L'affaire de la « tentative d'empoisonnement » qui a visé le président tunisien Kais Saied, a fait réagir plusieurs personnalités politiques tunisiennes dont certaines ont estimé que l'affaire a été montée de toutes pièces. Le président avait été immédiatement contacté au téléphone par son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune. Retour sur les faits. Alors qu'une « enveloppe suspecte » destinée au président aurait été réceptionnée mardi par un responsable du bureau d'ordre, qui aurait senti une odeur inhabituelle qui s'en dégageait et donné l'alerte, les politiques tunisiens ont rapidement commenté l'affaire. Une source au sein de la présidence tunisienne, citée par la presse a indiqué, que le responsable du bureau d'ordre a été hospitalisé et soumis à une surveillance rapprochée et a assuré qu'il se portait bien. Des analyses ont également été faites sur l'enveloppe suspecte. Le chef du gouvernement tunisien Hichem Mechichi- avec qui le président entretient des relations conflictuelles renforcées par le récent remaniement gouvernemental qui n'approuve pas les nouveaux ministres à cause, entre autres, de conflits d'intérêts- a appelé Kais Saied pour « le rassurer », indique une source de la présidence du Gouvernement citée par Tunisienumérique. Selon la même source, le chef du gouvernement tunisien a « mis l'accent sur sa position constante pour soutenir son Excellence le président de la république considérant tout ciblage confirmé constituerait un ciblage de la Tunisie ainsi que tous les tunisiens ». Alors que l'enveloppe a été transmise à des équipes spécialisées pour analyser son contenu, le responsable de la communication au tribunal de première instance de Tunis, Mohssen Deli, a indiqué qu'il n'y avait pour le moment « aucune preuve que le courrier douteux envoyé au Président de la République contenait une substance toxique ». De son côté, le ministre des Technologies de la Communication, Mohamed Fadhel Kraiem, a réagi au lendemain de cet incident en se contentant de dire qu'il y a très peu de chances que le président reçoive du courrier piégé, car tous les colis et les enveloppes destinés à la Présidence de la République sont contrôlés par une équipe sécuritaire. Une affaire organisée ? L'ancien ministre des Affaires Etrangères, Rafik Abdessalem, membre du Mouvement Ennahda, parti avec lequel Kaid Saied a des divergences, a également commenté l'affaire en sortant des usuelles formules de diplomates, en se demandant si cette affaire n'a pas été « coordonnée » et que ce « processus a été organisé à l'avance », dans un post sur sa page Facebook. L'ancien chef de la diplomatie tunisienne a regretté que la présidence tunisienne n'ait pas fait de démenti de cette « nouvelle inventée ». « Ce qui est étrange, c'est que des appels officiels soient reçus sur la base d'informations fabriquées et qu'elles soient publiées sur la page officielle de la présidence », a déclaré le diplomate en faisant référence à l'appel du président algérien Abdelmadjid Tebboune qui s'est empressé d'appeler Kais Saied sans qu'il n'y ait de communiqué officiel de la présidence tunisienne sur le sujet et au moment où la « tentative d'empoisonnement » n'était qu'au stade de rumeur. Et d'ajouter que l'agence de presse tunisienne (TAP) et les médias tunisiens ont eux aussi contribué à la diffusion de cette information « fabriquée depuis son origine », ce qui, selon lui, « suggère qu'il s'agit d'une information coordonnée et un processus organisé à l'avance ». L'ancien chef de la diplomatie tunisienne a dénoncé les « partis conspirateurs qui parient encore sur l'empoisonnement de l'atmosphère » en publiant une information « inventée », appelant ainsi à mettre un terme à cette « absurdité enfantine », ajoutant que le Bureau de la présidence publiera un démenti officiel. Rafik Abdessalem a tenu également à rappeler que son pays n'avait pas besoin de ces « petites manœuvres » qui nuisent à l'image de la Tunisie à un moment où elle a besoin de « répandre l'esprit de confiance et d'espoir au lieu de sédition et de rumeurs malveillantes ». Ce n'est que jeudi soir, soit trois jours après les faits, que la