L'année 2020, de par son invitée surprise, à savoir la pandémie du coronavirus, a présenté des défis électoraux sans précédent. L'Organisation International IDEA précise à ce propos qu'au moins 70 pays et territoires à travers le monde ont décidé de reporter les élections nationales ou infranationales entre le 21 février et le 31 août 2020. Pour les démocrates du monde entier, ces chiffres pourraient être très préoccupants, en ce sens, note-t-elle, que les élections sont un aspect essentiel du processus démocratique. Il peut cependant y avoir des raisons démocratiques et humanitaires de reporter une élection. Tenir une élection pendant une pandémie peut conduire à une qualité électorale compromise et mettre la vie humaine en danger. Il y a donc eu un véritable dilemme moral et politique sur l'opportunité de procéder à des élections programmées. Au Maroc, on n'en est pas encore là. Toutes les parties concernées affirment que le calendrier électoral sera maintenu. S'il est vrai que la situation épidémiologique du Royaume ne s'améliore pas, il est vrai aussi que novembre 2021, c'est dans une année, au cours de laquelle on pourrait avoir le vent en poupe, et voir s'installer les conditions idoines pour la tenue d'un scrutin. Pour Abdelhafid Adminou, chef du département juridique à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Rabat-Souissi, «on pourrait avoir le droit d'être optimiste». «Le ministre de l'Intérieur a tenu plusieurs rencontres de concertation avec les différents partis politiques. Il en est sorti que les délais électoraux seront respectés et les élections organisées à la date fixée», rappelle-t-il. D'autre part, relève l'universitaire, les notes contenant les observations et propositions apportées par les formations politiques, s'articulent toutes autour d'un échéancier qui se déroulera comme prévu, et ne laissent présager aucun report, ou au pire, une annulation. En effet, toutes les propositions, ou presque, portent sur les lois électorales (code électoral, les lois organiques relatives aussi bien à la 1ère qu'à la 2è chambre du parlement...), et ne laissent pas, ou peu, place au scénario du report. Toutefois, la situation épidémiologique nationale est aujourd'hui inquiétante, et pourrait ne pas s'arranger de sitôt, et c'est là qu'intervient ce que l'on appelle « la gestion des risques ». Notre interlocuteur explique : En ce sens, le ministère de l'Intérieur se doit d'anticiper sur les différentes éventualités et les voies à emprunter pour chaque cas de figure. Faudra-t-il opter pour un report, ou d'autres alternatives dont le coût, autant social, financier que politique, sera important ? A mon sens, avance Pr Adminou, et toujours selon l'évolution de la situation sanitaire dans le pays, « l'option la plus probable en cas de dégradation, reste le report, mais cela n'empêche pas de poursuivre les préparatifs logistiques et législatifs de cette échéance ». Car, dit-il, «la décision du report ou pas, n'est pas autant politique qu'elle est scientifique, autrement dit, c'est le comité scientifique qui décidera si le pays est en situation, sanitaire s'entend, d'organiser des élections sécurisées». Selon l'universitaire, les exemples à cet égard sont multiples, « à commencer par les Etats Unis qui enregistrent le plus grand nombre de cas de contamination, mais aussi de décès dus au covid-19, mais qui excluent (Démocrates et Républicains) toute idée de report des élections présidentielles, pourtant prévues dans un délai très proche, à savoir novembre 2020 ». Par contre pour le Maroc, «nous disposons encore de suffisamment de temps, mais aussi de l'opportunité de la session d'automne du parlement pour examiner et finaliser tous les textes et qui doivent être prêts pour la session d'avril, soit la dernière de l'actuel mandat législatif », poursuit-il. A ce propos, nous dit Abdelhafid Adminou, « il faudra aussi tenir compte du fait que l'examen de la loi de Finances 2021 accaparera beaucoup de temps et d'attention, en ce sens qu'elle devra prendre en considération de le contexte de la pandémie, mais également les orientations royales contenues dans les discours du trône et du 20 août ». En comparaison avec l'actualité mondiale, quelque 66 consultations électorales (de tout genre) ont été menées entre avril et juillet 2020, contre 35 qui ont été reportées. Le principal argument avancé pour ces reports, et qui représente en même temps un facteur de crainte pour les observateurs, c'est le taux de participation. En effet, les pays qui ont maintenu leur échéancier électoral, ont pu relever un taux de participation assez bas, résultant de la crainte des électeurs de se déplacer. Pour le cas du Maroc, explique notre interlocuteur, «la catégorie qui, en général, constitue la majorité de la masse votante (les + de 45 ans), est en même temps celle qui représente la tranche à risque concernant l'infection, et donc ne se déplace pas non plus ». La catégorie qui aura la possibilité, sanitaire s'entend, de se rendre aux bureaux de vote, est justement celle qui ne le fait pas généralement, à savoir les – de 40 ans. D'où, estime-t-il, la nécessité pour les partis politiques d'élaborer des programmes qui intéressent et impliquent les jeunes, et de leur offrir des mesures incitatives, pour les séduire et les incorporer dans cette opération. « Un scrutin général en un jour, comprenant les communales et les législatives, pourrait également permettre de mieux impliquer les jeunes et leur fournir l'opportunité de prendre activement part au jeu électoral à travers des candidatures », insiste-t-il. Ce problème pourra, et devra être résolu, avec l'adoption de la technologie, mais est-ce aussi fiable, et surtout en a-t-on les moyens ? Car l'autre argument qui pourrait peser lourd, c'est l'impact financier pour l'Etat, qui devra assurer des conditions optimales de vote dans un contexte de pandémie. Mais comme toute chose, cette option a ses bons et ses mauvais côtés. Abdelhafid Adminou cite trois handicaps qui émergent à ce niveau. En premier lieu, « le coût de cette technologie qu'il va falloir importer et dont la sécurité et la fiabilité de bout en bout sont à prouver ». En deuxième lieu, il évoque « une campagne et un vote en ligne, qui coûteront certes moins cher, éviteront de rassemblements périlleux, mais priveront aussi les candidats des rencontres directes avec leur électorat, et du contact humain qui peut se révéler déterminant dans des choix politiques ». Le troisième problème auquel il faudra faire face est l'absence de la culture d'Internet dans une bonne partie de la société marocaine : Avec un taux d'analphabétisme dépassant les 40%, et la mauvaise couverture Internet en milieu rural, il serait aberrant, voire ridicule d'envisager un vote électronique.