L'affaire de « la fille de Tifelt » a provoqué une onde de choc sur les réseaux sociaux et dans l'opinion publique en 2023. Cette affaire, mettant en cause une fillette de 11 ans, a révélé des viols répétés perpétrés par trois adultes. Le verdict initial, rendu en mars 2023 par la chambre criminelle de Rabat, a choqué par sa clémence : 18 mois de prison pour deux accusés, et deux ans pour le troisième. Cette décision clémente a suscité une réaction furieuse de la société civile, entraînant une pression intense pour que les peines soient révisées en appel. En conséquence, les peines ont été réajustées à 10 et 20 ans de réclusion, respectivement. Suite à la publication de cet arrêt par la CSPJ, on estime que les juges de première instance ont « commis une faute professionnelle » en rendant un verdict aussi indulgent. Cette interrogation a été traitée le 20 février dernier, un an après le jugement en appel, lorsque le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) a décidé de sanctionner trois magistrats impliqués dans l'affaire. Les sanctions ont été décidées à l'issue d'une enquête menée par l'inspection générale du pouvoir judiciaire, ouverte après des plaintes d'associations marocaines et une lettre adressée au procureur général de la Cour d'appel de Rabat. Le document sanctionnant ces juges, disponible que récemment sur le site du CSPJ et dont Hespress FR détient une copie, révèle que les trois magistrats ont été temporairement exclus de leurs fonctions, sans rémunération sauf pour les allocations familiales, et ont été mutés d'office. Ces mesures, après révocation et mise en retraite, représentent l'une des sanctions les plus sévères que le CSPJ pouvait appliquer, présidé par le Roi, le 20 février 2024. Il est important de rappeler que les juges en question avaient initialement prononcé une peine réduite en raison de « circonstances atténuantes » accordées aux accusés, dont l'un avait été reconnu coupable d'attentat à la pudeur avec violence sur mineure, un crime qui avait conduit à la grossesse de la fillette, selon un test ADN. Une infraction passible de 20 à 30 ans de réclusion. Le jugement initial avait été justifié par « la situation sociale » des accusés, « l'absence d'antécédents judiciaires » et la perception que « la sanction prévue par la loi était sévère par rapport à la gravité des faits« . Ces justifications sont liées aux « circonstances atténuantes« . Actuellement, la critique porte sur l'excès dans l'atténuation des peines, en particulier pour l'accusé condamné à deux ans de prison. Ce dernier, selon le Code pénal (article 147), aurait dû purger une peine minimale de cinq ans, même en tenant compte des circonstances atténuantes, avec une fourchette de peine de 5 à 20 ans. Le CSPJ juge que les sanctions initiales étaient « en dessous du seuil légal » et qu'elles ont violé « les normes régissant les circonstances atténuantes« , qualifiant ce manquement de « violation flagrante et insensée de la loi applicable au fond« . Il s'agit donc d'une « faute grave » selon la loi organique régissant le statut des magistrats, entraînant la suspension immédiate des juges concernés. Pour se défendre, les conseillers ont tenté de faire valoir l'absence d'une interdiction légale de prononcer des peines en-dessous du seuil prévu pour les faits incriminés, face à l'inspection judiciaire et au CSPJ. Sollicitée à ce sujet par Hespress FR, Ghizlane Mamouni, présidente de l'association Kif Mama Kif Baba, a estimé que l'affaire de la petite de Tiflet a cristallisé l'échec de notre société à protéger ses enfants. « Kif Mama Kif Baba avait appelé à l'époque (avec d'autres) à ce que des sanctions soient prises à l'encontre des magistrats de première instance qui avaient prononcé des peines extrêmement clémentes à l'encontre des pedocriminels reconnus coupables. Nous nous réjouissons que notre appel ait été entendu et ces sanctions inédites nous redonnent la foi dans notre système judiciaire« , nous confie la militante. Enfin, Ghizlane Mamouni exprimé son souhait » que cela serve d'exemple à tout magistrat qui aurait en tête de retenir des circonstances atténuantes au profit de prédateurs sexuels. En attendant la réforme (qui tarde à venir) du code pénal qui, nous l'appelons de nos vœux, interdira aux juges toute possibilité de retenir des circonstances atténuantes pour baisser les peines de tous les agresseurs sexuels « , a-t-elle conclut.