Lors du vote mercredi dernier prorogeant le mandat de la MINURSO d'une année au lieu des six mois en vigueur depuis 2018, l'Afrique du Sud, membre du Conseil de sécurité des Nations unies depuis juillet dernier, a opté pour l'abstention, alors qu'habituellement elle opposait son refus. Cette attitude peut être interprétée comme « un acte positif » de la part d'un pays qui affichait au grand jour son soutien pour la thèse séparatiste et multipliait les initiatives en sa faveur. Revirement de situation ? Rapprochement en vue entre deux grands de l'Afrique ? La question mérite d'être posée. Hespress Fr l'a justement posée à un fin connaisseur de la question africaine, l'anthropologue et chercheur à l'Institut des études africaines, Khalid Chegraoui. Pour lui, il est nécessaire de percevoir l'Afrique du Sud sous un angle plus large : Un Etat et une Administration. « On a toujours fait l'erreur de voir en l'Afrique du sud des leaders et des personnes, et c'est pour ça qu'on s'est toujours fié à cette présence et à cette aura de Nelson Mandela, et une fois qu'il est parti, on s'est trouvé dans l'incompréhension d'un certain nombre de choses« , avance le chercheur. Bien comprendre l'Afrique du Sud Nous avons omis de considérer qu' »il y a des intérêts en jeu. Il y a des structures à l'intérieur de cet Etat et une expérience démocratique importante à prendre au sérieux, faite d'un parlement, de partis politiques et d'une une société civile plus forte qu'on ne le pense », ajoute notre interlocuteur, pour qui « la question n'est pas liée à un président, mais c'est tout un système où il y a des contradictions énormes, même à l'intérieur du Congrès national africain (ANC)« , parti du président Cyril Ramaphosa. Il est également nécessaire, poursuit-il, de saisir la nuance entre « ceux qui essaient et qui comprennent très bien la position marocaine, ceux qui semblent beaucoup plus anti, mais aussi ceux qui sont anti positions marocaines, mais pas anti-Marocains. Il n'ont rien contre le Maroc en tant qu'Etat, civilisation et culture« . Mais, souligne-t-il, sur le plan politique, « il y a d'autres principes qu'ils se voient obligés de respecter. Et c'est cette donne qu'il faut comprendre au niveau de l'Afrique du Sud qui n'est pas n'importe quel pays africain. Mais surtout il ne faut pas faire l'erreur que nous faisons tous Marocains, de croire que tout le continent africain subsaharien, Afrique de l'Est et Afrique australe, c'est un autre Sénégal, Gabon ou Côte d'Ivoire« . Et de faire valoir que « l'Afrique c'est 54 Etats. Chaque Etat a sa propre identité. Pour l'Afrique du Sud, c'est une identité unique, et n'oublions pas que c'est une société multiple où il y a encore des Noirs et des Blancs. Et à l'intérieur de la communauté noire il y a des disparités terribles, ajouté à cela la communauté asiatique qui est très influente et qu'on n'a pas su écouter ni introduire, malgré qu'elle soit en partie musulmane« . Le chercheur évoque aussi les universités, notamment University of Cape Town (UCT), qui est en pointe en Afrique. « Les universités sud-africaines, dit-il, ont un système à l'américaine, dont les think-tank participent à l'élaboration des décisions. Ils s'agit d'ouvrir le dialogue, de parler avec tout le monde, même les anti-Maroc et de développer la coopération« . Coopération interafricaine A cet égard, le ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Nasser Bourita, avait appelé Pretoria, déjà en avril dernier dans une interview à l'hebdomadaire sud-africain «The Sunday Times», « à travailler avec le Maroc pour l'émergence d'un nouveau modèle de coopération interafricaine ». « Au lieu de continuer dans une situation d'impasse, le Maroc et l'Afrique du Sud doivent travailler ensemble pour développer un modèle de coopération interafricaine et de coopération Sud-Sud », avait dit le ministre. Le Maroc et l'Afrique du Sud, qui demeurent deux importantes économies en Afrique, représentent deux plateformes d'entrée dans le continent, a-t-il souligné, notant que Rabat et Pretoria sont appelés à travailler ensemble pour aider l'Afrique à avancer vers l'émergence économique nécessaire du continent. Bourita n'a pas manqué, non plus, de mettre en avant le soutien apporté par le Maroc à la lutte du peuple sud-africain contre le régime de l'apartheid, rappelant que le leader historique sud-africain Nelson Mandela avait été accueilli dans le Royaume depuis le début des années 1960. Nomination de Youssef Amrani Pour le chercheur, la nomination de Youssef Amrani, un diplomate de premier rang, en tant qu'ambassadeur du Maroc à Pretoria s'inscrit dans cette même logique d'investir un terrain qu'on connaît mal, voire pas du tout. « Youssef Amrani est fort d'une longue carrière diplomatique, est un homme politique très important et mais également un homme de communication. Il saura s'investir à fonds dans cette mission et réaliser des choses extraordinaires« , estime-t-il. Toutefois, nuance notre interlocuteur, « il faut lui donner les moyens« , nous dit Khalid Chegraoui qui explique que « l'Afrique du Sud c'est trois capitales, la politique Pretoria, la législative (siège du parlement) Cap Town et l'économique Johannesburg, il faudra donc mettre en place au moins trois grands consulats, avec des hommes et des femmes qui parlent parfaitement anglais, qui sont très ouverts sur les cultures locales, qui peuvent s'asseoir avec un musulman chafiite comme ils peuvent s'asseoir avec un protestant anglican, et qui maîtrisent toutes les contradictions et les disparités de la société sud-africaine« . Ceci étant, notre interlocuteur affirme que le nouvel ambassadeur du Maroc à Pretoria est « parfaitement qualifié pour la mission. Il aura toutes les chances de réussir s'il est bien assisté, parce qu'à lui tout seul ce n'est pas facile« . Il est nécessaire de se diriger vers le réchauffement des relations. Nous avons toujours maintenu des contacts intellectuels avec l'Afrique du Sud, il y a aussi beaucoup de personnes de qui cherchent à reprendre les relations avec le Maroc. Il y a des possibilités, et il y aura toujours des possibilités de reprendre. Il faut juste montrer que le Maroc peut être un grand allié de Pretoria, et corriger la « vilaine image » du Maroc qui leur a été donnée, préconise Khalid Chegraoui.