Chaque année, et depuis plus d'une décennie, le Maroc et l'Espagne collaborent dans le cadre de la campagne de migration circulaire qui permet aux femmes marocaines, sélectionnées selon plusieurs critères (veuves, divorcées, en situation précaire …), de rejoindre l'autre côté du détroit et travailler pour les agriculteurs espagnols dans leur campagne agricole de récolte de la fraise et de fruits rouges. Depuis, on les surnomme les saisonnières marocaines ou encore les cueilleuses de la fraise. Pour cette campagne agricole 2020/21, les professionnels du secteur de la fraise et de fruits rouges dénoncent le ralentissement de l'arrivée des saisonnières marocaines recrutées pour assurer la cueillette qui est menacée, selon eux, et qui dépend en grande partie de la main-d'œuvre marocaine. Cité par la presse espagnole, le porte-parole d »Infresa« , l'organisation patronale qui rassemble les principaux industriels du secteur de la fraise, a déclaré qu' »une grande partie du contingent de saisonnières marocaines dont dépend la collecte de fruits rouges à Huelva et qui est de plus de 15.000 saisonnières, n'ont pas pu rejoindre leur poste« , notant que l'accord entre le Maroc et l'Espagne prévoit de recruter pour la campagne 2020/21, 14.000 saisonnières, en plus d'une réserve de 2.000 saisonnières (soit 16.000). En tout cas, les professionnels de la fraise et des fruits rouges à Huelva, la ville qui produit 99,7 % de la fraise andalouse et qui constitue également 97 % de celle produite dans toute l'Espagne, demandent à recevoir la totalité des saisonnières recrutées, précisant qu'à leur niveau, il n'y avait aucun obstacle. Ils accusent donc le Maroc d'avoir bloqué le départ des saisonnières vers Huelva, surtout après la fermeture des frontières à cause de la pandémie du Covid-19. En outre, une dizaine de saisonnières marocaines ont manifesté le 12 avril 2021 devant le siège de l'Agence nationale de promotion de l'emploi et des compétences (ANAPEC) à Casablanca pour dénoncer le manque d'engagement professionnel à leur égard. Il s'agit de 1.000 à 1.200 qui, ayant reçu leur contrat à l'origine et procédé au paiement des droits de visa et de déplacement complets et après une année éprouvante de Covid-19, n'ont pas été sélectionnées pour la cueillette de fruits rouges à Huelva pour la deuxième année consécutive, nous assure Noor Amar Lamarty, fondatrice et présidente de la plateforme numérique « Women By Women« , qui lutte pour le développement des droits des femmes et pour une communication féministe. La plateforme travaille aussi comme pont de communication pour faire connaître la réalité de ces femmes qui souffrent de la barrière linguistique qui ne leur permet pas de s'exprimer avec les médias étrangers, nous explique Noor. Pour l'ANAPEC, le ciel est bleu Joint par Hespress Fr au sujet des femmes ayant manifesté à Casablanca et qui affirment avoir reçu un contrat et payé les frais du visa et du déplacement, mais sans pour autant avoir eu la possibilité de partir, ou encore les patrons espagnols en colère, l'ANAPEC rejette ces propos. « Il s'agit de femmes qui ont reçu un contrat l'année dernière, pour la campagne de 2019/20. Cette année, elles n'ont pas reçu de nouveau contrat. Ce qui était prévu au début avec la partie espagnole pour la campagne de 2020-2021, c'est le recrutement de 14.500 saisonnières marocaines. Alors qu'avant la pandémie, le nombre était un peu plus élevé qu'aujourd'hui« , nous indique l'Agence qui fait l'intermédiaire entre ces femmes et l'Espagne dans la campagne de migration circulaire. Pour cette campagne 2020-21, l'ANAPEC nous assure avoir traité les autorisations reçues de la part des autorités espagnoles. « Pour les femmes ayant manifesté devant son siège à Casablanca, leurs noms ne figuraient pas dans cette liste« , affirme l'ANAPEC. « Il ne s'agit en aucun cas d'un blocage de la part du Maroc comme le laissent entendre plusieurs médias espagnols. C'est totalement faux ! Il s'agit plutôt d'une mauvaise organisation de la partie espagnole en ce qui concerne les autorisations« , affirme l'ANAPEC à Hespress Fr. Et d'expliquer: « Il faut savoir que c'est l'ANAPEC a envoyé à la partie espagnole la liste des femmes à recruter. Et au cours de la campagne 2020/21, nous avons relancé à maintes reprises les Espagnols au sujet de leurs contrats. Mais jusqu'à la fin de la campagne, nous n'avons jamais reçu les contrats des femmes protestataires« . Dans le détail, l'ANAPEC nous explique qu'il y a deux catégories de femmes : « Celles ayant reçu le visa pour la campagne de l'année dernière. Et parmi ces femmes, il y a celles qui n'ont pas reçu de visa pour cette campagne agricole 2021. De notre côté, nous n'avons fait que traiter les autorisations de visas reçues de la part des Espagnols ». Pour cette saison 2021, l'ANAPEC atteste n'avoir « enregistré aucune nouvelle femme saisonnière » et qu'elle a travaillé avec le même contingent de l'année dernière pour cette campagne de 2020-2021. Contrairement à ce qu'avancent les industriels espagnols sur le ralentissement de la campagne de récolte à cause du non-envoi du Maroc des femmes saisonnières, l'ANAPEC nous précise avoir reçu 14.455 autorisations de départ de la part des autorités espagnoles, dont 13.063 traitées et 12.741 d'ores et déjà parties. « Il y a eu beaucoup de femmes qui ont fait marche arrière pendant la période de pandémie, parce qu'elles n'avaient pas de visibilité sur la situation ou parce qu'elles avaient peur. C'est leur droit. Surtout que les saisonnières de l'année dernière sont restées bloquées là-bas pendant 10 mois et sont rentrées au Maroc en larmes. Donc il y avait une déperdition de quelque 1.000 femmes. Mais en aucun cas, il y a eu d'autorisation de départ traité par l'ANAPEC et dont les concernées n'ont pas reçu de contrat », conclut l'ANAPEC. Si l'Agence affirme que la campagne de migration circulaire se passe le plus normalement possible et qu'il n'y a aucun problème de son côté, en lançant la balle dans le camp espagnol, notre interlocutrice, Noor Amar Lamarty, fondatrice et présidente de la plateforme numérique « Women By Women », est d'un tout autre avis. Juriste de fonction et militante pour les droits des femmes, Noor nous affirme que la campagne de migration circulaire connaît énormément de dysfonctionnements « humains ». Notre interlocutrice « a écouté le témoignage d'une panoplie de saisonnières marocaines qui lui ont raconté la +réalité+ qu'elles vivent et que la presse espagnole ou encore marocaine n'évoque pas souvent. Mises à part les affaires de « viol » qui avaient éclaté il y a quelques années, il est également question de menaces, de maltraitance, d'avortements, de favoritisme, de conditions de logement misérables et la liste est longue. Selon Noor Amar Lamarty, « il n'y a pas de méchant ou de gentil dans l'histoire, mais un réel dysfonctionnement dans tout le processus de cette campagne de migration circulaire ». Ce que Hespress Fr va essayer de dévoiler dans la suite de ce dossier.