Dans un autre tournant, les syndicats continuent de rejeter catégoriquement les dispositions restrictives contenues dans le projet de loi organique sur le droit de grève, revendiquant au gouvernement de le retirer du Parlement et de le renvoyer à la table des négociations sociales, d'autant plus que des institutions constitutionnelles ont détecté plusieurs lacunes et dysfonctionnements dans ce projet. Il est indéniable que les grèves se propagent d'un secteur à l'autre. En réponse, le gouvernement envisage d'étouffer la voix des manifestants avec des réglementations jugées "strictes et qui balaye d'un revers de main les droits humains". Faisant partie des instances réfutant ce projet de loi, la Confédération démocratique du travail (CDT) a récemment adressé une missive aux présidents des groupes parlementaires, les plaçant face à leurs responsabilités dans la négociation de ce projet de loi organique, en les alertant sur ses faiblesses et en les exhortant à encourager le gouvernement à le renvoyer aux négociations sociales. La CDT a informé les parlementaires que le projet enfreint les principes de l'Organisation internationale du travail (OIT), ses recommandations et ses déclarations ratifiées par tous les États membres. Le projet ne respecte pas non plus l'esprit de la convention internationale n°87 relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical, que le Maroc n'a toujours pas ratifiée, bien qu'elle soit considérée comme obligatoire, car elle fait partie des conventions internationales fondamentales. Consciente des enjeux qui entourent ce projet, la CDT a, en plus, précisé que "le projet est contraire à la base de sa constitutionnalisation, qui repose sur la garantie de ce droit et sa légitimité historique, ainsi que sur le droit pour tous les citoyens de l'exercer. Il va également à l'encontre des missions constitutionnelles des syndicats". La Confédération a ajouté que "le projet n'inclut pas de préambule ou de note explicative définissant que le droit de faire grève est constitutionnellement garanti, consacré par la législation, les conventions et les traités internationaux". Il s'appuie sur des définitions et des concepts incomplets, utilisant un jargon éloigné des droits fondamentaux et des définitions de l'OIT, cherchant à restreindre ou à empêcher l'exercice de ce droit, à affaiblir le mouvement syndical et à laisser place à une large interprétation. En outre, pour la CDT, le projet limite le droit de grève aux employés des secteurs public et privé, excluant de nombreuses catégories de la société, telles que les professionnels, les étudiants, les travailleurs indépendants et d'autres, ce qui contredit l'article 29 de la Constitution. Il restreint également l'exercice du droit de grève, réduisant ses domaines d'application à un point où il devient pratiquement sans effet, interdisant de manière explicite ou implicite de nombreuses formes de grève. A cet effet, l'institution syndicale a, en outre, attiré l'attention sur le fait que le projet instaure une procédure complexe et dissuasive pour déclarer une grève, rendant la réalisation d'une grève légitime quasi impossible en raison de la procédure de notification. La missive adressée aux chefs des groupes parlementaires a pointé du doigt que le projet de loi implique des mesures d'intimidation, menaçant les travailleurs avec des sanctions pénales plus sévères et des compensations financières pour les pertes subies. Elle a précisé que ce projet favorise les employeurs en leur accordant le contrôle sur le pouvoir administratif et exécutif de l'entreprise, ainsi que sur les pouvoirs législatif et réglementaire, tout en maintenant leur autorité disciplinaire. Le projet ouvre également la voie à l'intervention des pouvoirs publics dans l'exercice du droit de grève, notamment en suspendant les grèves dans les services essentiels. Parmi les autres dysfonctionnements soulignés par la CDT, le projet étend de manière injustifiée les catégories et secteurs privés du droit de grève, interdit aux grévistes d'occuper les lieux de travail pendant la durée de la grève, et d'autres restrictions similaires. La CDT a, de surcroît, informé les chefs des groupes parlementaires qu'il n'y "avait eu aucun consensus sur le projet de loi organique relatif au droit de grève, et que le gouvernement n'avait pas respecté ses engagements inclus dans l'accord social, ce qui va à l'encontre du slogan de l'État social et contredit le discours sur l'importance du dialogue social". Le gouvernement a également ignoré les avis du Conseil économique, social et environnemental ainsi que du Conseil national des droits de l'Homme. Dans la même veine, la missive de la CDT affirme que "le gouvernement a choisi une approche unilatérale qui affaiblit l'institution du dialogue social en tant que cadre de négociation sur toutes les questions sociales, ne tenant pas compte de l'approche qui avait conduit à l'adoption unanime du Code du travail, fondée sur la négociation et le consensus entre les parties prenantes". Elle a ainsi exhorté les groupes parlementaires à accorder au projet de loi organique sur le droit de grève l'importance qu'il mérite et à demander au gouvernement de le renvoyer à la table des négociations sociales afin de parvenir à un consensus conforme à la Constitution et aux conventions internationales.