de Nador et sera, dans la foulée, l'un des co-fondateurs historiques de l'Union Nationale des Forces Populaires (l'UNFP) dont la tendance progressiste prit ses distances de l'Istiqlal en 1959. En 1963, juste après la campagne d'arrestations et de tortures, déclenchée dans les rangs des militants de l'UNFP et des anciens résistants, au lendemain du prétendu coup d'Etat concocté et monté par le Général Oufkir, Abdallah Senhadji se réfugie en Algérie en tant que réfugié politique. C'était du temps de son ami, le Président Ahmed Ben bella. Mais juste après le coup d'Etat de Houari Boumediene en 1965, il est arrêté et livré poings liés aux autorités marocaines et plus singulièrement à son ennemi juré, le Général Oukkir. Pourtant, il sera vite relaxé et promu au grade de commandant, après l'intégration des unités de la résistance au sein des Forces Armées Royales. Un geste qui lui vaudra la reconnaissance des plus hautes autorités du pays. Un militant de l'idéal maghrébin Sa désignation au poste de Gouverneur de Nador, puis son grade au sein de l'Armée ne lui epargneront pas les manœuvres et les coup bas de ses compagnons de lutte. Il sera ainsi éloigné de sa vocation initiale. Celle d'un chef armé et d'un homme d'action. Cela ne l'a pas empêché, pourtant, de rester un militant engagé. Il continuera à bouger dans tous les sens, ouvert sur toutes les personnalités politiques nationales les plus diverses. Son souci était de soutenir le mouvement de résistance. C'est ainsi qu'il se concertera avec Feu Allal El Fassi, Abdelkhalek Torrès, Mehdi Benbarka, sans oublier Abdelkrim El Khatib. Il noua également les rapports les plus solides avec les leaders du FNL qu'étaient les Ahmed Ben Bella, Houari Boumediene et tous les chefs historiques du FLN. Il joua ainsi un rôle décisif, aussi bien pour appuyer la lutte armée pour l'indépendance des deux pays que pour jeter les ponts du Grand Maghreb arabe dont rêvaient tous les peuples d'Afrique du Nord. Pourtant, Abdallah sera aussi le fondateur, au milieu des années soixante, d'une nouvelle structure politique. Un nouveau parti prend le nom du «Parti de l'Action» et lui aussi n'a pas échappé aux coups fomentés et aux manoeuvres politiques les plus basses. Aussi, durant les années de lutte ou après l'avénement de l'ère de l'indépendance, cet homme né en 1918 dans le village de Tizkiyine, descendant de la tribu des Senhadja dans la province de Tata, avait intégré le mouvement de résistance à un âge précoce. Pourchassé par les forces françaises du sud, il s'installera à Casablanca, au cœur du noyau de la résistance. C'est à Casablanca qu'il fera la connaissance de Mohamed Zerktouni et de tous les grands chefs de la résistance qu'il intégrera aussitôt. En 1947, juste après le discours historique de Feu Mohammed V à Tanger et suite aux agressions et poursuites et aux exactions exercées par les forces d'occupation sur les habitants de la ville du détroit, Abdallah Senhadji exécute de ses propres mains deux soldats français au quartier casablancais de Derb Ghallef. Le tribunal de Casablanca prononcera à son encontre une condamnation à mort du nommé Abdallah El Bidaoui, son nom de guerre. En 1949 Senhadji forme sa première cellule de résistance. Elle était constituée de Mohamed Zerktouni, Hassan Laârej, Mohamed Bouzalim, Abderrahmane Skoury, Hassan S'ghir et tant d'autres. Après l'exil de feu Mohammed V à Madagascar et l'accession de Ben Arafa, Abdallah Senhadji, Zerktouni et nombre d'autres résistants tentent, le vendredi 14 Août 1954, une opération d'assassinat du Roi fantoche. Le programme prévu avait été changé à la dernière minute par les services français avisés par le Pacha El Glaoui Il n'a jamais rien prétendu Cet homme n'a jamais prétendu quoi que ce soit. Il parlait beaucoup plus des actions héroïques de ses compagnons de lutte, qu'ils soient morts ou encore vivants, mais jamais de lui même. Je retiens de lui cette phrase sur la première balle utilisée par le mouvement de résistance : «Après l'exil de feu Mohammed V, se souvient-il, l'heure de la résistance armée avait sonné et la grande bataille s'annonçait. Nous avons bien préparé cette opération au sein d'une cellule dirigée par Mohamed Mansour et qui comprenait, entre autres, Mohamed Said Bounailat et Feu Zerktouni. L'homme de la première balle est Feu Hassan Serhane à Casablanca. La deuxième balle de la résistance l'avait été par feu Abdane Tibari». Après l'opération du marché central en 1953, Abdallah Senhadji rejoint le nord du Maroc en compagnie de Said Bounailat. C'était en janvier 1954. Il s'attellera ainsi à jeter les bases de l'armée de libération dont l'état-major était constitué de Hassan Safiyeddine, El Houcine Berrada, Abbès El Messaâdi, Said Bounailat, Abdelkrim El Khatib et Abdallah Senhadji. Il aura eu une vie de nationaliste sincère, un résistant authentique, attaché aux valeurs de son pays, de sa religion et de ses institutions. Il défendait, avant tout, la dignité humaine. Il a repoussé toutes les formes de séduction et de corruption pour rester lui-même jusqu'à sa mort, dans un malencontreux accident de la circulation, en 1984, au centre de Rabat. Ce qui est curieux dans le parcours de cet homme, c'est que nombre de livres et d'essais consacrés aux années de résistance, esquivent, voire ignorent totalement le rôle d'avant-garde joué par ce résistant pionnier. Traduit de l'arabe par Omar El Anouari