L'état de santé du président algérien Abdelmadjid Tebboune, atteint du coronavirus, inquiète en Algérie. Son absence prolongée du pays confronté à une crise économique et sanitaire liée à la pandémie du covid-19, et le flou de la communication du pouvoir, crée un sentiment de méfiance et agite le spectre d'une nouvelle crise. Le chef de l'Etat algérien, âgé de 75 ans, connu pour être une gros fumeur, est soigné en Allemagne depuis le 28 octobre. Depuis son hospitalisation, le pouvoir en place communique assez régulièrement sur son état de santé. Pourtant, aucun signe d'amélioration n'est annoncé, ce qui pousse bon nombre d'Algériens à se poser de sérieuses questions sur son réel état de santé et ce qu'on leur cache. La communication de crise de la présidence « Officiellement Abdelmadjid Tebboune est toujours en Allemagne où il est soigné pour une infection au Covid. Le dernier communiqué de la présidence de la République indiquait que le chef de l'Etat avait achevé son traitement et qu'il était soumis à des analyses. Mais la présidence ne dit rien sur sa véritable situation« , indique à Hespress FR une source algérienne ayant requis l'anonymat en raison de la sensibilité du sujet. « Le communiqué rajoute une couche au flou parce qu'il ne dit pas par exemple si le traitement était concluant ou pas. On ne sait pas non plus quand il sera de retour. Or, cela fait un mois qu'il n'a eu aucune activité« , ajoute notre source. En effet, la dernière apparition publique du président algérien remonte au 15 octobre lorsqu'il avait reçu le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian. Trois jours plus tard, signe que son état commençait déjà à devenir inquiétant, une réunion du Conseil des ministre avait été reportée à cause d'un supposé « calendrier chargé des programmes du président« , du gouvernement ainsi que des problèmes « techniques ». Six jours plus tard, soit le 24 octobre, Abdelmadjid Tebboune opte pour Twitter pour annoncer qu'il se mettait volontairement en quarantaine « suite à la contamination au nouveau coronavirus de cadres supérieurs de la Présidence et du gouvernement ». Jusqu'ici, la présidence algérienne ne mentionnait pas qu'Abdelmadjid Tebboune était atteint du coronavirus. Après seulement 3 jours de confinement volontaire, le président algérien était admis « dans une unité de soins spécialisés de l'hôpital militaire de Ain Naâdja à Alger« , tout en affirmant que son état de santé « n'inspire aucune inquiétude« . Le lendemain, soit le 28 octobre, il se trouvait déjà en Allemagne où il a été transféré à bord d'un avion médicalisé. Officiellement, la présidence algérienne ne mentionne toujours pas qu'il est atteint du coronavirus, elle affirme que son état n'est pas sérieux et qu'il n'est en Allemagne seulement pour des examens médicaux « approfondis« . Le lendemain, la présidence continue de distiller les informations concernant son état de santé, laissant apparaitre de la panique. On apprend qu'il « reçoit le traitement adéquat », sans spécifier de quelle maladie il était atteint, et on tente de rassurer l'opinion publique en affirmant que son état de santé est « stable et n'est pas préoccupant ». La présidence algérienne affirme le 3 novembre que l'état de santé de Tebboune est en « amélioration progressive », et ce n'est qu'à cette date qu'on parle de contamination au coronavirus. Plus aucune communication sur sa santé depuis, jusqu'au 15 novembre. La présidence annonce que le chef de l'Etat a « achevé le traitement recommandé, et subit actuellement des examens médicaux post-protocole« . Encore une fois, sans plus de précision. Les Algériens ne savent pas s'il se porte bien, si le traitement a porté ses fruits, ni quand est-ce qu'il compte rentrer en Algérie. Le spectre d'une présidence fantôme ressurgit Cette situation a commencé à faire écho dans l'esprit des Algériens qui ont rapidement été projetés quelques années en arrière avec la présidence d'Abdelaziz Bouteflika et ses nombreuses hospitalisations en dehors de l'Algérie, notamment en France et en Suisse. Le scénario d'un nouveau président fantôme hante les Algériens après