Le commerce mondial a subi de plein fouet les retombées de la crise sanitaire liée à la pandémie du Coronavirus. Dans ce contexte, la filière marocaine du textile-habillement, intégrée dans la chaîne de valeur mondiale, s'interroge sur les voies à emprunter pour contenir les contraintes qu'impose cette évolution mondiale. L'Institut marocain d'intelligence stratégique (IMIS) s'est penché sur la problématique, dans une étude intitulée »La chaîne de valeur du textile-habillement marocain à l'épreuve du Covid-19 », de Nabil Boubrahimi, professeur d'économie, expert auprès de l'IMIS. Selon l'auteur, le choc Covid-19, sanitaire au départ, avant de devenir économique d'une ampleur inédite, «a fait ressurgir le spectre de la remise en cause du libre-échange, voire même de la dé-mondialisation, tellement le retour des mesures protectionnistes et la perturbation des chaînes logistiques mondiales, ont été manifestes». Ce qui est certain, estime-t-il, c'est que l'ampleur des conséquences devrait dépasser celles de la crise financière de 2008, s'il l'on en croit le Fonds monétaire international (FMI) qui prévoit une contraction en 2020 de plus de 3% de la croissance mondiale, avec les lourdes conséquences financières et sociales qui en résulteront. Prévisions à la baisse L'économie marocaine n'a pas échappé à cette crise sans précédent. Le FMI avance une baisse de 3,7% du PIB en 2020, confirmée par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) qui prévoit un recul de 3,8%. Les secteurs d'activité extravertis, dont le textile-habillement, sont particulièrement touchés, rappelle Nabil Boubrahimi. Il précise que sa contribution, «vise justement à analyser la situation de l'un de ces secteurs, en l'occurrence, celui du textile-habillement, sérieusement impacté par le choc mondial Covid-19, qui, tout en cherchant à endiguer l'ampleur de la perturbation, devrait esquisser des voies de relance post-crise en tenant compte de la reconfiguration attendue de la Chaîne de Valeur Mondiale». Baisse de régime bien avant la crise La crise sanitaire liée au Covid-19 a, en fait, accentué une tendance baissière du secteur du textile et d'habillement, enclenchée depuis 2016, analyse l'auteur, pour qui la baisse de régime «était réelle, malgré la volonté affichée par les pouvoirs publics de le soutenir vu son caractère de premier contributeur à la 1 création d'emplois industriel (près de 160.000) et de fort pourvoyeur de devises (3ème rang national)». Il souligne en ce sens que le secteur «a été doublement affecté par la crise Covid-19 : D'abord en raison de la perturbation des chaînes d'approvisionnement des unités industrielles en intrants en provenance de l'Asie (principalement de Chine), et ensuite par l'annulation de plusieurs commandes de grands clients européens (donneurs d'ordre espagnols et français)». Ceci, dit-il, a durement impacté les exportations de la gamme du textile-cuir classique (vêtements, chaussures, bonneterie, etc.). Et d'ajouter que le secteur de textile et d'habillement a déjà été fragilisé durant ces trois dernières années (2016-2019) avec une forte baisse de ses exportations en raison, entre autres, de la forte concurrence des importations chinoises et turques ainsi que le poids important du secteur informel. Et même avec une réorientation des ventes de certains articles de textiles, fabriqués localement, sur le marché domestique, relève-t-il, le secteur n'est pas en mesure de se positionner en maintenant les mêmes pratiques et les mêmes spécialisations basées sur la sous-traitance dans les activités basiques. Nabil Boubrahimi note alors que «si la crise a démontré l'importance de certaines branches du textile-habillement liées au domaine médical afin de répondre aux besoins de protection de la population et des professionnels du secteur de la santé, elle a, par ailleurs, touché plusieurs sous-branches du textile marocain et risque de prolonger de nombreuses unités industrielles pour une durée assez longue (vêtements et leurs accessoires en bonneterie)». Compte tenu de l'évolution de la conjoncture économique et de la réaction des professionnels du secteur mais aussi des dispositifs incitatifs mis en place par l'Etat, l'économiste propos une analyse SWOT sectorielle dans une perspective de repositionnement dans les chaînes de valeur post-Covid/ Elle porte sur quatre axes: Les forces, les faiblesses, les opportunités et les menaces. Il est notamment question de Maîtrise tant de l'amont que de l'aval de la chaîne de valeur, Intégration du secteur marocain dans une chaîne de valeur régionale et Intégration horizontale pour la réussite de la Chaîne de Valeur Régionale du textile. Par ailleurs, selon l'auteur, les facteurs clés du repositionnement dans les chaînes de valeur post-Covid, concernent la diversification des modes de production, la renégociation des contrats conclus avec les donneurs d'ordre européens, le développement d'enseignes nationales innovantes et compétitives, la mise à niveau du capital humain, l'accentuation des initiatives publiques et privées visant à promouvoir l'innovation, la diversification des sources d'approvisionnement et intégration de matériaux innovants (textiles high-tech, nanomatériaux, nouvelles fibres synthétiques, etc.), et l'encouragement de la production locale de certains intrants à forte valeur ajoutée. Chaîne de valeur régionale Il en résulte, affirme-t-il, que la construction d'une chaîne de valeur régionale du textile-habillement nécessite la maîtrise des différentes composantes se situant aussi bien en amont de la chaîne (innovation, R&D, Big Data, etc.) qu'en son aval (Marketing digital, portefeuille client, distribution et vente, etc.). De même, fait-il observer, l'exploitation des différents avantages qu'offrent les accords de libre-échange est également recommandée en vue de mieux tirer profit du potentiel régional de la production et de commercialisation. C'est dire qu'en définitive, conclut l'expert, «la crise Covid-19 se traduirait par une priorisation des échanges intra-régionaux par rapport aux échanges mondiaux. Une telle perspective nécessitera une montée en gamme du textile national en vue de capter une part des processus productifs appelés à se relocaliser et de lier de forts partenariats avec les pays subsahariens, pour impulser un co-développement du secteur».