L'adhésion du Maroc à la Cedeao devrait passer comme une lettre à la poste samedi prochain, mais d'aucuns continuent de croire que le royaume devrait revoir ses ambitions. Dans quelques jours, plus précisément le samedi 16 décembre, pourrait être annoncée l'adhésion du Maroc à la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao). Le royaume a en effet obtenu un «accord de principe» pour son entrée dans l'espace économique ouest-africain lors du 51e sommet de la Cedeao, qui s'est tenu le 4 juin dernier dans la capitale libérienne Monrovia. «La démarche de l'adhésion du Maroc est sur la bonne voie et va être annoncée lors de ce sommet », a déclaré en août dernier le président de la Commission de la Cedeao, Marcel Alain de Souza, suite à un entretien avec le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita, à Rabat. La décision devrait donc passer comme une lettre à la poste samedi prochain. Pour ou contre? En attendant, de nombreuses voies se sont levées, au Maroc et ailleurs, depuis la demande du Maroc d'intégrer la zone économique ouest-africaine. D'un côté, ceux qui sont «pour» soutiennent que le Maroc, sixième puissance continentale, va apporter une valeur ajoutée importante au poids économique de la Cedeao. «L'expérience du Maroc aux niveaux sécuritaire, universitaire, industriel», ainsi que «les relations bilatérales historiques et très fortes» liant le royaume à de nombreux pays d'Afrique de l'Ouest sont des arguments pour corroborer cette thèse. De plus, l'offensive impulsée par le roi Mohammed VI au cours des dernières en Afrique de l'Ouest a eu pour effet de consolider la présence, voire la «participation active» du Maroc à la vie économique de ces pays. La région est d'ailleurs devenue le premier partenaire commercial du Maroc en Afrique subsaharienne, selon le rapport 2017 de l'Office des changes, avec des exportations qui sont passées de «3,2 milliards de dirhams en 2008 à 10,2 milliards de dirhams en 2016». Ensuite vient le camp de ceux qui sont contre l'entrée du Maroc dans la Cedeao. Certains voient en effet dans l'adhésion du Maroc une porte ouverte à d'autres pays qui n'appartiennent pas à la région. Il est vrai que la Tunisie a aussi fait part de son souhait d'intégrer la Cedeao. Pour d'autres, la crainte se résume dans la question suivante: «Les entreprises marocaines auront accès à une vaste zone de libre-échange et de libre circulation des personnes, mais la réciproque sera-t-elle garantie?» «Le Sénégal va devenir un souk marocain» Un pays où les opposants à l'entrée du Maroc dans la Cedeao sont les plus farouches est un allié traditionnel du royaume: le Sénégal. On se souvient à juste titre de la déclaration du député et économiste Mamadou Lamine Diallo qui redoute qu'avec l'entrée du Maroc dans la Cedeao, «le Sénégal se transforme en un souk d'importations» du royaume. Et ces craintes font l'objet de nombreux débats dans le pays: https://www.youtube.com/watch?v=BOU5riGI7IM&t=2355s Au Nigéria, première puissance de la Cedeao, de nombreux syndicats sont montés au créneau pour demander au président Muhammadu Buhari de s'opposer à l'adhésion du Maroc. La Manufacturers Association of Nigeria (MAN), par la voix de son président Frank Udemba Jacobs, a mis en garde contre l'acceptation du Maroc, car elle «provoquerait la perte» du secteur productif du pays. De son côté, l'ex-ministre des Affaires étrangères, Bolaji Akinyemi, dénonce une tentative pour réduire l'influence du Nigéria dans l'instance ouest-africaine. « Le Maroc n'est pas prêt » Au Maroc également, deux camps se sont formés vis-à-vis de l'adhésion du pays à la Cedeao. Mais ne sous attardons pas sur les «pour», qui ont fait l'objet d'une exposition médiatique assez importante depuis plusieurs mois. Qu'en est-il donc de l'autre courant et pourquoi s'oppose-t-il à l'entrée du Maroc dans l'instance économique ouest-africaine? Pour l'économiste marocain Najib Akesbi, «le vrai clivage ne se résume pas à la question d'être pour ou contre l'adhésion du Maroc à la Cedeao, mais plutôt à être pour ou contre le libre-échange tel qu'il se fait en ce moment». Il est donc évident que ceux qui soutiennent les accords de libre-échange sont également en faveur de l'adhésion du Maroc à la Cedeao. Mais, «vous avez également une autre catégorie qui considère qu'il est tout à fait inapproprié que le Maroc, depuis qu'il signe des accords de libre-échange, est perdant sur toute la ligne», nous explique Akesbi. Pour lui, qui appartient à ce dernier courant, l'économie marocaine n'est pas mise à niveau, n'est pas préparée. Il en veut pour preuve que le Maroc est déficitaire envers tous les 55 pays avec lesquels il a signé un accord commercial. «De 1995 et 2004, nous avons signé de nombreux accords, mais les résultats sont là: le pays accuse un recul d'au moins une dizaine d'années». L'économiste insiste qu'il faut d'abord mettre à niveau l'économie, et développer une offre exportable compétitive, car «ces pays profitent de la libéralisation de notre marché, mais pas vice versa». Il faut noter qu'en Afrique, le Maroc a actuellement des accords préférentiels d'échange avec certains partenaires dits traditionnels (Côte d'Ivoire, Sénégal, Mali, etc.), mais pas des accords de libre-échange au sens conventionnel. Ce qui va changer avec l'adhésion à la Cedeao. Droit de douane commun Un autre problème se pose, selon Akesbi. Quand le Maroc intégrera la Cedeao, il devra se soumettre à un droit de douane commun, une sorte de protection contre les pays contre les pays hors zone (à l'image du « Tarif douanier commun » de l'Union européenne). Alors que faire des pays pour lesquels le Maroc a décrété le libre-échange? Si le Maroc entre dans la Cedeao, il devra se protéger comme les autres pays de la zone en adoptant ce droit de douane commun. «Pourtant, les pays de la Cedeao ne devraient pas accepter que le Maroc intègre leur groupe et donne des préférences à des pays qui n'en font pas partie. C'est un vrai problème». Quid de la monnaie unique que le Maroc devra adopter? «Il faut déjà que la Cedeao soit en mesure d'avoir la monnaie unique; ça ne sert à rien de se poser de faux problèmes, de fausses questions», a conclu Akesbi.