La révision du code électoral qui sera présentée au nom de la majorité gouvernementale viserait à réduire l'émiettement au Parlement et à favoriser les grands partis. La réforme de la constitution refait surface aussi dans le débat politique où, cependant, il reste difficile de faire abstraction du poids des réalités et des risques qu'elles recèlent… La révision du code électoral qui devrait être débattue et adoptée par le Parlement avant la clôture de l'actuelle session fait l'objet d'une série de consultations entre le ministre de l'intérieur, les partis de la Koutla et les autres partis de la coalition gouvernementale. Il s'agit notamment du mode de scrutin aux élections législatives de 2007 autour duquel l'unanimité est loin d'être acquise. Pour faire bonne mesure, le ministre de l'intérieur, Chakib Benmoussa, a indiqué que le projet qui sera présenté au Parlement sera celui de la majorité gouvernementale et non celui de son seul département. A l'instar des projets de loi courants, le code électoral révisé sera ainsi banalisé avec l'estampille de la majorité au lieu d'être l'émanation directe de l'Etat. Ce changement était peut être trop brusque pour les partis qui, avec le PJD ont, dans un communiqué commun le 8 mai dernier, protesté contre le fait d'avoir été tenus à l'écart des consultations. La nouvelle procédure veut que le projet de code soit, après son adoption en conseil des ministres, soumis à débat au Parlement où les autres partis peuvent alors s'y opposer ou présenter des amendements. Lors de sa rencontre avec les cinq partis de la coalition, le ministre de l'intérieur a examiné avec eux trois formules : le retour au scrutin uninominal à un tour, le maintien du scrutin de liste de 2002 et un scrutin de liste aménagé. Il paraît d'ores et déjà admis que le mode de scrutin de liste sera maintenu, excluant ainsi le retour au scrutin uninominal que les partis non consultés, sauf le PJD, espéraient. Ce retour était souhaité aussi par le RNI et le Mouvement Populaire, membres pourtant de la majorité gouvernementale. Les tractations en cours visent à réduire les appréhensions et les réticences de ces deux partenaires. Celles-ci sont significatives de la nature, pour l'essentiel, clientéliste de ces partis, misant sur l'influence locale des notables et sur la personnalisation des obédiences et des enjeux électoraux. Les partis de la Koutla, à quelques nuances près, ont plaidé pour un scrutin de liste mais à l'échelle de circonscriptions plus larges que celles des élections de 2002 pour éviter l'émiettement des résultats auquel la proportionnelle avait donné lieu. Les circonscriptions seraient désormais étendues aux limites des provinces et préfectures (quelques grandes provinces seraient scindées en deux circonscriptions). Le nombre des sièges à pouvoir par circonscription varie de 3 à 10. Cette réduction importante du nombre des circonscriptions s'accompagne d'un relèvement du pourcentage minimal des voix acquises par chaque liste pour être admise à la répartition des sièges, cette barre éliminatoire passant de 3 à 5 % (sinon à 7 %). Une troisième nouvelle disposition porte sur la répartition des voix entre les listes non plus selon le plus fort reste mais selon la plus forte moyenne. Ces différents éléments que sont la taille des circonscriptions, le seuil minimal des voix à obtenir et la répartition de celles-ci selon la plus forte moyenne, sont censés réduite l'émiettement des résultats au profit des listes des grands partis. L'objectif tant proclamé de la formation de pôles consistants et cohérents serait ainsi favorisé. Implications électorales Même si cette construction constitue un progrès vers une revalorisation des enjeux politiques des élections, on peut s'interroger sur la menace que feraient peser d'une part une faible participation de l'électorat potentiel et d'autre part la mobilisation de tous les mouvements islamistes, Al Adl Wal Ihsane y compris, pour engranger le plus de voix possibles au profit des listes du PJD. Le taux de participation serait en rapport avec les degrés variables de politisation de l'électorat et avec les capacités de mobilisation des partis et de leurs candidats. Au sein d'une même circonscription provinciale ou préfectorale, ce taux peut être très inégal. Un tel aléa serait mis à profit par les adeptes des anciennes méthodes (achats des voix dans des concentrations comme les bidonvilles) tout aussi bien que par ceux qui misent sur la dépolitisation et la détresse sociale de larges couches pour récupérer leurs voix sous la bannière sacralisée du « référentiel » religieux. Avec le nouveau mode de scrutin et le nouveau découpage électoraux, il s'avère essentiel que le débat soit plus que jamais clarifié par le biais des grands médias (télévision notamment) sur la signification des élections et sur les risques de la confusion entre les enjeux politiques et la référence à la religion. Maintenir l'ambiguïté et les non-dits à ce propos peut s'avérer très dangereux, compte