Figure emblématique de la communication, Neila Tazi fait de la promotion de la culture des Gnaoua son cheval de bataille, et ce depuis une vingtaine d'années. Cette semaine, la Commission inter-gouvernementale du patrimoine culturel de l'UNESCO a annoncé qu'elle va procéder à l'inscription du dossier de « l'art Gnaoua » sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité lors de sa prochaine réunion annuelle en décembre 2019 à Bogota en Colombie. Neila Tazi, la fondatrice du Festival Gnaoua Musiques du monde d'Essaouira nous explique les enjeux de cette démarche. On sait le combat que vous avez mené depuis une dizaine d'années pour la promotion de ce patrimoine. Aujourd'hui, au moment où l'UNESCO s'apprête enfin à inscrire cet art sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité, sentez-vous que votre mission est accomplie ? Notre combat pour la culture des Gnaoua a démarré en 1998, il y a 22 ans donc, lorsque nous avons créé le Festival Gnaoua et Musiques du Monde. Nous avons ensuite décidé en 2009 de créer l'Association Yerma Gnaoua pour la préservation et la valorisation du patrimoine gnaoui car notre engagement va au-delà de quatre jours de festival. La culture des Gnaoua mérite bien plus que cela. Nous avons travaillé sur le statut du Maalem Gnaoui et avons réalisé une anthologie de la musique gnaouie. Enfin, nous travaillons, dans la mesure de nos moyens, à la promotion de cette musique sur la scène musicale mondiale. En 2009, nous avons saisi par écrit le Ministre de la Culture pour lui demander d'engager le dossier de candidature à l'UNESCO. Demande qui a été plusieurs fois renouvelée. Nous remercions le ministre actuel Mohamed Laaraj d'avoir enfin soumis cette demande. L'inscription sur la liste UNESCO marquera le début d'une nouvelle ère pour les Gnaoua, car la responsabilité de la préservation et de la valorisation de ce patrimoine deviendra collective. Ce jour-là, nous serons en effet heureux d'avoir mené ce combat jusqu'au bout malgré les doutes et les difficultés. Ce sera une joie et une fierté pour les marocains. -En attendant la date de la 14ème réunion annuelle de la Commission inter-gouvernementale du patrimoine culturel prévue du 9 au 14 décembre 2019 à Bogota, qu'est-ce que les différents acteurs doivent faire pour rendre cette inscription effective ? Le Comité étudie le dossier et soumet un rapport au Comité intergouvernemental qui décidera lors de sa session annuelle. Le dossier de candidature est présenté par le Ministère de la Culture dont la direction du patrimoine et les experts sont habitués à ce type d'exercice. Le Ministère de la Culture et notre Délégation à l'UNESCO font le travail et les démarches nécessaires pour défendre le dossier dont les arguments sont très solides au regard du travail mené depuis plus de vingt ans. Sur 508 éléments inscrits sur la liste du patrimoine immatériel, 7 sont marocains dont deux en commun avec d'autres pays comme la fauconnerie et la diète méditerranéenne. Sur 1092 sites inscrits au patrimoine mondial, 9 sont marocains et 52 sont sur le continent africain. Pour vous donner une idée, l'Italie et la Chine en ont respectivement plus de 50. L'Afrique est un continent qui a encore des efforts à faire en matière de préservation du patrimoine, et le Maroc est plutôt en avance sur cette question. - Quels seront les retombées de cette inscription sur l'art Gnaoui ? La Convention du Patrimoine Mondial fixe les obligations des Etats et leur rôle dans la préservation du patrimoine. Les Etats s'engagent à rendre compte au Comité du patrimoine mondial de l'état de conservation de leurs biens inscrits, les dispositions prises sur le plan législatif, réglementaire (...).Ces rapports réguliers permettent au Comité d'évaluer la situation, de définir les besoins en programmes spécifiques pour la protection du patrimoine mais également pour sensibiliser le public à améliorer leur protection par des programmes d'éducation et d'information. Cette inscription permet également des échanges d'expériences et de bonnes pratiques entre les Etats parties. Le patrimoine culturel immatériel est traditionnel, contemporain et vivant à la fois. Il ne peut être considéré comme patrimoine que lorsqu'il est reconnu comme tel par les communautés, les groupes et individus qui le créent, l'entretiennent et le transmettent. Sans leur avis, personne ne peut décider à leur place si une expression ou pratique donnée fait partie de leur patrimoine. Cette inscription à la liste UNESCO encouragera les Gnaoua et leur relève à continuer de s'organiser et de travailler à la préservation et la promotion de leur art. Il faut dire que la richesse des connaissances transmises d'une génération à l'autre a une valeur sociale et économique pertinente pour les groupes minoritaires comme pour les groupes sociaux majoritaires à l'intérieur d'un Etat.