Accusée d'avoir financé des groupes djihadistes dont l'organisation Etat islamique pour maintenir son activité en Syrie, l'entreprise Lafarge SA est placée sous contrôle judiciaire avec caution de 30 millions d'euros. Elle a fait savoir qu'elle fera appel de la décision des juges. L'entreprise Lafarge SA a été mise en examen jeudi en tant que personne morale pour «complicité de crimes contre l'humanité», après avoir été accusée d'avoir financé des groupes djihadistes dont l'organisation Etat islamique en Syrie. La holding, actionnaire majoritaire de la filiale syrienne Lafarge Cement Syria, est également poursuivie pour «financement d'une entreprise terroriste» et «mise en danger de la vie» des anciens salariés de l'usine de Jalabiya, dans le nord de la Syrie. Pour l'entreprise, cette mise en examen signifie qu'elle est placée sous contrôle judiciaire, avec une caution foxée à 30 millions d'euros. Dans la foulée, le cimentier franco-suisse a fait savoir qu'il fera appel de cette décision, estimant que «les infractions reprochées ne reflètent pas équitablement les responsabilités de Lafarge SA».«Nous regrettons profondément ce qui s'est passé dans notre filiale syrienne et, dès que nous en avons été informés, nous avons immédiatement pris des mesures fermes. Aucune des personnes mises en examen n'est aujourd'hui dans l'entreprise», a déclaré Beat Hess, le président du conseil d'administration de LafargeHolcim dans un communiqué. Dans cette affaire, ces derniers mois, déjà huit anciens dirigeants et cadres de Lafarge ont déjà été mis en examen, pour financement d'une entreprise terroriste et/ou mise en danger de la vie d'autrui. C'était donc au tour de Lafarge SA de s'expliquer devant les deux juges financiers. Initialement programmée le 5 juin, l'audition d'aujourd'hui avait été reportée in extremis à la demande de Lafarge SA: son ancien PDG, Saad Sebbar, ayant démissionné après avoir reçu la convocation. Un nouveau représentant a depuis été désigné pour assister l'entreprise lors de l'audience, aux côtés des avocats de la société. Une enquête hors norme Voilà deux ans que la justice enquête sur les conditions dans lesquelles le cimentier français, qui a fusionné en 2015 avec le suisse Holcim, a maintenu en activité son usine de Jalabiya en 2013-2014 dans une région du nord de la Syrie, sous contrôle de l'EI. En juin 2017, le parquet de Paris avait ouvert une information judiciaire pour financement d'entreprise terroriste et mise en danger de la vie d'autrui. Lafarge-Holcim est soupçonné d'avoir versé, au total via sa filiale LCS, près de 13 millions d'euros entre 2011 et 2015 alors que le pays s'enfonçait dans la guerre. D'après l'enquête, ces sommes, qui ont bénéficié en partie à des groupes armés correspondaient au versement d'«une taxe» pour la libre circulation des salariés et des marchandises, et à des achats de matières premières dont du pétrole à des fournisseurs proches de l'EI. À ces canaux de financement, s'ajoutent désormais des soupçons sur la possible vente de ciment au groupe Etat islamique, mis en lumière dans de récentes investigations. L'ONG Sherpa et le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR), à l'origine de l'information judiciaire, demandaient que le cimentier français soit aussi mis en examen pour complicité de crimes contre l'humanité en Syrie. Aujourd'hui, Sherpa salue dans un communiqué une «décision historique» qui «doit décider Lafarge à prendre ses responsabilités et à ouvrir un fonds d'indemnisation indépendant afin que les victimes voient leur préjudice rapidement réparé».