L'arrestation de Redouane Taghi a mis un coup de lumière sur l'un des réseaux criminels les plus violents d'Europe et géré principalement par des Marocains. Retour sur la genèse de ce réseau tentaculaire et sanguinaire, opérant sur plusieurs continents. Avant d'entrer dans le vif du sujet, un point sur l'étymologie de ce nom s'impose. Ce néologisme qu'est Mocro Maffia est relatif à Maroc et mafia, étant donné que le terme argotique en néerlandais Mocro fait allusion à «Marocains», explique le journaliste spécialisé dans le crime John Meeus à la chaîne VRT. Un terme qui est apparu en 2010, lorsque la force de frappe de cette organisation criminelle s'est accrue de façon exponentielle, avec près d'une trentaine de liquidations de rivaux dans le marché très lucratif de la cocaïne en Europe. Après avoir débuté dans le trafic de haschich, le réseau criminel se spécialise dans le transport et la vente de cocaïne, aux Pays-Bas dans un premier temps, puis en Belgique. Les bandes formant la Mocro Maffia sont loin d'être homogènes et se livrent souvent à des confrontations sanglantes. Cette rivalité a même donné naissance à ce que l'on appelle la « Mocro War », impliquant non seulement Marocains, mais aussi Néerlandais, Antillais et Surinamiens qui se disputent le marché de la cocaïne, substance qui fait son entrée sur le vieux continent par les plus grands ports d'Europe. L'omerta ou la mort Avec un territoire s'étalant jusqu'en Belgique, la Mocro Maffia se place dès 2010 comme leader sur le marché avec des cargaisons transitant depuis la Colombie, le Mexique, en traversant le Maroc pour finir leur périple en Belgique et aux Pays-Bas. Les principales portes d'entrée seront alors le port d'Anvers et celui de Rotterdam, les plus grands d'Europe. C'est dans ce même port d'Anvers, que l'influence des Marocains est apparue au grand public, lorsqu'en mars 2012, une cargaison de cocaïne livrée par les Colombiens au Port d'Anvers sera interceptée par une autre bande criminelle composée par des Belgo-marocains d'Anvers. S'ensuivra une série de liquidations, notamment une fusillade à la kalachnikov au café chicha Fayrouz Lounge à Amsterdam, mythique lieu de rencontre des barons de la drogue dans la ville néerlandaise. Presque tous les impliqués seront tués au court d'une série de violentes attaques. Durant cette période, les criminels se cachant derrière cette organisation sont encore inconnus. Les noms et visages des chefs de bandes sont encore un mystère et répondent à des noms de code. Le média local Panorama sera le premier à pouvoir divulguer le nom et même le visage du fameux criminel Redouane Taghi, qui était le chef «suprême» de la bande. Résultat: les locaux du média seront visés par un attentat au lance-roquette en juin 2018. Le quotidien De Telegraaf sera lui aussi pris pour cible après avoir révélé que Redouane Taghi et Said Razzouki, son bras droit, seraient au Mexique où ils jouissent d'une alliance avec le cartel de Juarez, l'un des plus grands du pays et qui compte quelque 100 000 membres. Le matin du 26 juin 2018, le siège social du quotidien sera la cible d'une attaque à la camionnette bélier. Depuis ces deux incidents, tous les médias néerlandais disposent d'une sécurité renforcée, fournie par les autorités. Méthodes de la Cosa Nostra Bien que le phénomène de liquidation ne soit pas nouveau aux Pays-Bas, la police est rapidement dépassée par l'ampleur de cette guerre souterraine, qui tue même des innocents. Un rapport du syndicat de la police néerlandaise affirmait, en mars 2018, que le pays s'était transformé en un « narco-Etat » et dénonçait le manque d'effectifs et d'expérience dans le démantèlement de réseaux de ce genre. Répondant à la fameuse loi du silence (omerta) le réseau n'a aucun scrupule à tuer de simples innocents, comme ce fut le cas avec Redouan Bakkali, frère d'un ancien membre de la Mocro Maffia, Nabil Bakkali qui après son arrestation en 2018, collaborera et fournira la première photo jamais dévoilée de Redouane Taghi et qui vaudra au média Panorama d'être pris pour cible. L'assassinat d'un autre Maroco-néerlandais