L'examen du fameux projet de loi 22.20 relatif à l'usage des réseaux sociaux, surnommé par la toile « loi muselière », a finalement été reporté, après que le conseil de gouvernement, de ce jeudi 7 mai, ait validé la requête soumise dans ce sens par le ministre de la Justice. Le projet de loi en question, devait être partagé sur le site du secrétariat général du gouvernement (SGG) avant son adoption, afin que les citoyens et la presse le consultent, chose qui n'a pas eu lieu. Mais le PL a finalement fuité et a été largement partagé et dénoncé sur les réseaux sociaux, son contenu ayant été jugé «liberticide». Sur la question de la fuite du PL 22.20, Abdelhamid Benkhattab, professeur en sciences politiques à la faculté de droit Agdal-Rabat, estime que le vrai débat ne se situe pas au niveau de la procédure, parce qu'il y a eu par le passé plusieurs projets de loi qui n'ont pas été publiés sur le site du SGG, malgré le fait que ça soit une procédure indicative et non obligatoire, et la question, la vraie, n'est pas la publication ou non. Pour ce professeur en sciences politiques, la question porte sur le fond même du projet de loi. « Il est vrai que le gouvernement n'a pas respecté ce qu'on appelle la règle de publicité ou de publication du PL, mais ce n'est vraiment pas un problème insurmontable. Pourquoi, parce qu'on pourrait avancer l'argument que le PL n'est pas encore fini et qu'il est encore en situation de débat et d'aller-retour entre les différentes composantes du gouvernement », explique Benkhattab. Donc le vrai problème n'est pas la procédure législative, estime notre interlocuteur, qui relève toutefois que « le gouvernement est, bien entendu, tenu de respecter le droit constitutionnel notamment en ce qui concerne le droit à l'information que ce soit pour les journalistes ou pour les citoyens ». « Malheureusement, on voit très bien que l'exécutif ne se situe pas vraiment dans cette posture de gouvernement ouvert, qui partage l'information. Mais, toujours est-il que le vrai problème se situe dans le fond et la philosophie même du PL 22.20, qui est un PL liberticide, et ça on doit le poser dès le départ », explique-t-il. En effet, en analysant le contenu du PL 22.20, Benkhattab indique que ce projet de loi « reflète une vision, disons, sécuritaire du gouvernement vis-à-vis de la liberté en général, et de la liberté d'expression en particulier, mais aussi vis-à-vis de ces sites qui prolifèrent un peu partout et de cette alternative informationnelle qu'est devenu justement le monde virtuel ». « Le gouvernement voit d'un œil septique ce monde virtuel et aimerait de toute manière le contrer ou le réglementer, mais à la manière autoritaire », dit-il. Concernant le rôle joué par les réseaux sociaux dans le report de l'examen du texte, Benkhattab affirme en effet qu'il y a eu une « certaine unanimité au sein de la société civile et l'opinion publique contre ce PL». Pourquoi ? Parce que, nous confie-t-il, « le PL dévoile les intentions d'autoritarisme, alors même que nous sommes dans une période où la solidarité et l'entraide nationale étaient en train de ce cristalliser et de se former ». « Le PL 22.20 est malheureusement venu dans un moment où on n'avait pas vraiment besoin de ce genre de main mise sur la liberté d'expression. La société civile, notamment les associations mais aussi les intellectuels et les citoyens, se sont mobilisés contre ce projet de loi, parce qu'on a estimé qu'il s'agit d'un texte non seulement liberticide, mais qui sape l'un des principes fondamentaux de toutes les formulations de loi, à savoir la généralité et l'abstraction », analyse Benkhattab. Selon lui, c'est une loi «qui est destinée à défendre une catégorie socio-professionnelle contre d'autres, chose qui est absurde d'abord et puis inacceptable dans un projet de loi qui est supposé être neutre, général et abstrait». «Là on voit très bien qu'on est devant un PL qui est en train de défendre un lobbying ou une partie de la société contre d'autres. Alors bien évidemment, la société civile s'est mobilisée et a pu pousser le gouvernement à retirer le PL. Mais la vraie question, est que le gouvernement aurait du et pu, non seulement retirer le fameux projet de loi mais suspendre carrément son adoption», souligne Benkhattab. L'universitaire note, en outre, qu'il s'agit-là, d'une « tactique gouvernementale. Le gouvernement veut seulement reporter sa discussion mais il aurait pu le retirer totalement et définitivement. Pourquoi ? Parce que nous sommes devant un PL somme toute liberticide et dont le Maroc n'a pas besoin». Même face aux exagérations, aux dépassements… de la part de la société civile ou encore les médias, il faut être serein, car « on ne peut pas traiter les exagérations des médias ou les réseaux sociaux, par une autre exagération, cette fois ci, de la loi ». « Un gouvernement démocratique et un Etat démocratique, ne doit pas agir de manière passionnelle, ne doit pas agir de manière +vengeresse+. Nous ne sommes pas dans cette posture. Un gouvernement démocratique, c'est celui qui agit avec lucidité et sang froid. Un tel projet de loi n'est ni lucide, ni neutre, ni respectueux des droits fondamentaux garantis par la constitution elle-même« , conclut le politologue.