Dans une décision aussi inattendue que symbolique, le Royaume du Maroc vient de franchir un pas décisif dans la gestion du délicat dossier du cannabis. La récente grâce royale accordée à plusieurs cultivateurs de cannabis détenus dans les prisons du pays suscite à la fois surprise, espoir et satisfaction. Ce geste, en apparence audacieux, s'inscrit pourtant dans une stratégie de longue haleine visant à redonner une dignité à ces agriculteurs qui, pendant des décennies, ont navigué entre l'ombre et la lumière. Aujourd'hui, ils peuvent, théoriquement du moins, cultiver leur kif en toute légalité, sous réserve de respecter les cadres du cannabis licite instauré par l'État. El Guerrouj : la grâce royale incitera les cultivateurs à « s'activer dans la régularisation du cannabis » Le directeur général de l'Agence nationale de régulation des activités liées au cannabis (ANRAC), Mohammed El Guerrouj, a souligné que la grâce royale en faveur de milliers de personnes poursuivies pour des affaires liées au cannabis « reflète la bienveillance et la sollicitude royale envers cette catégorie ». Il a affirmé, dans une déclaration à Hespress, que cette mesure royale « apporte sérénité et apaisement aux agriculteurs et à leurs familles », contrastant avec « l'inquiétude qu'ils exprimaient lors des réunions avec l'Agence ». Selon El Guerrouj, cette grâce incitera les cultivateurs concernés à « s'engager activement dans la régularisation du cannabis », en tirant parti de leur expertise pour contribuer au développement de cette filière au niveau local et national. Il a ajouté que cette décision marque « une étape cruciale », orientant la transition des cultures illicites vers des pratiques légales et des alternatives durables. Enfin, le responsable a souligné que cette dynamique créera de nouvelles opportunités économiques pour les communautés locales et les acteurs privés, tout en améliorant les conditions de vie des cultivateurs dans un cadre légal structuré. La grâce royale, qui concerne 4 831 personnes à travers le pays, est perçue comme un levier essentiel pour réussir la régulation de cette culture. Entre soulagement et espoir pour une nouvelle ère économique La société civile n'a pas tardé à saluer cette décision. Pour beaucoup de militants, cette grâce n'est pas seulement une libération physique, mais également une reconnaissance morale du rôle que jouent ces cultivateurs dans l'économie locale. Ils soulignent que ces paysans n'aspirent pas à devenir des criminels, mais à vivre dignement de leur savoir-faire ancestral. Désormais, avec une réglementation claire, ils peuvent envisager un avenir valorisé, tout en bénéficiant d'un accompagnement étatique. En somme, l'approche actuelle semble, pour une fois, privilégier l'intégration plutôt que la répression. Plusieurs acteurs locaux se réjouissent de la grâce royale accordée aux cultivateurs de cannabis. Pour Abdellatif Adbib, président d'une coopérative à Issaguen (province d'Al Hoceima), cette décision marque « une renaissance » pour des milliers de familles autrefois fragilisées par les condamnations judiciaires de leurs membres. Il souligne que cette initiative « dissipe les craintes des cultivateurs » et les encourage à s'engager pleinement dans la production légale". Dans le même élan, Sharif Dardak, président de l'association Amazigh Senhaja du Rif, considère ce geste de « historique », comme "jetant les bases d'une « nouvelle ère économique » dans les provinces du Nord, où plus de 4 800 cultivateurs sont concernés. Pour lui, l'application de ce projet ne pouvait se faire sans une amnistie générale pour les petits agriculteurs. Enfin, Rachid Rakha, président du Congrès Mondial Amazigh, va plus loin en affirmant que cette grâce royale représente une réconciliation pour les familles qui avaient abandonné cette culture par crainte des poursuites judiciaires. Selon lui, la mesure met fin aux années de clandestinité qui pesaient non seulement sur les agriculteurs, mais également sur leurs familles privées d'accès aux services publics essentiels. Pour Rakha, ce pas en avant catalysera l'engagement des cultivateurs à participer à ce nouvel élan de développement fondé sur la culture légale du cannabis. De la marginalisation à la réhabilitation Autrefois perçus comme des parias, ces cultivateurs, qui se comptent par milliers, surtout dans les régions du Rif et au-delà, ont longtemps vécu dans la clandestinité. En marge des circuits officiels, ils étaient souvent à la merci de la répression et du marché noir, cultivant une plante aussi emblématique que controversée. Avec la légalisation encadrée du cannabis thérapeutique et industriel adoptée en 2021, le Maroc a amorcé une mutation qui semblait, au départ, ne profiter qu'aux grands acteurs économiques, au détriment des cultivateurs traditionnels. Mais, en accordant cette grâce royale, le Souverain redonne aux concernés la possibilité de s'insérer dans le cadre légal. Un coup de maître qui redéfinit la relation entre l'État et ces cultivateurs marginalisés. Une culture licite : entre espoirs et défis Toutefois, cette nouvelle liberté n'est pas sans conditions. Pour pouvoir cultiver légalement, ces agriculteurs devront se soumettre aux rigueurs de la loi, qui impose des critères stricts concernant les quotas de production, la destination des récoltes et les techniques de culture. Pour certains, la transition risque d'être complexe. En effet, les mécanismes bureaucratiques et la nécessité de se conformer aux normes internationales sont des obstacles auxquels beaucoup ne sont pas encore préparés. Pour ces derniers, il s'agit d'une opportunité unique de passer de l'ombre à la lumière, tout en contribuant à l'économie nationale de manière formelle. La transition de l'illégal au légal nécessite une volonté politique constante et des investissements dans l'accompagnement des petits cultivateurs. Mais, une chose est certaine : cette grâce royale marque un tournant symbolique et stratégique, redessinant les contours du débat autour du cannabis au Maroc. Le Maroc, avec sa subtile diplomatie et son pragmatisme, montre une nouvelle fois que les révolutions les plus audacieuses passent souvent par des chemins inattendus.