Nabil A. fera la Une des journaux locaux. La tête de ce jeune originaire de Tétouan sera retrouvée le 9 mars 2016 dans un café, et son corps dénudé sera quant à lui retrouvé dans une voiture volée de police non loin du café chicha Fayrouz Lounge. Une violence inouïe dans le pays et qui ne fera que s'accentuer avec des règlements de comptes en plein jour. S'il existerait près d'une dizaine de bande, celle de Redouane Taghi et Said Razzouki est celle qui aurait commandité le plus de meurtres. Elle est liée aux fusillades de 2012, après le vol de 200 kilogrammes de cocaïne au Port d'Anvers. L'acheteur, un certain Samir B., sera assassiné par le clan Taghi en 2014 dans un bar à Benahavís (Sud de l'Espagne). Rien que cette année, le comptable de son organisation qui est demeurée active sera lui aussi assassiné le 12 décembre 2019 à Amstelveen. Atteignant l'Espagne, les répercussions sur le sol marocain ne se font pas attendre, étant donné que plusieurs d'entre eux, originaires du pays, se rendent souvent et investissent dans le royaume. C'est le cas de Mustapha.F, surnommé Moes et qui est le propriétaire du tristement célèbre café La Crème qui était visé, en novembre 2017, par une fusillade, ayant coûté la vie à la mauvaise cible, un jeune étudiant en médecine.
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Le natif de Nador, également propriétaire du café Cappuccino à Tanger, s'était réfugié après cette fusillade, commanditée par le clan Redouane Taghi, à Casablanca avant de se volatiliser. Cette année encore, son bras droit, Naima J. aurait été kidnappée par le réseau de Taghi, le 20 octobre de l'année courante, et n'aurait donné aucun signe de vie (au moment de la publication de l'article). Qui était Redouane Taghi ? Il semblerait que tous les chemins nous mènent vers le fameaux Redouane Taghi né le 20 décembre 1977 à Bni Selmane (à quelques kilomètres de Chefchaouen) et qui serait derrière le plus grand nombre d'assassinats dans le pays. À l'adolescence, il a fait ses premiers pas sur la voie criminelle avant de s'allier aux cartels colombiens et mexicains. Le réseau de Taghi parvenait à faire entrer près d'une tonne de cocaïne par mois via le Maroc, Anvers et Rotterdam, confiait un ancien membre de son réseau Ebrahim B., au quotidien NRC. Très tôt, Redouane Taghi sera dans le viseur des autorités néerlandaises, puis espagnoles, puis marocaines. Le présumé chef de bande et son bras droit étaient introuvables durant plus de trois ans, alors qu'ils n'avaient jamais cessé leurs activités. Trois ans de cavale ont conduit la police dans une impasse, étant donné que le criminel et son bras droit avaient eu recours à de multiples opérations chirurgicales pour modifier leurs apparences, expliquaient les autorités néerlandaises.
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Redouane Taghi s'était réfugié aux Pays-Bas depuis tout ce temps. Il serait rentré à Dubai via l'aéroport en présentant un faux passeport, selon le quotidien Gulf News. Le lundi 16 décembre 2019, les autorités émiraties ont annoncé l'arrestation de Redouane Taghi, mettant fin ainsi à la chasse à l'homme le visant et orchestrée par les autorités néerlandaises qui avaient également proposé une récompense de 100 000 euros à quiconque pouvait aider à le retrouver. Deux jours plus tard, Redouane Taghi a été extradé vers les Pays-Bas, où il ne sera a priori pas traduit devant le tribunal car un mandat d'arrêt avait déjà été émis contre le suspect en septembre, explique un porte-parole du ministère public néerlandais. Le ministère public l'avait précédemment inscrit sur des listes d'enquêtes nationales et internationales. Après l'arrestation du criminel, le moment et le lieu de l'extradition ont donné lieu à quelques discussions. L'éventualité d'une extradition vers le Maroc a pu être mise en avant, étant donné que le Maroc dispose d'un traité d'extradition avec les Emirats Arabes Unis, contrairement aux Pays-Bas. Le Maroc avait également émis un mandat de recherche contre le criminel, suspecté d'être le cerveau de la fusillade survenu au café la Crème à Marrakech en 2017.