Depuis 48 heures, les Tunisiens retiennent leur souffle devant les récents développements dans la scène politique dans le pays. Après le limogeage surprise du chef du gouvernement Hichem Mechichi par le président tunisien Kais Saied, et le gel du Parlement contrôlé par les islamistes d'Ennahda, le peuple tunisien craint une nouvelle révolte. Dimanche soir, le président de la République tunisienne annonçait l'éviction de Hichem Mechichi, un Premier ministre avec qui la communication n'était plus possible depuis plusieurs mois. Le président tunisien a activé l'article 80 de la Constitution lui permettant également de geler les travaux de l'Assemblée nationale du peuple, bloquant ainsi la stratégie des partis majoritaires. La nouvelle a rapidement provoqué des réactions de toutes parts, et a redonné espoir à de nombreux habitants. Chez les progressistes, cette décision a été célébrée dans les rues, au sein des familles et sur les réseaux sociaux qui ont vécu une vraie tragédie lorsque leurs espoirs, avec la venue de l'indépendant Kais Saied, se sont essoufflés par la réalité de la vie politique contrôlée par les partis arrivés en tête des législatives. Au lendemain de l'annonce, le chef de parti d'Ennahda, Rached Ghannouchi, qui est par ailleurs aussi le président du Parlement tunisien, ses soutiens, et en compagnie des membres de la coalition Al Karama, ont observé un sit-in devant le Parlement pour dénoncer la décision du président. L'armée a été appelée en renfort pour éviter l'intrusion de plus d'une centaine de personnes au sein du bâtiment ainsi que celui du Palais de la Kasbah. La présidence de la république a par ailleurs décrété deux jours chômés dans les administrations publiques à partir de mardi, un couvre-feu de 19H à 6H du matin. Washington appelle au calme Les Etats-Unis ont également réagi à la nouvelle à travers Jen Psaki, la porte-parole de la Maison-Blanche. « Nous sommes en contact à un niveau supérieur de la Maison-Blanche et du Département d'Etat (Ministère des Affaires étrangères) avec les dirigeants tunisiens pour en savoir plus sur la situation, exhorter au calme et soutenir les efforts pour aller en avant, conformément aux principes démocratiques », a-t-elle déclaré. Washington serait dans l'attente de juger de la constitutionnalité de l'action entreprise par Kais Saied, a-t-elle indiqué. Jen Psaki a affirmé que le département d'Etat américain devrait mener analyse juridique pour connaitre la démarche à suivre. De son côté, l'Union européenne a annoncé suivre avec la plus grande attention l'évolution de la situation en Tunisie en rappelant que « l'ancrage démocratique du pays, le respect de l'Etat de droit, de la Constitution et du cadre législatif doivent être préservés tout en restant à l'écoute des volontés et aspirations du peuple tunisien ». Et en appelant au rétablissement de la stabilité institutionnelle dans les meilleurs délais, et en particulier en ce qui concerne le Parlement. La décision prise par le président Kais Saied s'appuie sur l'article 80 de la Constitution et a été mise en place avec l'aide de l'armée. Mais les principaux partis politiques dirigeants dans le pays ont dénoncé cet acte comme un coup d'Etat. La situation demeure critique Le président tunisien a finalement joué sa carte joker pour reprendre le contrôle sur la situation dans son pays après plusieurs mois d'impasse politique et de luttes entre les différentes formations politiques, une situation économique extrêmement difficile, et le récent effondrement du système de santé après la prolifération du coronavirus. Mais face à l'ampleur du tollé provoqué par cette décision surprise qui a fait plier Hichem Mechichi, ce dernier a accepté la décision pour préserver « l'intérêt national », le président tunisien a été obligé de consulter les hauts magistrats du pays. Ainsi entre un coup de téléphone passé à son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune (qui avait dissout le Parlement et convoqué des législatives anticipées boycottée par le peuple quelques mois auparavant, NDLR), le chef d'Etat tunisien a consulté lundi soir trois magistrats de haut calibre. Il s'agit de Youssef Bouzakher, président du haut conseil de la magistrature, Malika Mzari, présidente du conseil de la magistrature judiciaire et Abdelkarim Rajeh, vice-président du conseil de la magistrature administrative. Kais Saied leur a affirmé son souci de respecter la constitution et l'application de la loi et a réitéré l'intérêt qu'il porte à l'indépendance de la justice. Mais, la situation reste toujours aussi critique dans le pays et les Tunisiens craignent un nouveau soulèvement populaire comme celui du Printemps arabe. Lundi soir, le président Saied avait appelé les Tunisiens à ne pas céder à la tentation de la violence, mais face aux enchainements des événements et le déploiement de l'armée autour du palais de la Kasbah et dans les rues, l'interdiction de sortie de territoire visant les hommes d'affaires ministres et autres responsables, la menace d'un retour à des scènes de violences dans un contexte de crise sanitaire grave est plus que jamais sur la table.