Modernité oblige, le Maroc du devenir se construit. Et quand c'est au sens propre du verbe, force est d'en déduire que c'est à coup de béton que cela se réalise. Pour le bâtiment seul, deux-tiers des constructions sur la planète sont constituées de béton, et deux-tiers de ce dernier est constitué de sable. C'est dire que la consommation de sable est en croissance exponentielle de par le monde, enfin quand il y en a ou qu'il en reste. Si pour nous autres au Maroc la nature, nous a généreusement servis de ce matériel, de l'exploitation intensive faite à propos, nous contribuons fatalement à sa pénurie. Les extractions légales ou illégales maritimes menacent nos côtes comme nos écosystèmes, tandis que des mafias du sable, prospèrent à des échelles disproportionnées d'où en perspectives d'un désastre environnemental irréversible. La population marocaine n'est plus celle des années 60 qui ne dépassait pas la dizaine de millions d'individus, elle a quasiment triplé, voire quadruplé en 60 ans. Donc, à toute proportion gardée et en comparaison, on peut dire que cela vaut également pour l'usage du sable deuxième ressource la plus utilisée après l'eau au Maroc. Devenu par la force de l'espace et du temps par une matière lucrative, on se l'arrache à tel point qu'il risque bien de nous filer entre les doigts. Plus, aujourd'hui on ne l'exploite plus qu'en allant le chercher que sur les plages mais en draguant dans les océans et les mers. Un exemple flagrant de cette exploitation légale mais bel et bien déguisée, c'est l'affaire scandaleuse de l'autorisation qu'un haut responsable à la tête du département de l'Energie et des Mines, Aziz Rebbah pour ne pas le nommer, a octroyé en pleine crise sanitaire à la société Drapor en août 2020. Une décision impopulaire à bien des égards et qui de surcroit allait à l'encontre des conclusions d'une étude scientifique réalisée par le département d'extraction du sable de mer relevant de sa compétence. Mais là n'est que l'arbre qui cache la forêt. Aziz Rebbah s'est inspiré de ce qui se fait à l'international où l'extraction illégal ou non de sable dans les mers et océans est devenue une activité à très grande échelle. Mais au-delà de l'aspect lucratif, elle pose de nombreux problèmes. Le principal est celui de l'érosion des côtes. Les études actuelles estiment qu'entre 75 et 90% des plages du monde reculent -en Indonésie 25 îles ont déjà disparu sous l'effet des extractions massives de sable-. Sans compter des dégâts causés à la flore et faune sous-marine, l'aspiration des dunes sous l'eau. Le Maroc, c'est un fait, est un pays à vocation touristique. Les constructions de complexes hôteliers près des côtes vont bon train. Pour assurer un apport suffisant en sable, les sociétés de construction utilisent celui des mafias qui au bas chiffre font leur emplettes nettes d'impôts à près de moitié sur des plages marocaines en toute illégalité et parfois même aux bons soins d'autorités véreuses. Il se dit qu'au Maroc c'est près d'une douzaine de millions de mètres cubes par an de sable, qui est extraite illégalement dans les zones côtières. Résultat, nos paysages côtiers se transforment en paysages rocailleux et deviennent alors lunaires, ce qui réduit par la même occasion le côté attractif de nos côtes, pourtant prisées par les touristes.... A ce titre nous prendrons l'exemple du Maroc oriental qui abrite la station balnéaire de Saïdia près d'Oujda, elle aussi victime des mafias du sable. Pour cela nous avons laissé Mohamed Benata, Ingénieur agronome, Dr en Géographie, Président de l'ESCO et membre fondateur de l'ECOLOMAN, mais surtout fervent défenseur de l'environnement nous décrire les impacts de ces phénomènes de l'exploitation illégale du sable du littoral au Maroc Oriental. « Au niveau du Maroc oriental nous avons vécu la plus grande opération de destruction du cordon dunaire et de prélèvement illégal et détournement du sable de la plage avec l'appui et la bénédiction officielle des administrations et des autorités sensées protéger notre environnement et notre patrimoine naturel », nous dit-il. En effet, l'étude d'impact spécifique à la zone côtière recommandait en plus de la préservation des dunes, la surélévation de la côte de la voie de promenade maritime de telle sorte à ce qu'aucun décapage de sable ne soit opéré dans la zone et que les dunes ne souffrent d'aucun déplacement, c'est exactement le contraire qui a eu lieu. « Les dunes bordières ont été décapées et le sable transporté ailleurs. Les dunes sableuses ont été décapées