Capitaine des Forces royales air marocaines et vétéran de la guerre du Sahara, Ali Atmane fait partie des plus de 2000 ex-prisonniers marocains (officier et sous-officiers compris et hommes de troupes) ayant connu les affres de la détention en Algérie. Il a passé 26 ans dans les bagnes du voisin de l'est. Dans cette première partie d'interview avec Hespress FR, le retraité des FAR revient sur la récente manifestation organisée par cette catégorie de militaires à Rabat et sur leur revendications qu'il juge « légitimes ». Un flashback nous permet également de plonger dans les abysses du conflit armé qui a embrasé ce vaste territoire sud du royaume entre décembre 1975 et septembre 1991. Depuis 2002 et le rapatriement des premiers régiments libérés, une nouvelle bataille a, semble-t-il, commencé pour eux, loin de la lutte pour l'intégrité territoriale. Entretien à cœur ouvert. Hespress FR: Dans que contexte s'inscrit le sit-in observé ce mercredi 3 avril à Rabat par les ex-prisonniers de guerre marocains au Sahara ? Ali Atmane: Les ex-prisonniers de guerre se sont réunis encore une fois dans la capitale. Malgré l'âge qui commence à peser sur eux, ils ont fait un effort pour venir de toutes les régions du Maroc exprimer leur mécontentement et leur malheur. Ils l'ont déjà fait plusieurs fois, sans réponse positive de la part de notre armée. Aujourd'hui ils paraissent décidés plus que jamais à faire parvenir leurs revendications au haut sommet de l'armée, voire même à Sa Majesté. Ces ex-prisonniers sont des gens qui se sont battus au Sahara et qui ont été fait prisonniers dans des circonstances qu'on comprend, nous les gens du métier. Les civiles pensent qu'ils se sont redus lâchement et ont été capturé pour rien du tout. Pensez-vous que le nombre élevé de prisonniers de guerre marocains serait dû à la nature de l'affrontement militaire au Sahara, et non au rapport de force qui balançait plutôt en faveur du Maroc ? Ce que beaucoup de gens ignorent, c'est que la méthode pratiquée par le front du Polisario était celle de la guérilla. L'ennemi avait une armée de près de 12.000 hommes. Le Maroc en avait jusqu'à 200.000, mais éparpillés sur des postes bien déterminés. La règle de la guérilla, telle que conçue par von Clausewitz ou Mao Tse Tung consiste à surveiller, observer et étudier en permanence chaque position à distance pour déterminer le nombre de soldats marocains défendant leurs positions, et d'envoyer de temps en temps des tirs pour provoquer une riposte qui leur permet de déterminer les armes adverses. Quand les Algériens décidaient d'attaquer une position dans le but d'appuyer une victoire, ils envoient des effectifs pour attaquer à 5 contre 1. Si une position marocaine est défendue par 100 soldats, on lui envoie au moins 500 soldats. On lui envoie également un armement supérieur à celui des Marocains. Nous savions que le Polisario avait toujours un armement en avance par rapport au Maroc et le dépassait de loin. Parce qu'à l'époque, le colonel Kadhafi payait tout, et les Algériens n'avaient qu'à commander ce qu'il fallait pour faire le maximum de mal aux Marocains. L'ex URSS vendait un armement de dernier cri, moyennant l'argent que versait le colonel grâce au pétrole libyen. Le Maroc n'avait pas les moyens de suivre cette évolution et d'être à jour. Avec cette méthode de 5 contre 1, le Polisario arrivait à neutraliser plusieurs positions marocaines en faisant à chaque fois plusieurs prisonniers. Heureusement pour nous, eux aussi avaient des pertes. C'est ce que le Marocain lambda ne peut pas comprendre si on ne lui explique pas. Il faut connaitre cette règle pour comprendre le phénomène de la guérilla. Que répondre dans ce cas aux allégations prêtant aux éléments emprisonnés des FAR des défauts de faiblesse ou de manque de bravoure ? Je demande à ces gens là de se cultiver pour avoir une vue plus large des possibilités humaines et comprendre qu'il n'y a personne qui veut, de lui-même, se faire prisonnier. Personnellement, je me battais avec des avions F-5. J'étais le patron des avions de chasse qui opéraient au Sahara et j'intervenais au même titre que les autres pilotes. Je les désignait en suivant un ordre pour intervenir. Et quand mon tour arrivait, je partais. C'est ce qui est arrivé le jour de ma capture. Pouvez-vous nous racontez les circonstances de votre emprisonnement ? J'ai pris mon F-5 pour appuyer une unité de l'armée de terre, accrochée par le Polisario pas loin de Boujdour, à un endroit qui s'appelle Leïtima. Le temps était un peu nuageux, ce qui m'a obligé à baisser d'altitude pour voir les combattants ennemis sur lesquels je devais tirer. À la troisième passe, mon avion a été atteint par un missile. Le feu était partout. J'étais obligé de m'éjecter. C'est évidemment des éléments du Polisario qui sont venus me chercher. Je ne vois pas comment est-ce qu'on peut me reprocher d'avoir failli à mon devoir. La seule condition qui me restait pour ne pas me faire prisonnier était de me suicider. J'avais à un moment donné l'intention de le faire mais je me suis dit : « merde ! 