La récente rupture des relations diplomatiques entre l'Algérie et le Maroc a remis au centre de l'actualité un important projet gazier, le gazoduc Maghreb-Europe (GME), dont on ne parlait plus beaucoup depuis un bon moment. Dans « Questions à un expert », Francis Perrin, Senior Fellow au Policy Center for the New South (PCNS), livre son analyse. Le gaz algérien couvrait à peu près 11% des besoins énergétiques primaires du Maroc, est-ce que la fermeture du GME représente un risque de sécurité énergétique pour le pays? L'interruption d'une source d'approvisionnement énergétique, dans cet exemple le gaz naturel, constitue toujours un risque. Mais les deux sujets clés sur ce point sont l'ampleur de ce risque (faible, important, très important, critique) et les options dont le pays affecté dispose pour limiter les impacts négatifs de ce risque. Lorsque l'on combine ces deux critères, on arrive à la conclusion que ce problème est gérable pour le Maroc. En Août, l'Algérie rompt ses relations diplomatiques avec le Maroc, avec l'arrivée à terme du contrat du gazoduc fin octobre, quels étaient les mécanismes prévisionnels que le pays a mis en place dès lors? Comme vous le soulignez, le risque d'arrêt du Gazoduc Maghreb-Europe (GME) était prévisible depuis l'été avec la rupture des relations diplomatiques entre le Maroc et l'Algérie à l'initiative d'Alger. C'est un point important car il est évidemment plus difficile de gérer une situation totalement imprévue (cela arrive) que de pouvoir se préparer pendant plusieurs semaines. Dès la rupture diplomatique au cours de l'été 2021, on savait qu'il y avait une forte probabilité que le GME ne survive pas à cette crise mais les contrats gaziers étaient heureusement valides jusqu'au 31 octobre 2021. À court terme, le Maroc peut compter sur son parc électrique existant, avec un rôle croissant des énergies renouvelables, et sur l'importation de combustibles fossiles et d'électricité si nécessaire. À moyen et long terme, les options incluent la poursuite du développement des capacités de production d'électricité à partir de sources renouvelables et l'importation de gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par bateau. Par ailleurs, le Maroc entend ne pas laisser tomber le GME, comme le montre l'accord conclu le 30 novembre entre l'ONEE (Office National de l'Electricité et de l'Eau potable) et Sound Energy qui porte sur la vente de 300-350 millions de mètres cubes par an de gaz qui sera produit sur la concession de Tendrara (Phase 2) au Maroc. L'accord prévoit des ventes de gaz sur 10 ans et ce gaz sera transporté en utilisant la section marocaine du GME. L'Onhym (Office National des Hydrocarbures et des Mines) est partenaire de Sound Energy. Le projet de gazoduc Afrique Atlantique (entre le Maroc et le Nigéria) s'imposera-t-il comme alternative au moyen et long terme? Ce n'est pas impossible mais ce n'est pas une option que l'on peut considérer comme garantie. C'est la raison pour laquelle il faut plusieurs options et pas une seule, comme expliqué ci-dessus. Certaines options dépendent seulement du Maroc alors que ce projet de gazoduc entre le Nigeria et le Maroc implique l'accord et l'engagement de nombreux autres pays en Afrique de l'Ouest et du Nord-Ouest, ce qui est plus complexe et plus long. Il faudra également trouver les marchés et le financement requis pour ce projet très ambitieux. Il faut donc pour le Maroc à la fois trouver des réponses concrètes au problème généré par l'arrêt du GME et poursuivre ses efforts de promotion du projet de gazoduc Nigeria/Maroc mais ce dernier projet n'est pas forcément la solution au premier problème. L'Algérie exporte de moins en moins de gaz vers l'Espagne (l'Espagne importait 60-65% de son gaz naturel d'Algérie mais ces parts sont tombées à 30-35% et importe aujourd'hui plus des Etats Unis). Est-ce que l'Espagne, risquerait quand même une pénurie de gaz, en cas de panne de l'unique gazoduc qui la relie dorénavant à l'Algérie? On ne peut bien sûr jamais exclure totalement l'hypothèse d'une panne sur le gazoduc Medgaz (Algérie/Méditerranée/Espagne) mais on peut constater que les problèmes techniques majeurs sur des gazoducs à travers le monde sont très rares. Il y a parfois des attaques et des sabotages, ce qui est différent. Les problèmes entraînant l'arrêt des livraisons de gaz sont souvent réglés assez rapidement quand ils se produisent mais il est toujours utile pour un pays importateur de prévoir ce type de scénario. Il y aurait pour l'Espagne principalement trois moyens d'y faire face: importer du GNL de l'Algérie (ce pays a quatre complexes de GNL sur sa côte méditerranéenne); importer du gaz naturel d'autres fournisseurs, en particulier sous forme de GNL (la filière GNL offre beaucoup plus de flexibilité que la filière gazoduc); et/ou puiser dans ses stocks gaziers. *Senior Fellow au Policy Center for the New South