L'acquisition de la Société Générale Marocaine de Banques (SGMB) par le groupe Saham pour 745 millions d'euros (environ 8 milliards de dirhams) constitue un tournant stratégique majeur pour l'économie marocaine. Ce rachat n'est pas seulement une transaction de grande envergure ; il marque une étape cruciale dans la consolidation de la souveraineté financière du Maroc et reflète une réorientation stratégique profonde dans le secteur financier africain. La SGMB, cinquième plus grande banque du Maroc, détient une part significative du marché, contrôlant environ 6 % à 7 % des prêts et dépôts. En 2023, la banque a généré un produit net bancaire (PNB) social de 4,82 milliards de dirhams et un PNB consolidé de 5,57 milliards de dirhams, démontrant une croissance robuste de 5,7 % par rapport à l'année précédente. Ces performances financières, d'après l'ancien économiste chez Bank Al-Maghrib, Dr Talal Cherkaoui, « mettent en évidence la solidité et l'importance stratégique de SGMB dans le paysage bancaire marocain ». Selon ce Professeur de Sciences Économiques, Sociales et Politiques à l'Université Mohammed V de Rabat, « le rachat devrait avoir un impact positif sur le ratio de solvabilité CET1 de la Société Générale, augmentant de 15 points de base. Cette amélioration du capital réglementaire illustre l'effort de la banque pour se conformer aux exigences réglementaires tout en optimisant son efficacité opérationnelle dans un contexte économique mondial changeant ». Une réorientation vers le contrôle national accru des finances L'intégration de la SGMB au sein du portefeuille de Saham illustre une volonté de renforcer et de diversifier les actifs stratégiques marocains, élargissant l'influence du groupe bien au-delà des frontières nationales. « Cette acquisition suit la stratégie de Saham de reprendre le contrôle des ressources financières marocaines, précédemment initiée par la vente de Saham Assurance au groupe sud-africain Sanlam, ce qui reflète une réorientation vers le contrôle national accru des finances », indique à Hespress Fr Dr Talal Cherkaoui. Au-delà des frontières marocaines, poursuit l'économiste, cette acquisition positionne Saham pour jouer un rôle de premier plan dans l'expansion financière en Afrique. « En contrôlant une institution aussi robuste que SGMB, Saham peut utiliser cette plateforme pour étendre ses services à d'autres marchés africains, bénéficiant de la stabilité et de la reconnaissance de la marque SGMB pour faciliter cette expansion. Cela aligne Saham avec les ambitions du Maroc de servir de hub financier pour l'Afrique, renforçant les liens économiques et financiers à travers le continent ». Des défis significatifs en termes de risques financiers « L'intégration de SGMB pose cependant, des défis significatifs en termes de risques financiers liés à l'harmonisation des opérations et des systèmes informatiques », souligne Dr Talal Cherkaoui. De plus, « la concentration du secteur bancaire marocain pourrait être impactée par cette acquisition, qui pourrait soit exacerber cette concentration, soit stimuler une concurrence renouvelée, favorisant l'innovation et l'amélioration des services financiers », fait-il remarquer. La transition sous le nouveau contrôle de Saham nécessitera des ajustements réglementaires et opérationnels. Les autorités régulatrices marocaines joueront un rôle crucial dans ce processus pour s'assurer que la transition respecte les normes de conformité et maintienne la stabilité financière. « Ceci inclut la surveillance des flux de capitaux, la gestion des risques liés à l'intégration des systèmes informatiques et la garantie que les normes de service client restent élevées pendant et après la transition », dit Dr Talal Cherkaoui. La finalisation de cette acquisition reste conditionnée à l'approbation de Bank Al-Maghrib ainsi que d'autres autorités de régulation marocaines, telles que le Conseil de la concurrence et l'Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale. « Le gouverneur de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, a souligné que l'agrément serait accordé seulement après une évaluation rigoureuse du projet industriel, du business plan et de la valeur ajoutée que le nouvel acquéreur apporterait, confirmant que l'opération devrait être bénéfique tant pour la banque que pour l'État », rappelle l'économiste. SGMB – Saham : que ferait-on d'une seconde vie ? De son côté, l'analyste Stratégie Marketing Crédit Agricole Consumer Finance Paris, Salah Eddine Naser, rappelle que depuis la crise « Kerviel », la Société Générale « beigne en pleine boue ». En février 2024, le groupe avait supprimé plus de 900 postes, et s'est vu infliger une amende de 4,5 millions d'euros pour « pratique trompeuse ». En Afrique, indique à Hespress Fr notre interlocuteur, « le groupe s'est inscrit dans une logique de retrait global, aussi bien graduelle que rapide. Depuis 2023, 6 pays ne seraient plus teintés en rouge et noire – du moins pas en actifs détenus par le groupe français. Le Maroc, sans surprise, rejoindrait ses confrères africains en quête de souveraineté stratégique. La cession des parts (~ 58 % de SGMB) du groupe Société Générale au fonds d'investissement panafricain Saham se veut une opération prometteuse pour le paysage bancaire marocain, toutefois conditionnée ». La banque est en bonne santé financière La SGMB – avec un héritage de plus de 100 ans – gère les finances d'un peu plus d'un million de clients avec une task force de 3700 collaborateurs. « Loin d'être risquée, la banque est en bonne santé financière ; elle enregistre un Produit Net Bancaire de 5,197 millions de dirhams (+1,96 %) avec progression notable d'à peu près 50 % de résultat net en 2022, expliqués par une baisse drastique du CoR (-40 %), note Naser. Nonobstant, souligne-t-il, "la rationalisation du business model et la volonté de renforcer les fonds propres ainsi qu'un recentrage vers l'Europe ont primé". L'antenne marocaine, considérée non stratégique, est donc léguée à un groupe très bien placé pour prendre la relève. Serait-il à la hauteur ? Cette opération d'acquisition rebattrait-elle les cartes ? Il est judicieux de rappeler que 5 banques seulement octroient 80 % des crédits ; un marché, comme le décrit l'analyste, "concentré avec peu d'acteurs". "Le marché bancaire marocain est donc affamé d'innovation (offres disruptives, pratiques commerciales, taux promotionnels, services...) et d'alignement technologiques (BNPL, Fintech, crowdfunding...). Ceci serait possible si l'un des acteurs décide de s'aventurer sur ce chemin pour offrir une plus-value au consommateur marocain, qui préfère toujours ses maravédis sous le lit que dans un compte sur carnet peu rentable", affirme Naser, qui se demande si cette opération d'acquisition rebattait les cartes.