Une matinée au tribunal de la famille de Casablanca. Là où on ramène tout le linge sale que l'on n'a pas réussi à laver en famille. Toutes sortes d'émotions et souvent beaucoup de rancœur s'entremêlent dans les couloirs du tribunal qui croule sous les interminables problèmes de ménages… A l'entrée du Tribunal de la famille de Casablanca, l'ambiance s'annonce d'emblée électrique. Deux femmes, paraît-il une jeune femme et sa belle-mère, se traitent de tous les noms. Des agents de police, des personnes entrant et sortant du tribunal ou autres habitués des lieux accordent à peine de l'importance à cet accrochage qui semble faire partie du décor. En effet, la tension est grande dès que l'on franchit le seuil du Tribunal. Beaucoup de bruits dans les couloirs et énormément d'agitation. Les femmes sont étrangement plus visibles que les hommes, peut-être parce que souvent plus nerveuses au vu de la situation. Toutes munies du nécessaire de documents dont elles ignorent même, parfois, la nécessité, voire le contenu. «Je garde des photocopies de tous les documents qui sont chez mon avocate. Je lui demande de m'en faire des copies et de m'en expliquer le contenu, même si, à force d'en avoir, j'en oublie souvent le contenu…», reconnaît, avec le sourire (quand même!), cette femme d'un certain âge qui divorce, après 12 ans, d'un mariage qui a fait 3 enfants. «Mon divorce est déjà consommé. J'ai la garde de mes enfants puisque, de toute façon, leur père n'en veut pas, donc je n'ai pas eu de problème à ce niveau-là. Seulement, il refuse tout aussi bien de les prendre en charge financièrement», explique-t-elle. «Je ne sais ni lire ni écrire, je ne comprends rien aux droits des femmes, ni à la nouvelle Moudawana dont on parle sans cesse…, mais je suis prête à me battre pour les droits de mes enfants. Ça, je n'ai pas besoin de lire les journaux pour le savoir. Je suis une mère…», nous dit, avec beaucoup d'énergie, la bonne femme avec son air bien décidé à mener à bout l'affaire contre son mari. Une jeune femme, attendant patiemment son avocat dans le hall du tribunal, écoute la conversation avec intérêt. Beaucoup plus jeune, visiblement moins dégourdie, elle intervient timidement : «Heureusement que je n'ai pas eu le temps de faire des enfants avec mon mari. Sinon, je ne sais pas comment je m'en serais sortie pour les éduquer sans lui». Si elle l'appelle toujours «mon mari», le couple est en instance de divorce et ce n'est plus qu'une question de temps. Fragilisée par ses problèmes de couple, elle ne se prive pas de pleurer : «Je n'ai pas encore fait un an de mariage que je divorce déjà. Le pire c'est que notre société est très dure à l'égard des femmes divorcées…, ce n'est pourtant pas moi qui ai provoqué la séparation !», se confie-t-elle. Qui a provoqué le divorce ? Qui en est lésé ? La réponse dépend de la version de chacun des conjoints. La faute à elle, selon lui et la faute à lui, selon elle ! C'est le scénario classique des ruptures. Un scénario d'autant plus présent lorsqu'on se tient devant un juge. Car plusieurs décisions de ce dernier en dépendent. Une scène “banale” de divorce La plus grande salle du tribunal de la famille est réservée aux affaires de divorce de toutes sortes. Deux rangées distinctes. Hormis dans les trois premières rangées, réservées aux avocats, aucun mélange de sexes n'est possible. Hommes et femmes se boudent… On vient divorcer et on ne se regarde même pas ! Les couples ou les désormais ex-couples au sein du tribunal de la famille ne sont plus qu'un numéro de dossier. En attendant que le juge fasse appel au numéro désignant leur tour, des femmes se montrent incontestablement bien plus bavardes que les hommes. Une manière, certainement, de se soulager : elles se partagent leurs histoires et expériences de couple… On discute même du prix que chacune a payé pour les prestations de son avocat ou, surtout, avocate. Car, il est évident, les femmes font le plus souvent appel aux services d'une femme pour les défendre : «Je préfère être représentée par une avocate. Parce que derrière sa tenue, il y a une femme avant et après tout. Qu'elle soit plus compétente ou moins compétente qu'un homme, je n'en sais rien. Mais personnellement, je trouve cela extrêmement rassurant…», explique l'une des femmes dans la salle. L'excès de bruit dans la salle est répétitivement amoindri par un rappel à l'ordre du juge. Ce dernier fait enfin appel à un numéro de dossier en précisant les noms des avocats et ceux des deux parties. Et c'est parti pour une scène «banale» de divorce. Les époux se lèvent pour se mettre en face du juge, côte à côte, mais en s'évitant au maximum du regard. Encore quelques détails à trancher et le divorce seras définitivement prononcé… On commence par reprocher au mari de ne plus prendre en charge financièrement sa femme : «Elle a quitté notre maison pour aller chez sa mère pour deux mois ! Je ne lui ai jamais demandé de partir, mais si elle a décidé de le faire, c'est qu'elle n'a plus besoin de moi…», se justifie-t-il. Il n'en sera pas pour autant moins blâmé par le juge qui se trouve être une femme. Celle-ci fait, tout de même, une dernière tentative de réconciliation avant de prononcer le jugement. Elle s'adresse à la femme en premier, lui demandant si elle avait bien réfléchi avant de prendre la décision définitive de divorcer. Réponse spontanée d'une femme qui tient à son mari, ou simple «technique» pour tirer le maximum de profit du divorce ? Toujours est-il que la jeune femme répond : “Moi, je suis prête à essayer de régler les choses…” Elle n'a pas encore terminé sa phrase que le mari intervient pour mettre fin à toute discussion dans ce sens. «Non, il n'y aura plus de réconciliation. Le divorce est la meilleure solution…», lance-t-il pour tout commentaire. La réaction de cet homme n'a pas manqué d'indigner plus d'une au sein de la salle. «Tu vois comment ils peuvent être durs ?», lance l'une de ces femmes en procédure de divorce et qui se trouve être, en ce moment, très sensible à ce genre de scènes. D'autres femmes prennent les choses avec beaucoup moins de sensibilité. Celles surtout qui ont déjà consommé leurs divorces, l'heure étant au règlement des affaires de la garde des enfants ou des problèmes encore plus ennuyeux pour les hommes, relatifs à la “Nafaka” et autres tracas financiers. Tout ce qui n'est pas divorce est donc réglé dans un autre pavillon aux salles plus petites et plus intimes. Là-bas, on pleure et stresse moins. Les protagonistes ayant souvent pris l'habitude de se retrouver devant un juge…