Hier, les notables ont joué un rôle de "stabilisateur" dans la campagne. Tantôt comme intervenant direct tantôt comme arbitre. Le notable rural opérait la médiation entre la paysannerie et le makhzen en défendant les intérêts de la première sans compromettre ceux du second. Les "harkas" de Moha ou Said, l'Amghar des Ait sri, pour contenir la révolte de Rogui Bouhmara à Taza au début du siècle dernier, par exemple, ainsi que ses arbitrages qui ont éludé plusieurs conflits au Tadla Azilal sont célèbres. Cette symbiose entre makhzen et notables a permis d'équilibrer les rapports de forces politiques à la fin des années 50 tout en faisant du soutien inconditionnel de la paysannerie au trône une des larges bases sociales du régime. Pendant ce temps être notable, c'était "se rapprocher de la figure centrale du makhzen (sultan ou roi) et obtenir sa consécration". Car "chef naturel au sens d'un paradigme d'autorité, le notable opérait la médiation avec le chef suprême qui guide la nation". Avec l'arrivée de Driss Basri, cette conception s'est effilochée, le gouverneur "représentant de sa majesté" a pris le relais et les notables connaissent une sorte de "chasse aux sorcières". Construction d'un Etat moderne et décentralisation obligent. Cette nouvelle « gestion » rurale a germé d'apprentis notables, qui cherchent à supplanter les anciens en se faisant la guerre entre eux, pour se rapprocher des autorités au détriment, s'il le faut, des intérêts des populations. Cette nouvelle « donne » où les hautes autorités régionales jouent aux "maîtres" face aux "disciples", exacerbe certains conflits au lieu de les résoudre. Le dénouement dramatique du litige Fichtala/Ait said sur les droits de l'eau est encore frais dans les esprits. Aujourd'hui, selon la nouvelle constitution, article102 : "les gouverneurs représentent l'Etat et veillent à l'exécution des lois." Or l'Etat est un territoire, une population et des institutions. Les autorités régionales comme les notables se soucient peu de la population quand elle n'est pas simplement victime d'abus de pouvoir voire de caprices des uns et de calculs « politiciens » mesquins des autres. Cette connivence du dipôle makhzen/notables au Tadla Azilal contre la paysannerie, ne risque-t-elle pas de saper un consensus voire un des fondements du pouvoir, surtout quand on connaît la précarité de l'équilibre économique et social de notre campagne ? Ou est-ce simplement le syndrome du serpent qui mange sa queue ?