et remplacées par des hôtels, ou des appartements pieds dans l'eau et une corniche qui s'est trop rapprochée du trait de côte depuis le rivage du SIBE de la Moulouya et tout au long de la station balnéaire de Saïdia », dénonce Mohamed Benata. Il explique que la dune bordière de 3 mètres de hauteur et de 30 mètres de large a été complètement décapée le long de la côte sur un front de mer de plus de 6 Km, contre toutes recommandations du bureau d'étude ayant réalisé l'étude d'impact spécifique à la zone côtière. « Le sable de la plage, déplore-t-il, a été délocalisé et transporté dans des camions de l'entreprise pour son usage privé dans les constructions des bâtiments ou le remblayage afin de combler les zones humides ou surélever la côte des bâtiments ». Par ailleurs, nous confie cet expert en géographie, «dans le cadre de l'aménagement de la corniche au niveau de la ville de Saïdia, le Département de l'Equipement avait lancé un appel d'offre pour décaper la dune bordière au niveau de la ville de Saïdia. L'équivalent de 15.000 m3 de sable devait être transporté dans un endroit déterminé par l'Administration sans qu'il soit commercialisé ou utilisé dans le bâtiment». L'opération était justifiée, selon les déclarations du Directeur Régional de l'Equipement par une question d'esthétique de la plage dans le cadre des travaux d'aménagement de la corniche de Saïdia qui ont été confiés à l'entreprise BIOUI. « Suite à nos observations et les preuves que nous avons accumulées, nous pouvons confirmer que le sable prélevé au niveau de la plage de Saïdia a été utilisé aussi bien dans le domaine du bâtiment ou des constructions des logements sociaux dans la ville de Saïdia que dans les constructions dans la station balnéaire. Une grande quantité de sable de la plage dépassant largement les 15 000 m3 déclarés par le DRE a été utilisée soit pour surélever le niveau des bâtiments soit pour remblayer les zones humides et les zones inondées ou vendues à l'extérieur du périmètre », affirme Benata. Et l'effet boule de neige de continuer selon notre interlocuteur, « Suite à cet aménagement et contre toutes les prérogatives de la Loi Littoral 81-12, des autorisations ont été accordées par les autorités marocaines pour la construction de nombreuses cafétérias et des parkings qui ont bétonné les dunes sableuses », souligne-t-il . A la suite de ces aménagements et de l'exploitation illégale des sables des dunes bordières et des constructions sur les dunes, poursuit notre interlocuteur, « nous avons constaté que plusieurs sections de la plage de Saïdia connaissent une forte érosion avec des taux de recul allant parfois jusqu'à 10 m/an. « Cette érosion de la plage est accentuée par l'établissement de plusieurs barrages sur la Moulouya qui retiennent les sédiments pour alimenter la plage autre fois en progression », indique le militant. Il tient à aborder également un autre sujet, celui de l'alimentation en sédiments de la Moulouya. « La plage en a été fortement influencée par la construction des barrages. Le piégeage des sédiments par les barrages influence la dynamique de l'Oued de façon significative et de la dynamique sédimentaire de la plage. En contrepartie de ce piégeage des sédiments, le delta de la Moulouya ne progresse plus vers la mer et il a subi un recul significatif depuis 1958 jusqu'à sa disparition complète en 1980 », explique-t-il. Les deux barrages, selon Benata, connaissent un envasement très préoccupant pour les décideurs car tôt ou tard il se répercutera sur les périmètres irrigués de la basse Moulouya et sur l'alimentation en eau potable des villes dans l'Oriental. Le comblement total de ces barrages étant prévu au terme de 2030. Et de dénoncer le pillage ou l'extraction illégale du sable dans cette région: « En plus du piégeage des sédiments au niveau des barrages et de l'exploitation irrationnelle autorisée par les services de l'Etat pour aménager et détourner le sable des dunes bordières, une activité est menée par la mafia des sables aussi bien sur les berges de la Moulouya que sur les dunes bordières du littoral dans les deux rives ». Malgré les nombreuses réclamations des riverains et des ONG auprès des autorités locales pour appliquer la loi et interdire l'extraction illégale du sable des berges de la Moulouya, il a été constaté que les prélèvements de sable et la dégradation de la tamaricacée se poursuivent. Benata précise à ce propos que «ces activités ont lieu essentiellement de nuit pour éviter les représailles avec les riverains et les autorités ».