Dans le sillage de l'annulation d'une visite officielle de haut niveau de ministres français en Algérie pour tenter d'acter un rapprochement entre Paris et Alger en plein mouvement de contestation du régime algérien, le ministre algérien du Travail et de la Sécurité sociale n'a pas mâché ses mots pour traiter la France d'ennemie de son pays. Alors que le président français Emmanuel Macron a multiplié les gestes d'apaisement avec l'Algérie ces derniers mois, notamment en restituant les crânes de résistants algériens, en commandant un rapport sur la colonisation auprès de l'historien Benjamin Stora, du côté algérien les plaies du passé ne semblent pas être pansées pour autant. Jeudi, et à quelques jours d'une visite officielle d'une délégation française emmenée par le Premier ministre français Jean Castex et de 3 ou 4 autres ministres français de poids prévue pour dimanche et qui devait signer un « retour à la normale » de la diplomatie entre les deux pays après deux ans du Hirak qui a ébranlé le pouvoir algérien jugé illégitime par le peuple, le ministre algérien du Travail et de la Sécurité sociale, Hachemi Djaâboub, a créé la surprise en nommant clairement la France comme « ennemie », sortant ainsi des clous diplomatiques, et des habitudes de l'Algérie qui ne mentionne jamais le nom des Etats ennemis, tout en donnant des indications pour les identifier. L'injure sortie de la bouche de Hachemi Djaâboub a été filmée en direct, et s'est déroulée en pleine séance au Sénat algérien. Intervenant lors d'une séance de questions orales au Conseil de la Nation, le ministre a lâché son invective le plus naturellement possible, au moment où se préparait encore une visite du Premier ministre français Jean Castex – qui a été annulée à la dernière minute après qu'Alger ait estimé que le format restreint de la visite était insuffisant, pas à la hauteur. « Pour ce qui est du déficit de la CNR (la caisse des retraites, ndlr), je voudrais dire que toutes les caisses de retraite dans le monde souffrent. Je peux donner quelques chiffres qu'on peut vérifier sur internet, notre ennemie traditionnelle et éternelle, la France, a un déficit de 44.4 milliards d'euros dans sa caisse des retraites », a-t-il déclaré. Cette bourde assumée par le ministre algérien s'inscrit pourtant dans un contexte de réchauffement des relations franco-algériennes et dans le cadre de déclarations officielles très positives vis à vis de la France de la part du président algérien Abdelmadjid Tebboune. Il avait notamment cité l'exemple de la restitution des crânes datant de l'époque de la guerre d'Algérie, en affirmant que ce geste du président Emmanuel Macron « reflète le niveau des bonnes relations entre les deux pays ». Et si le président algérien chante les louanges de son homologue français, c'est parce qu'il a trouvé chez lui un appui sans pareil, alors qu'il subit une crise de légitimité depuis son élection largement boycottée par le peuple algérien qui crie encore aujourd'hui en 2021, « Not my president » (pas mon président) et plus récemment ces chants en arabe « Tebboune est frauduleux, c'est l'armée qui l'a choisi, il n'a pas de légitimité. Le peuple qui se libère, c'est lui qui décide, un Etat civil! ». En novembre 2020, le chef d'Etat français avait déclaré tout son soutien à Abdelmadjid Tebboune, en le décrivant comme un président « courageux » et avait promis de « faire tout (son) possible pour l'aider » pour mener à bien la « période de transition » politique. Ces mots lui avaient valu un flot de critiques, notamment chez l'opposition algérienne qui a dénoncé une « ingérence » dans les affaires de l'Algérie et d'autres sont allés plus loin pour voir ces mots comme la marque du soutien de Paris au pouvoir en place, toujours le même malgré l'éviction de Bouteflika. Pour les Algériens, cette position va surtout à l'encontre des aspirations démocratiques et des revendications du peuple qui avait boycotté en masse la présidentielle de 2019, à l'issue de laquelle Tebboune, qui se présente comme un indépendant (il est toutefois membre du comité du FLN, parti historiquement au pouvoir en Algérien, ndlr) avait été élu avec le taux de participation le plus bas jamais enregistré dans l'histoire du pays et ce, même lorsque Abdelaziz Bouteflika, était victime d'un AVC l'ayant rendu impotent.