7 ans de prison et je reviens pour voir mes enfants ». J'ai choisi de rester vivant et j'en ai souffert. J'ai supporté cette souffrance avec fierté et dignité parce que moi aussi je combattais et faisais le maximum de dégâts à chaque fois que l'occasion m'était donnée. Je crois avoir bien utilisé l'armement que mon pays a mis à ma disposition. Et je ne regrette rien après ma capture. Ce qui m'a vraiment fait mal est mon retour au Maroc après 27 longues années d'emprisonnement et de travaux forcés où j'ai vu mes frères crouler sous la torture et la fatigue. Qu'est ce qui vous a le plus touché en retournant à la mère patrie ? J'ai fait partie des libérés en 2003, nous avons été reçus comme des indésirables, des malotrus. Durant les 18 jours qui ont suivi notre atterrissage à base militaire d'Inezgane (sud d'Agadir), nous étions placés sous garde, comme si c'était une continuité de la prison. Un gendarme était placé devant les portes de nos chambres. On nous livrait les repas dans nos chambres. J'avais le droit de voir ma femme pendant 10 minutes seulement. Mon fils s'était battu pour pouvoir me voir. De jour en jour, les conditions ont évolué progressivement alors que normalement, sur le plan psychologique, le passage d'une situation de prisonnier de guerre à celle d'homme libre retrouvant sa propre société s'accomplit avec des rites, avec quelque chose qui marque ce passage, afin de faire le deuil d'un passé lourd, amer, et poser le bon pied dans la nouvelle vie de liberté. Ce passage pouvait être marqué par une réception pour souhaiter la bienvenue aux prisonniers. Ça n'a pas été fait. Quel type de responsables avez-vous rencontré en retournant au Maroc et pour vous dire quoi ? On nous a conduit de l'avion en nous sommant de suivre une allée tracée à l'occasion pour nous diriger jusqu'à nos chambres. Les 18 jours passés à Inezgane étaient pour accomplir des formalités: une visite médicale assez superficielle avec une enquête bidon. Car, ce que j'avais dit au cours de mon interrogatoire n'est pas ce que j'ai trouvé dans le PV. Je l'ai signé parce qu'il ne porte pas plus que ça atteinte à ma personne. Rien que pour pouvoir partir. On nous a dit qu'il n'y aura ni avancement de grade ni réintégration dans l'armée. Le tout, sans solde. On s'est battu contre le général Bennani jusqu'à obtenir la double solde correspondant au temps passé en prison. C'est un acquis qui nous a permis de rentrer à la maison avec un peu d'argent. Les médias marocains étaient-ils là pour rendre public votre libération ? Il nous était interdit de voir les journalistes. Aucune présence médiatique n'a été faite. Et si jamais un journaliste m'aurait approché, je n'aurais jamais osé dire du mal de mon pays. J'ai appris à lutter en prison. Je me battais tous les jours pour rester marocains alors qu'on voulait faire de nous des anti-marocains. Combien de geoliers passaient en nous crachant dessus sans rien pouvoir faire. J'ai supporté les crachats et insultes et violences. Ils voulaient que j'enseigne et instruise les leurs. Je l'ai refusé. Un traitement dure et au quotidien. Ils ont voulu que je passe à la radio pour insulter mon pays et j'ai refusé. J'ai perdu la peau de la plante des pieds en restant impotent pendant trois mois. Même avec des cannes, je ne pouvais plus bouger rien que pour rester marocain. Quel contact avez-vous pu entretenir avec l'armée par la suite ? Nous sommes partis par nos propres moyens, comme des indésirables. Je les avais prévenu en disant que c'était une volonté manifeste de créer des mécontents au Maroc. Ils y sont arrivés. Le cœur du problème que nous avons aujourd'hui avec notre armée est celui des indemnisations que nous, ex-prisonniers, réclamons. Ce qui se dit est qu'elles ont bien été payés mais pas pour les bonnes personnes. Réellement des moyens financiers ont été mis en œuvre sans atteindre les ex-prisonniers, et que d'autres ont pu en profiter indûment. Je ne saurais vous dire qui sont exactement ces gens. Mais en tous cas, j'ai personnellement essayé par tous les moyens d'améliorer ma situation en me privant de beaucoup de choses pour acheter auprès de l'Agence de logements et d'équipements militaires (ALEM) en payant comme tous les autres marocains. A chaque fois que j'ai demandé quelque chose, le général Bennani (inspecteur général des Forces armées royales marocaines de 2004 à 2014, NDLR) donnait son accord car il me connaissait très bien. Je lui disais que si vous trouvez que j'ai failli quelque part avant ma capture, ou que je me suis mal conduit après ma libération, je suis là pour casquer. J'aimerais bien qu'on fasse une enquête en demandant aux gens encore vivants d'attester comment je me battais et gérais mon équipe de pilotes à l'époque, jusqu'au jour où j'ai ramassé le missile. On m'a littéralement jeté pour vivre avec la retraite correspondant à mon grade de capture capitaine, mes camarades de promotion généraux et colonels majors; ce n'est pas normal. Les sous-officiers qui étaient sous mes ordres sont partis à la retraite avec le grade de colonel. C'est anormal. J'ai tout fait pour mon pays et je demande réparation, comme tous les autres ex-prisonniers de guerre.