Fin 2019, les événements se sont précipités en Bolivie. La décision d'Evo Morales, au pouvoir depuis 2006, de briguer un 4è mandat a mis le feu aux poudres. Des émeutes ont secoué le pays, Morales a été chassé, et une nouvelle équipe dirigera le pays en attendant les élections présidentielles. Cette période de transition a été marquée par d'importantes décisions, dont de rompre tout lien avec la RASD, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle relation avec le Maroc. En effet, le retrait, le 20 janvier, par la Bolivie de la reconnaissance de la RASD, offre une preuve supplémentaire que la nouvelle approche adoptée par la diplomatie marocaine en Amérique Latine, est plus porteuse et dénote une meilleure prise de conscience des aspects, développements et enjeux politiques dans la région ciblée. Chercheur à l'Université Mohammed V de Rabat et spécialiste de l'Amérique Latine, Mohcine Mounjid, a livré à Hespress FR, un analyse de la genèse des relations entre Rabat et La Paz, l'épisode socialiste marqué par le soutien au polisario, les lendemains meilleurs qui se dessinent après le départ d'Evo Morales, mais également les incertitudes quant à l'issue des présidentielles de mai prochain. « Les relations entre Rabat et La Paz remontent à 1964, date de l'établissement des relations bilatérales, mais avec l'arrivée du président Hernán Siles Zuazo en 1982, et dans le sillage des mouvements indépendantistes de l'époque, la Bolivie avait reconnu la RASD », commence par rappeler notre interlocuteur. Les liens entre les deux pays sous l'ère des travailleurs (1997/2002), avaient connu une certaine embellie. La Bolivie n'avait pas pour autant retiré sa reconnaissance de la RASD, mais les deux parties avaient convenu d'instaurer des mécanismes de consultation, ainsi qu'un accord de coopération bilatérale dans les domaines économique, scientifique et technique. Mais, relève Morcine Mounjid, « après le retour au pouvoir du Mouvement national révolutionnaire en 2002, et après lui le parti d'Evo Morales, le froid s'est réinstallé, Morales affichant un soutien manifeste au polisario dont il défendait dans tous les foras internationaux ». Pourquoi La Paz a retiré sa reconnaissance de la RASD ? Pour l'analyste, le changement du régime, fondé sur l'idéologie socialiste en Bolivie, « a offert l'opportunité de redresser la barre de la politique étrangère du pays ». Le peule bolivien a en effet mis en frein aux ambitions d'Evo Morales de briguer un 4è mandat à la tête du pays, le contraignant à la démission et ensuite à l'exil au Mexique puis en Argentine. Morales chassé du pouvoir, c'est la seconde vice-présidente du Sénat, Jeanine Añez, une avocate de 52 ans, qui se proclame, le 12 novembre dernier, présidente par intérim de la Bolivie et promet d'organiser des élections pour mai 2020. Depuis, le changement en matière de politique étrangère est perceptible. Le gouvernement intérimaire bolivien a annoncé la rupture des relations avec le régime de Nicolás Maduro, alors la nouvelle ministre des Affaires étrangères, Karen Longaric, a confirmé le retrait du pays andin de l'Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA) et de l'Union des nations sud-américaines (Unasur). Notre interlocuteur poursuit dans ce sens, que «sur la même lancée, et dans le cadre des actions visant à redessiner sa politique étrangère, la Bolivie a nommé un ambassadeur aux Etats-Unis, et hors Amériques, l'une des premières décisions de Jeanine Añez, a été de retirer sa reconnaissance de la RASD ». Ainsi, par voie de communiqué de son ministère des relations extérieures, La Paz avait annoncé, le 20 janvier dernier, le retrait de sa reconnaissance de la pseudo RASD. « La Bolivie est déterminée à construire une relation renouvelée avec le Royaume du Maroc, basée sur le respect mutuel de la souveraineté et de l'intégrité territoriales et la non-ingérence dans les affaires internes des deux pays », avait expliqué le ministère, notant que désormais, la Bolivie « adoptera le principe de neutralité constructive » à l'égard du conflit artificiel autour du Sahara marocain. La Bolivie a, de même, décidé de fermer la représentation du