l'expérience vécue avec l'ancien président déchu Abdelaziz Bouteflika, victime d'un accident vasculaire cérébral en 2013 dont il ne s'est jamais remis. Il avait été réélu en 2014 avec 81,5% des voix au premier tour d'une présidentielle loufoque, où ses portraits encadrés ont pris sa place pour la campagne électorale. Lorsque le pouvoir a tenté de reprendre le même scénario pour un éventuel 5ème mandat, le mouvement du Hirak a fait échouer le plan. C'est d'ailleurs la perspective d'un deuxième chef d'Etat présent seulement à travers un « cadre photo » que les Algériens redoutent, sans toutefois se faire d'illusions quant aux réels décideurs, l'establishment algérien incarné par l'armée. Le Hirak, le mouvement de revendications anti-système qui a été forcé de plier bagage avec la crise sanitaire, voit dans cette absence une aubaine pour déclarer la vacance du pouvoir, car pour une majorité d'Algériens, Abdelmadjid Tebboune est un président illégitime. Il a été élu alors que le peuple qui entamait plusieurs mois sans discontinuer de manifestations hostiles au pouvoir, avait boycotté la présidentielle. Ce boycott s'est traduit par un taux de participation des plus faibles. D'autant plus que lors du scrutin, plusieurs journalistes et observateurs ont fait état de militaires et agents de police, d'anciens vétérans de l'armée, habillés en civil, votant plusieurs fois. Cette situation autour de la santé du président algérien « soulève bien sûr des interrogations« , indique notre source. « Nous sommes dans une situation de vacance du pouvoir. Mais l'article 102 de la Constitution qui évoque cette situation est flou: Il dit que dans le cas où le chef de l'Etat est dans l'incapacité d'exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit pour constater la vacance. Mais il ne dit pas qui ni comment saisir ce Conseil. Du coup personne ne prend l'initiative« , nous dit-elle. En effet, le Conseil constitutionnel doit se réunir de sa propre initiative pour constater la vacance définitive de la présidence. Or, le Conseil constitutionnel, ne peut pas tant que le pouvoir algérien ne le veut pas. Et après? Alors qu'à ce stade le président a achevé son protocole de traitement, l'opinion publique ne sait pas s'il sera capable de reprendre ses fonctions normalement. Alors, sur les réseaux sociaux, les appels à appliquer l'article 102 fusent, mais la situation semble être bloquée. « A cause de la terreur qui s'est abattue sur les médias, le sujet est tabou » dans la presse algérienne qui se retrouve dans l'incapacité de mener sa mission de service public, de poser les bonnes questions, et d'alerter quant à la situation préoccupante depuis que le pouvoir algérien sous Tebboune a déclaré la guerre à la presse en emprisonnant plusieurs journalistes. « Personne n'en parle en dehors des réseaux sociaux », ajoute notre source. En Algérie, l'appréhension d'un nouveau scénario à la Bouteflika se fait ressentir et « beaucoup s'interrogent sur la capacité de Tebboune à revenir aux affaires même s'il sort indemne ». La situation pose problème au niveau constitutionnel et aussi dans la pratique, car c'est au président du Sénat d'assurer l'intérim en cas de vacance du pouvoir, sauf que celui-ci est âgé de 91 ans, est malade et à peine lettré. Mais pour l'opposition qui a été muselée et humiliée avec l'arrivée d'Abdelmadjid Tebboune, la perspective d'une vacance du pouvoir est attendue comme le Messie. « L'opposition y voit une bonne opportunité pour une vraie période de transition tant convoitée par le Hirak. Mais nous n'en sommes pas encore là Le gouvernement fonctionne a minima. L'armée reste pour l'instant silencieuse », nous explique-t-on. Au sein des arcanes du pouvoir algérien, on espère simplement un retour du président, quel que soit son état, pour continuer de donner le change, notamment à l'international. L'idée d'une vacance du pouvoir est simplement inimaginable. Elle donnerait la possibilité au Hirak de se réveiller et de constater l'échec de cette présidence rejetée. Si cela venait à arriver, notre source estime que « le système replongera dans une nouvelle crise ».