Nass El ghiwane ne peuvent être confinés aux personnes qui formaient ce groupe mythique. La pratique des ghiwanes est une coutume ancestrale qui conférait à des gens connus pour leur honnêteté et leur modestie la faculté de décrire par le chant et la parole la vie quotidienne, les problèmes de leurs semblables. Considérée comme phénomène de société, la formation mythique que Martin Scorsese, le réalisateur américain, a décrite comme les Rolling Stones de l'Afrique continue à produire après presque 30 ans d'existence. Le groupe continue à émouvoir aussi bien les nostalgiques qu'une tranche appréciable des jeunes. Dignité, humilité, talent à l'état brut. Histoire d'un mythe. Au début des années 60, un quartier de Casablanca, Hay Mohammadi, enfantera les cinq garçons qui vont révolutionner le champ artistique marocain. Omar Sayed et Boujemâa habitaient Derb Moulay Cherif, Larbi Batma était issu du kariane Jdid, et cette proximité culturelle et affective a été le ciment de ce groupe. Ils rejoigent la troupe de Tayeb Saddiki et introduisent dans son répertoire dramatique des chansons telle la mythique "qittati Essaghira". L'idée de créer un groupe a germé dans l'esprit de Larbi Batma et de Boujemâa lors d'une tournée théâtrale en France dans une volonté de perpétuer ce que leurs ancêtres ont transmis de génération en génération. Le premier Show eut lieu à Casablanca dans le restaurant le Nautilus à Ain Diab. Mais la consécration aura lieu au théâtre Mohammed V à Rabat en 1971. Les spectateurs étaient ravis, car emportés par le rythme et enthousiasmés par des textes qui les touchaient directement. Tout le monde sentait cette opposition symbolique entre deux genres de chansons : l'une conventionnelle et statique, l'autre militante et prometteuse. Les nouvelles chansons de Nass El Ghiwane avaient pour titres : "Ciniya", "Ya bani l insân", "Ahl el hal". Nass El Ghiwane ne pouvaient soupçonner ce que leur prestation allait réveiller en un public avide de renouveau à l'aube des années 70, années difficiles sur le plan social et politique. Nass El Ghiwane, par leurs habits de scène, par les instruments traditionnels utilisés, et par leur touchante faculté à saisir les malaises ambiants, communièrent avec le public. Ils devinrent par la suite la voix des opprimés, des contestataires étudiants . A une époque où une simple déclaration conduisait au cachot, Nass El Ghiwane dénonçaient via leurs chants les responsables corrompus. Dans la décennie 80, on a assisté à l'enlisement progressif de la chanson marocaine façon Nass El Ghiwane. Après une volonté sincère de rénovation musicale, elle s'est répétée, alors que les nouveaux groupes censés dynamiser le paysage musical sont largement en en-deçà de leurs aînés du début des années 70. Cette situation est tributaire des mutations sociologiques et démographiques qui ont vite tempéré l'ardeur de la nouvelle chanson et de son public. Après quelques décennies, le groupe existe encore pourtant que de crises ont jalonné le parcours ! L'une des chansons tire augure de cette situation ("Daqqa tab'â daqqa...", (Coup après coup...) et à trois reprises au moins le groupe a été menacé de dislocation : d'abord à la mort de Boujemaâ (dit Boujmiî) le 26 octobre 1974 ; ensuite pendant la maladie et la mort de Batma en 1997 et enfin après le départ fracassant de Abderrahman Kirouj la même année. Des premiers Nass El Ghiwane restent les deux vétérans Omar Sayed et Allal Yaâla : Omar le modérateur a acquis suffisamment d'expérience pour sauver le groupe ; Allal est la force tranquille qui cache un caractère difficile ; Rachid Batma (le frère de Larbi) a prouvé qu'il n'est pas ici par complaisance mais à cause d'un formidable sens du rythme et pour des qualités vocales certaines ; Rédouane, le dernier recrue, a certes appris à domestiquer le hajhouj, mais il a encore sur les épaules la pesanteur de l'image laissée par Abderrahman Paco. Il est vrai que le groupe se renouvelle autour de Omar et Allal, en tentant une recherche des rythmes et des textes, mais tout le monde est conscient que les choix sont limités car il existe une sonorité Nass El Ghiwane telle une empreinte spécifique mais aussi réductrice ; alors comment se rénover sans la trahir ?