présidence tunisienne a publié un communiqué concernant cette affaire. Le communiqué a confirmé la réception d'un courrier suspect sans expéditeur, lundi 25 janvier à 17 heures. C'est la cheffe du cabinet présidentiel, Nadia Akacha qui a ouvert l'enveloppe a été prise d'un malaise soudain. Le document indique en outre, que la présidence n'a pas voulu communiquer sur cet incident le jour même pour éviter de faire paniquer l'opinion publique. Quelle implication pour l'Algérie? Si la présidence tunisienne a finalement tranché dans l'affaire malgré les doutes de certains, force est de constater que ce retard de réaction officielle contraste avec la rapidité de la réaction de l'Algérie, qui a été qualifiée d' »étrange » par Rafik Abdessalem. « Le Président de la République, Abdelmadjid Tebboune a eu ce soir un entretien téléphonique avec son frère, le président de la République tunisienne, Kaïs Saïed, au cours duquel il s'est enquis de son état de santé suite à la nouvelle de la tentative de son empoisonnement », a publié l'agence officielle algérienne APS, au moment où l'information avait commencé à circuler durant l'après-midi et n'était qu'au stade de rumeurs ayant circulé sur les réseaux sociaux. « Le Président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune a remercié Allah pour les nouvelles rassurantes de son frère, M. Kaïs Saïd qui l'a rassuré sur son état de santé », a ajouté le communiqué de la présidence algérienne. Cet appel téléphonique intervient après un premier un entretien téléphonique dans le même genre entre Kais Saied avec son homologue algérien le 17 décembre, à son retour de convalescence en Allemagne, après deux mois d'absence suite à une infection sévère au coronavirus. Le chef d'Etat algérien et tunisien s'étaient rencontrés une fois à Alger après la prise de fonction de Kais Saied étant donné que la tradition veut que le premier voyage officiel d'un nouveau président tunisien soit effectué en Algérie. Ces derniers temps, la diplomatie algérienne a mis les bouchées doubles dans sa campagne de séduction de différents pays. Le ministre algérien des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum, a effectué une tournée africaine poussée et les médias algériens ont noté ces dernières semaines une affluence inhabituelle, quasi-quotidienne de diplomates étrangers dans les bureaux des ministres algériens. « Qu'un ambassadeur soit reçu par un ministre, cela n'a rien d'exceptionnel et fait partie des missions de l'un et de l'autre. Il y a néanmoins matière à question quand cela devient récurrent jusqu'à laisser l'impression que l'activité diplomatique absorbe l'essentiel de l'agenda de certains ministres », a noté le journaliste Makhlouf Mehenni sur TSA. En ce qui concerne la Tunisie, la campagne de séduction d'Alger est toujours d'actualité. Alors que le président Kais Saied avait exhorté son chef de la diplomatie, Othmane Jerandi, à s'activer pour trouver des vaccins pour le peuple tunisien, ce dernier s'est dirigé vers Alger pour faire part à son homologue de son problème dans un contexte de pénurie mondiale de vaccins. De retour à Tunis, le ministre tunisien des Affaires Etrangères a affirmé au chef de l'Etat que son homologue algérien lui avait fait la promesse de partager avec la Tunisie les doses du vaccin que l'Algérie a commandé (le vaccin russe Spoutnik V) dès sa réception. « Le ministre algérien des Affaires étrangères m'a assuré que son pays n'a pas encore reçu ledit vaccin. Toutefois, il m'a affirmé que dès la réception des premiers lots, ces derniers seront partagés avec la Tunisie », a déclaré le chef de la diplomatie tunisienne à la presse. Si la nouvelle a enchanté à Tunis comme à Alger et a été commentée comme « un beau geste de générosité entre frères », il n'aura pas fallu longtemps avant que l'information soit démentie, ou du moins nuancée par la partie algérienne. En effet, l'Algérie se dit toujours prête à partager des doses de vaccins avec la Tunisie, mais ce ne se fera pas dès la réception des lots, mais seulement si l'Algérie reçoit des quantités « suffisantes », selon les déclarations du porte-parole du gouvernement algérien Amar Belhimer.