tenu du fait que la porte serait ainsi largement ouverte aux surenchères entre discours et mouvements islamistes à l'avenir. Au lieu d'une rationalisation du champ politique, on risque plutôt de donner libre cours à la régression et au confusionnisme. Il est évident que les partis de la Koutla sont ici fortement interpellés comme héritiers du mouvement national et comme porteurs, depuis des décennies, des revendications de réformes démocratiques. Le RNI est lui aussi mis au pied du mur et devra opérer sa mutation entre rassemblement de notables plus ou moins modernisants et parti libéral plus cohérent. Le Mouvement Populaire saura-t-il, pour sa part, surmonter ses archaïsmes et ses atavismes clientélistes pour se forger une identité moins floue, mieux acquise au pluralisme culturel qu'il veut défendre et plus ouverte aux valeurs démocratiques ? Réforme de la constitution La réforme du code électoral a ainsi des implications et des enjeux qui vont bien au-delà des seuls mécanismes électoraux. En favorisant la concentration et la polarisation des forces politiques, elle contraint celles-ci à plus de cohérence et de mobilisation, sinon de crédibilité. Elle implique aussi que l'ensemble du champ politique soit interpellé sur le choix de société et sur l'avenir du modèle « démocratique moderniste » face aux menaces qui se profilent à l'horizon. C'est dans ce contexte que la question de la réforme constitutionnelle est revenue à la surface. A l'initiative du groupe parlementaire de l'USFP, une rencontre a été organisée entre députés et membres de l'IER (Instance équité et réconciliation) pour débattre des recommandations de cette dernière. On sait que l'IER avait invoqué la nécessité de réformes constitutionnelles pour consolider l'Etat de droit et prévenir les abus du système à l'origine des graves violations des droits humains. Pour sa part l'USFP avait dans son dernier congrès, en juin 2005, avancé ses propositions concernant une révision qui consacrerait la nomination du premier ministre au sein du parti arrivé premier aux élections et renforcerait ses prérogatives en tant que chef du gouvernement avec une plus large latitude en matière de nomination aux hauts postes de l'administration. L'USFP s'était aussi exprimée pour un renforcement du rôle du Parlement en matière législative et de contrôle de l'exécutif avec une réduction drastique du rôle de la chambre des conseillers qui n'aurait plus la compétence de censurer le gouvernement et serait une sorte de sénat représentant les collectivités locales. Lors de la rencontre avec les membres de l'IER, le débat a pu porter sur un élargissement des prérogatives du gouvernement et du Parlement qui concernerait aussi les budgets et le fonctionnement des forces armées. Le premier secrétaire de l'USFP, Mohamed Elyazghi, avait à l'occasion de la tenue de plusieurs congrès régionaux de ce parti, souligné que la phase de transition était consommée et devait s'achever pour déboucher sur un système d'alternance démocratique sans mélange. L'accent est mis sur une parfaite entente avec le roi pour mener à bien ce processus. A quelques nuances près, l'Istiqlal et le PPS soutiennent la même position et l'idée d'un mémorandum de la Koutla sur la réforme de la constitution semble faire du chemin. Le sujet suscite nombre de discussions et de prises de position qui se veulent plus ou moins radicales, notamment dans les petites organisations de gauche. Pour le PSU (parti socialiste unifié), cette réforme constitue « un préalable » sans lequel rien ne saurait être entrepris. Alors que ses courants semblent mettre un bémol à leurs divergences chroniques, le PSU se concentre sur l'élaboration d'un projet de constitution révisée en profondeur qu'il veut soumettre à l'appréciation de l'opinion publique. Limites de l'abstraction Il reste cependant que le débat sur la réforme constitutionnelle, pour nécessaire qu'il soit, ne saurait verser dans l'exercice abstrait ignorant superbement le poids et la nature des réalités politiques ambiantes. Il n'existe pas de modèle constitutionnel démocratique parfait, applicable clé en main, en tout lieu et à tout moment. Dans un contexte où les forces anti-démocratiques ne sont plus, comme auparavant, concentrées dans l'appareil d'Etat mais se profilent davantage à travers une mouvance plus ou moins obscurantiste à vocation répressive dans la société, il est difficile de se contenter de constructions abstraites idéales en matière constitutionnelle. Il est essentiel que les pratiques démocratiques soient renforcées sur le plan institutionnel mais il est tout aussi essentiel que les valeurs et la culture démocratiques soient davantage cultivées, enracinées et préservées. Sur ce dernier plan, on est encore loin du compte et les forces qui doivent porter et assumer ces valeurs ont beaucoup à faire pour y parvenir. Toute réforme constitutionnelle doit de ce fait veiller à prémunir l'évolution démocratique contre tous débordements visant sa négation.