Pour le militant écologiste Mohamed Benata, la station balnéaire de Saïdia, fer de lance du plan Azur, concentre à elle seule tous les excès en termes de non-respect du littoral et de sa biodiversité. Le stress hydrique qui menace la région de l'Oriental n'aura pas été épargné par la folie des grandeurs touristiques du Maroc. Son littoral méditerranéen, encore moins. Les aménagements touristiques réalisés sur le littoral de Saïdia, principalement dans le cadre du plan Azur, lancé en grande pompe en 2001 et qui prévoyait d'attirer 10 millions de touristes aux alentours de 2013 et de construire six stations balnéaires, a donné du fil à retordre aux militants écologistes. Mohamed Benata est l'un d'eux. Cet ingénieur agronome, président de l'Espace de solidarité et de coopération de l'Oriental (ESCO), regrette amèrement que le Maroc n'ait pas tiré les leçons de l'expérience de son voisin espagnol : l'Andalousie, et avec elle la Costa del Sol, véritable vivier touristique en Espagne, concentre la majorité des constructions abusives. Entre 1987 et 2006, plus de 50 000 hectares de sol naturel y ont été détruits sur une bande de deux kilomètres, le long des 10 000 kilomètres de côte. «Aucune étude n'a tiré les leçons du désastre écologique que le tourisme de masse a provoqué sur le littoral espagnol», ont dénoncé en chœur quatre chercheurs, ainsi que Mohamed Benata, dans une étude sur les «impacts écologiques des aménagements touristiques sur le littoral de Saïdia». Une plage «bétonnée de partout» «C'est exactement ce qui s'est passé à Saïdia, entre autres, dans le cadre du plan Azur et de son extension pour développer le tourisme. Les décideurs marocains n'ont pas intégré la préservation du littoral. Ils n'ont pas maintenu l'équilibre entre investissement et protection de la nature», déplore Mohamed Benata, contacté par notre rédaction. Pour ce militant écologiste, cette station balnéaire représente à elle seule tous les excès en termes de non-respect du littoral et de sa biodiversité. «Aujourd'hui, la plage de Saïdia est bétonnée de partout. On a construit des cafétérias sur les dunes de sable, des voies piétonnes sur la plage, à proximité de la mer dans le but de faciliter l'accès des touristes à la mer. Toutes ces infrastructures auraient dû être construites à une certaine distance de la mer plutôt que sur les dunes bordières, afin de préserver le paysage naturel pour maintenir l'équilibre et développer intelligemment le tourisme», estime ce militant associatif. Et d'ajouter : «Sans le maintien de l'aspect naturel du littoral, les établissements hôteliers n'ont aucun avenir.» Avenir d'autant plus menacé que le plan Azur est un véritable flop. En 2017, la Cour des comptes elle-même ne cachait plus le naufrage de ce vaste projet touristique qui avait fait saliver plus d'un opérateur. En coordination avec une dizaine d'associations de protection de l'environnement actives dans le Nord du Maroc, réunies au sein du collectif de l'Ecolo Plateforme du Maroc du Nord (ECOLOMAN), l'ESCO avait dénoncé, auprès de la cour administrative d'Oujda, les constructions abusives des restaurants qui bordent désormais la rive méditerranéenne de la station de Saidia, qui était pourtant le fer de lance du plan Azur. L'issue de l'affaire leur a laissé un goût amer : «La cour n'a pas statué conformément à la loi qui protège le littoral [la loi 81-12 institue une zone non constructible, adjacente au littoral d'une largeur de 100 m, ndlr]. Elle a refusé notre demande d'annuler l'autorisation de bâtir un café sur les dunes sableuses de la plage dans le domaine maritime. Pour nous, cela signifie que des pressions sont exercées sur les magistrats pour qu'ils ne cèdent pas. Il y a de toute évidence beaucoup trop de dérogations à cette loi.» Des dérogations à tout-va Un constat soutenu par le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Dans un avis datant de 2014, l'instance avait dénoncé un «système de dérogation étendu et quasi-systématique» et recommandé de «réduire le nombre de dérogations (…) et limiter leur portée afin d'éviter à nouveau de reproduire les mêmes fautes qui ont lourdement contribué à la dégradation actuelle de certaines régions littorales». Ces dérogations à tout-va ont ainsi permis l'implantation des six stations balnéaires du plan Azur dans des zones humides. Celle de Saidia a été installée dans la zone humide de la Moulouya, pourtant considérée comme un Site d'intérêt biologique et écologique (SIBE) et inscrite sur la liste des zones humides d'importance internationale (dite liste Ramsar, en référence à la convention éponyme entrée en vigueur au Maroc en octobre 1980). D'après Mohamed Benata, aucune étude d'impacts sur l'environnement (EIE) n'a été réalisée préalablement pour évaluer l'impact de ce projet sur la biodiversité de la Moulouya. «Nous réclamons une étude d'impact depuis 2006, année lors de laquelle nous avions constaté la catastrophe écologique que représentait ce projet. Nous ne l'avons jamais eue ! Quant à l'étude de faisabilité, elle a été faite de façon erronée pour montrer que le projet est bénéfique économiquement.» D'autant qu'un autre danger guette la zone humide de la Moulouya : la construction de quatre barrages dans la région de l'Oriental, annoncée récemment dans le cadre de son programme régional d'approvisionnement en eau 2020-2027. «L'un de ses barrages risque de dessécher complètement cette zone humide», s'inquiète le militant écologiste. A quelques jours de la journée mondiale des zones humides, célébrée le 2 février de chaque année, c'est donc un nouveau combat qui s'annonce pour la dizaine d'associations de l'Ecolo Plateforme du Maroc du Nord. Article modifié le 2020/01/29 à 13h02