polisarion à La Paz et de rompre tous ses liens avec l'entité factice. Côté marocain, le département de Nasser Bourita avait rend public, le 24 janvier dernier, un communiqué annonçant la décision du Royaume de reconnaitre le gouvernement en place en Bolivie et de «s'associer aux efforts de la communauté internationale pour contribuer à la réalisation des objectifs fixés par la convocation d'élections dans ce pays d'Amérique Latine » au service de la stabilité et la prospérité du peuple bolivien et son rayonnement régional et international. Sur le plan bilatéral, le Maroc a fait état de sa « ferme volonté » de renforcer ses relations avec la Bolivie «sur la base des principes du respect de la souveraineté nationale et de l'intégrité territoriale, ainsi que de la non-ingérence dans les affaires intérieures de chaque pays », et de mettre en œuvre le mécanisme des consultations bilatérales instauré en décembre 1999, la Convention de coopération économique, scientifique et technique d'août 2000 et le Mémorandum d'entente sur la coopération bilatérale. Il a, également, réitéré son ferme engagement à travailler avec la Bolivie pour construire un nouveau cadre bilatéral qui favorise une coopération active, solidaire et ambitieuse. Quel avenir pour les relations après le 3 mai? Morcine Mounjid, également Directeur de l'Observatoire électronique sur l'Amérique Latine, estime que « le scrutin présidentiel prévu en Bolivie le 3 mai prochain constituera sans nul doute un tournant dans les relations entre Rabat et La Paz, en ce sens que son issue déterminera l'orientation politique qui sera donnée par le nouveau président pour les 5 années à venir ». « Les sondages menés dans ce sens, offrent un avantage au parti socialiste conduit par Evo Morales, qui continue de jouir d'une importante popularité, notamment dans le monde rural et les périphéries des grandes villes, ceci au moment où la droite aborde ces élections fortement divisée, en ce sens que les 5 coalitions formant cette droite présentent, chacune, son candidat à la présidentielle », détaille-t-il Et de rappeler que la présidente par intérim, Jeanine Añez, a également fait part de son intention de se porter candidate à ce scrutin, à la tête d'une coalition soutenue par le parti démocrate auquel elle appartient, et qui comprend trois autres groupements politiques de droite. « Elle ambitionne, ce faisant, de rassembler autour d'elle toutes les voix rejetant un retour aux commande du Mouvement vers le socialisme d'Evo Morales », dit-il. Se livrant à une analyse de la carte électorale, le spécialiste note qu' «un retour des socialistes au pouvoir, par voie d'urnes, constituerait une véritable victoire pour leur idéologie, qui aura ainsi été voulue par le peuple et replacera le pays dans sa sphère d'antan, celle du soutien aux mouvements séparatistes, dont le polisario qui retrouvera ses avantages dans ce pays ». « Si, par contre, c'est l'un des partis de droite qui se hisse au pouvoir, cela permettra de poursuivre sur la lancée de novembre et de continuer à dessiner une nouvelle relation avec le Maroc », ajoute-t-il. Mais, relève notre interlocuteur, «quelle que soit l'issue de ce scrutin, le Royaume aura réussi à faire parvenir sa voix au peuple et aux élites politiques en Bolivie, désormais mieux au fait de la thèse marocaine dans le conflit artificiel autour du Sahara marocain ». «Certes, tourner la page Morales permettra de bâtir et de développer une nouvelle relation avec le Royaume, fondée sur la concertation et la coopération au service des intérêts communs, mais de manière générale, la diplomatie marocaine, auteur d'une belle percée dans cette région du monde, se doit de marquer sa présence en prévision de cette échéance en Bolivie, prévue dans moins de 3 mois», met-il en avant. Pour lui, la diplomatie marocaine «se trouve en effet face à plusieurs options. Elle pourrait attendre de voir sur quoi déboucheraient les urnes, comme elle peut se montrer proactive, et présenter dès à présent sa stratégie pour développer les relations bilatérales, y compris sur le plan diplomatique, en vue d'être préparée, le mieux possible, à la phase post-électorale».