Au Maroc, la vague des suicides devient alarmante, surtout après les dernières révélations de la presse sur le nombre élevé des cas enregistrés dans la région de Chefchaouen. La société civile, qui fait état de près d'un cas de suicide tous les six jours en 2019, tire la sonnette d'alarme. Hespress FR a interrogé des spécialistes. Les dernières enquêtes menées sur le terrain par les acteurs associatifs révèlent que les personnes se donnent la mort par pendaison, sans laisser un véritable indice justifiant leur acte de désespoir. Le dernier en date remonte au 28 février, lorsque les services de la gendarmerie royale ont découvert le corps sans vie d'un homme âgé dans son appartement situé au Douar Al Wassti, dans la commune de Fifi. Cette situation a poussé les autorités locales à mettre en place une nouvelle structure chargée d'accueillir les personnes les plus vulnérables, notamment celles qui souffrent de troubles psychiques. Les jeunes vivent dans un monde plus virtuel D'après Soumaya Naamane Guessous. sociologue, professeur universitaire et experte consultante internationale, il n'existe aucune étude fiable sur ce phénomène. Elle explique qu'aujourd'hui, « les jeunes vivent dans un monde plus virtuel qui ne correspond pas toujours à leur réalité ». Et d'ajouter que « le manque de confiance en soi et en l'avenir, la dévalorisation de soi, le désespoir et la désespérance favorisent l'idée de passer à l'acte et s'autodétruire ». Selon la spécialiste, l'exclusion, la perte de dignité et la non satisfaction des droits les plus élémentaires, notamment le droit légitime au travail, sont les principales raisons qui conduisent les jeunes à l'acte extrême. Pour combattre ce phénomène, la sociologue indique qu'il faut « créer des centres d'écoute académiques au niveau des écoles, où les troubles psychologiques doivent être suivis aussi bien par des psychologues que par les parents. Aussi, faut-il une intervention urgente et un suivi par les autorités de la santé ». Le phénomène demeure une énigme Pour Sourire Reda, association marocaine pour venir en aide aux jeunes en souffrance et prévenir le suicide, « le sujet est difficile à aborder et le phénomène demeure une énigme pour la plupart des gens. Pour tenter d'expliquer l'inexplicable, certains ont parfois recours à des mythes, fausses croyances ou préjugés causés par la peur ou le manque de connaissances. Malheureusement, ces idées fausses favorisent souvent l'inaction », lit-on sur son site officiel. Meryem Bouzidi Laraki, présidente de Sourire Reda, affirme qu'il « arrive parfois que la période de l'adolescence devienne trop difficile à traverser et que le malaise conduise à l'isolement. Enfermé dans sa solitude et ses angoisses, un jeune peut se mettre en danger, être violent envers lui-même ou envers les autres, jusqu'à avoir des pensées suicidaires et même passer à l'acte". Et de conclure: "le rôle de l'entourage est primordial pour soutenir un jeune en détresse ». Pour sa part, Hicham Benyaich, chef de la médecine légale au CHU Ibn Rochd et professeur de médecine légale à la Faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca, « le taux de suicide reste inconnu puisque nous ne disposons pas encore de tableau de mortalité au Maroc ». Par contre, il annonce que le ministère de la Santé travaille actuellement sur une nouvelle stratégie multisectorielle sur la mortalité par suicide. Pour réaliser cette étude, le ministère a fait appel à un expert international. Un véritable problème de santé publique Il faut noter que le rapport sur le suicide au Maroc, publié en 2017 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), indique que « parmi les méthodes de suicide les plus répandues au Royaume figure l'absorption de pesticides, ce qui impose aux autorités de mettre beaucoup de restrictions à obtenir ces pesticides incriminés pour réduire ce chiffre dramatique« . D'après l'OMS, il s'agit d'un véritable problème de santé publique qui touche les pays du monde entier, mais qui peut être évité grâce à des interventions menées en temps opportun, fondées sur des données factuelles et souvent peu coûteuses. L'OMS souligne que près de 800.000 personnes mettent fin à leur vie chaque année et beaucoup d'autres font une tentative de suicide. Le suicide est aussi la deuxième cause de mortalité chez les 15-29 ans. «Si le lien entre suicide et troubles mentaux (en particulier la dépression et les troubles liés à l'usage de l'alcool) est bien établi dans les pays à revenu élevé, de nombreux suicides ont lieu de manière impulsive dans un moment de crise et de défaillance de l'aptitude à faire face aux stress de la vie, tels que les problèmes financiers, une rupture, une maladie ou une douleur chronique. De plus, les conflits, les catastrophes, la violence, la maltraitance ou un deuil et un sentiment d'isolement sont fortement associés au comportement suicidaire», explique l'OMS.