"A Mopti, c'est la chasse à l'homme. Les enquêtes ont montré que les islamistes ont déjà des représentants dans la ville. L'armée dispose d'une unité qui mène les enquêtes. Certains sont arrêtés et fusillés", raconte au téléphone un habitant de cette ville de plus de 100 000 habitants, située sur le fleuve Niger, au centre du pays. Les rumeurs se multiplient concernant des exactions de l'armée malienne contre des personnes soupçonnées d'appartenance et d'intelligence avec les groupes islamistes armés, qui ont conquis le nord du Mali. L'habitant de la ville, qui a préféré garder l'anonymat, dit avoir été témoin d'une exaction vendredi 11 janvier. Depuis la route qui longe un camp militaire situé non loin de l'hôpital de Mopti, il aurait vu un homme être fusillé par l'armée au sein du camp. Certaines personnes de son entourage lui ont dit avoir vu des personnes emmenées dans le cimetière et tuées. Dans la ville, les rumeurs font état de dizaines de cas. Mais rien ne permet pour l'instant de les accréditer. Des organisations de défense des droits de l'homme enquêtant sur ces allégations, notamment celles rapportées par cet habitant de Mopti, n'ont pas été en mesure à ce jour d'établir l'identité des victimes présumées. Mais elles confirment les soupçons de la Fédération internationale des droits de l'homme — la FIDH, qui enquête notamment sur dix cas présumés à Sévaré, un faubourg de la ville. Florent Geel, responsable du bureau Afrique de l'organisation, précise que la FIDH est "sûre à 100 % qu'une personne, accusée d'appartenance avec les groupes armés djihadistes et qui a pu être identifiée, a disparu. Des témoins l'ont vue être emmenée par des militaires. On pense qu'elle a été exécutée. On n'a pas encore d'éléments probants sur l'exécution. On enquête sur le cas de neuf autres personnes qui auraient été arrêtés et exécutées sommairement pour 'intelligence' supposée avec Ansar Dine". Des cas lui ont été signalés à Mopti, mais les témoins refusent d'en dire davantage aux organisations. "A mon avis, le phénomène est réel, même si l'on n'en connaît pas l'ampleur. Beaucoup de sources différentes l'affirment", assure-t-il. CONTRÔLES ET DENONCIATIONS Depuis que l'état d'urgence a été décrété au Mali, le 11 janvier, les contrôles militaires se sont multipliés, notamment autour de Konna, Sévaré et Mopti. A Sévaré, rapporte la FIDH, les services de sécurité maliens procèdent à des fouilles systématiques des passagers aux nombreux check-points, et ont appréhendé plusieurs personnes en provenance notamment de Konna en possession d'armes dissimulées dans leurs bagages. "On sait que des personnes ont été arrêtées avec des armes, et que certaines sont toujours détenues. On ne sait pas dans quelles conditions. Avec l'état d'urgence, on ne nous laisse pas entrer dans les camps militaires, notamment au sein du quartier général de l'armée à Sévaré, où sont détenues des personnes", précise Florent Geel. Les militaires enquêtent, viennent arrêter les suspects chez eux ou lors de contrôles dans la rue, confirme l'habitant de Mopti. Tout ce qui peut paraître suspect est à bannir, comme les longs manteaux d'hiver que portent habituellement les hommes de la ville. "Cela peut cacher des armes, c'est suspect", rapporte l'habitant. A partir de 19 heures, il n'y a plus personne dans les rues : les militaires ont ordre de tirer sur toute personne qui a un comportement suspect. Cette traque des islamistes présumés se fait avec le soutien et l'aide de la population. "La population est d'accord et aide l'armée en dénonçant ceux qui sont islamistes et sont pour la guerre. Depuis que les islamistes ont pris Gao, on connaît les personnes de Mopti qui ont dit être pour le djihad. Ces complices facilitent l'entrée des djihadistes dans les villes", affirme l'habitant. Mais, reconnaît-il, parfois un simple "doute" suffit, car "il ne faut pas perdre de temps", même si "beaucoup de gens pensent que des innocents sont également dénoncés". Parmi les organisations de défense des droits de l'homme, la crainte de voir des règlements de compte tourner en actes de vengeance est grande. "Mais on ne tue pas comme ça, il y a des enquêtes. On vous emmène dans le camp militaire et une commission vous interroge", assure l'habitant de Mopti. LA PEUR DES INFILTRATIONS Parmi les organisations de défense des droits de l'homme, la crainte est grande. "Ce phénomène est amplifié par trois considérations : la tension qui règne du fait du conflit ; l'infiltration des djihadistes jusqu'à Bamako et au sud du pays ; et les fortes tensions ethniques entre Songhaï, Touareg, Arabes et Maures notamment. Le risque de représailles est grand, notamment envers les Touareg, qui ont été vus nombreux à quitter Tombouctou et Gao après le début de l'intervention française", s'alarme Florent Geel. L'histoire de la prise, jeudi, de la ville-pivot de Konna, située à seulement 110 kilomètres de Mopti, illustre la peur des infiltrations. "Jeudi, c'est jour de marché à Konna et ils en ont profité. Les islamistes se sont déguisés en bergers, en transporteurs, en badauds pour entrer dans la ville et l'envahir totalement. Une fois entrés, ils ont tiré sur les militaires à la mitrailleuse", rapporte l'habitant de Mopti. L'intervention française qui a permis de chasser les islamistes de Konna n'a pas apaisé les peurs de la population de Mopti. "Ça fait six jours que l'armée française bombarde et tue à Konna, mais on nous a dit qu'il y a encore des rebelles cachés dans la ville. Ils sont prêts à tout pour s'immiscer au sein de la population", s'inquiète l'habitant. "On sait que les combattants djihadistes se cachent au milieu de la population et ont une stratégie de dispersion, confirme Florent Geel. Cela crée des inquiétudes, car ils ne sont pas toujours identifiables. Cela peut d'ailleurs donner lieu à des bavures." Des bavures que les organisations comme la FIDH appréhendaient dès le début des troubles au Mali, du fait notamment du manque de préparation des forces maliennes, mais aussi africaines. "L'armée malienne n'est pas formée, notamment au droit international, alerte Florent Geel. Jusqu'à présent, il a également manqué au Mali la volonté de structurer et d'équiper l'armée, par peur de coups d'Etat contre les dirigeants, d'où l'instabilité militaire et l'insubordination des forces armées. Ajouté au sentiment national d'avoir été humilié par des groupes armés et notamment des Touareg, cela donne un cocktail explosif." Source : www.lemonde.fr