Au regard des mutations sociales que le Maroc est en train de connaitre, et celles attendues à l'avenir, le rôle de la femme dans la famille et dans la société est amené à évoluer. Dans ce sens, la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) appelle, dans son rapport général présenté mardi à SM le Roi Mohammed VI, à la mise en oeuvre d'une batterie de mesures dès 2021. 1- Concilier entre engagement familial et professionnel :
La CSMD suggère de promouvoir des solutions de flexibilité de travail pour les femmes en milieu professionnel, les aidant à mieux concilier leurs engagements familiaux et professionnels, sans discrimination (congés maternité et paternité, temps partiel, horaires aménagés, télétravail…). Dans les fonctions qui le permettent, il s'agira d'instaurer le travail flexible (télétravail en part time) dans les institutions publiques et privées de manière progressive. Un projet de loi sur le congé de paternité pourrait être également envisagé, permettant aux parents de mieux gérer la période de post-maternité.
2- Optimiser la garde d'enfants: La Commission propose de mettre en place des solutions à grande échelle pour la garde d'enfants à coût accessible, et une mobilité facilitée et sécurisée permettant aux femmes une plus grande disponibilité pour s'engager dans des activités économiques et sociales. Dans ce sens, la CSMD met en avant diverses mesures envisagables: - La création de structures de support de garde d'enfants au sein des entreprises : 1 crèche (financée par l'entreprise) pour chaque entreprise de plus de 500 salariés - Dans les PME, prise en charge d'une partie des frais de crèche par l'entreprise - Alignement des cahiers de charges d'aménagement et de gestion des zones industrielles avec les objectifs de promotion de l'emploi féminin - Mise en place d'aides à l'accès aux solutions de transport (public ou d'entreprises) pour faciliter la mobilité des femmes, leur temps de trajet et leur sécurité - Instauration de l'horaire continu notamment dans l'éducation fondamentale.
3- Parité des salaires : La CSMD estime qu'il faut instaurer une loi sur la parité des salaires, ainsi que des incitations positives pour les entreprises appliquant des procédures RH favorables à l'évolution de carrière des femmes : - En rendant obligatoire l'égalité des salaires dans toutes les structures privées - En mettant en place un dispositif fiscal favorisant les entreprises vertueuses en termes de politique RH paritaire, créant des mesures incitatives gratifiantes - En appliquant la discrimination positive à l'embauche envers les femmes (interdiction de spécifier le genre dans un descriptif d'emploi et obligation d'être inclusif). La CSMD ambitionne de passer de d'un écart actuel de 15% dans l'indicateur de la parité salariale dans le secteur privé, à un écart de 10% en 2025 et de 5% en 2035.
4- L'entreprenariat féminin, le grand pari : La CSMD aspire promouvoir fortement l'entrepreneuriat des femmes, vecteur d'autonomisation (économique, social, culturel). Il s'agira à l'horizon 2030 de promouvoir massivement l'entrepreneuriat des femmes, de tous types, de l'entrepreneuriat social et de proximité, à l'entrepreneuriat à très fort potentiel. A travers le projet « Autonomisation Economique des Femmes » qu'elle propose, la CSMD veut donner la priorité en matière d'accès à l'aide publique aux coopératives dirigées par des femmes et en élargissant la protection sociale au statut d'autoentrepreneur pour encourager les femmes de passer de l'informel au formel, en plus de sensibiliser sur une fréquence régulière, à l'éducation financière, à la culture managériale et le renforcement des capacités en matière de montage de projet. La CSMD met également dans ses priorités un "Soutien sans équivoque" aux coopératives dirigées par des femmes, notamment en milieu rural, en leur facilitant l'accès élargi aux aides publiques et en mettant en leur faveur des modules de formation sur le numérique pour optimiser, notamment, la commercialisation de leurs produits. Par ailleurs, plusieurs actions structurantes méritent d'être déployées dans ce sens, selon la CSMD : - La mise en place de guichets d'accueils permettant d'accompagner les femmes rurales dans leurs démarches d'accès aux terres collectives et pour faire valoir leurs droits - L'accompagnement des associations féminines en matière de structuration de leurs actions d'entraide communautaire, y compris pour ce qui est de l'octroi de crédit - L'octroi de subventions spécifiques destinées à favoriser l'accès des femmes rurales aux moyens de production (domaine agricole et artisanal).
5- Femmes dirigeantes: montrer l'exemple: La Commission tend vers l'encouragement et la promotion de la participation des femmes aux postes de responsabilité et aux instances dirigeantes dans les secteurs privés et publics. Pour la CSMD, l'Etat doit montrer l'exemple dans son engagement dans la politique de "genre", en étant le premier à instaurer et appliquer les mesures qu'il promeut dans le cadre de la politique genre au sein de la fonction publique. Objectif: augmentation du nombre de femmes à des postes d'emplois supérieurs de 11% actuellement, à 20% en 2025 et 35% en 2035. Comment ? Outre l'élargissement de l'accessibilité des femmes aux échelons élevés de la responsabilité dans le secteur public, il convient d'instaurer des quotas de représentation des femmes dans les conseils d'administration de certaines entreprises (appartenant aux secteurs réglementés, faisant appel public à l'épargne…) et dans les organisations syndicales. Il en est de même pour l'accès des femmes entrepreneurs à la commande publique, moyennant un quota spécifique. La CSMD a également songé à l'instauration de mesures fiscales incitatives en faveur des entreprises qui se conforment aux objectifs de la parité dans l'emploi et le recours à la défiscalisation de la part du revenu des ménages allouée au paiement des frais d'aides ménagères.
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6- Violences faites aux femmes... tolérance zéro : La CSMD appelle à une réforme du code pénal et amendement de la loi 103-13 afin qu'aucune femme ne subisse de violences (psychologique, physique, sexuelle) ni dans la sphère publique ni dans la sphère privée. Cela passe par l'amendement de la loi concernant les violences faites aux femmes (loi 103.13), particulièrement sur les volets de la sphère privée, la mise en place de mesures punitives strictes et leur application, la définition de la violence afin d'y intégrer la violence psychologique, l'élargissement de la loi à tous les champs du harcèlement, et le renforcement de la coordination des acteurs impliqués via la mise en cohérence des dispositifs en place pour une meilleure prise en charge des femmes victimes de violences tout au long de la chaine du paquet de service. La Commission a également réflechit à l'idée de mettre en place d'une application permettant de signaler instantanément les agressions que subissent les femmes dans les espaces publics, renforçant ainsi les capacités d'action des forces de l'ordre et contribuant par voie de conséquence à dissuader les actes de violence commis. La mise en place concomitante d'une hotline pour dénoncer toute forme de violences à l'égard des femmes, notamment dans les transports en commun, sera nécessaire pour détecter et agir plus efficacement en matière de répression des cas de violences relevés.
7- L'enseignement fondamantale obligé, le travail des mineurs interdit: La CSMD veut permettre aux femmes, quel que soit leur milieu et leur âge, d'avoir accès à l'enseignement scolaire fondamental et interdire et sanctionner tout travail des mineures, en mettant en application, dès 2021, la loi concernant le droit des jeunes filles à l'éducation fondamentale, surtout dans le monde rural, au niveau de la fin du primaire et au collège où l'abandon scolaire est élevé, avec retrait des aides sociales en cas d'interruption de la scolarisation. La formation de la deuxième chance doit également permettre dans le rural de donner aux femmes analphabètes l'opportunité de combler leur handicap, et de les sortir d'une situation d'exclusion et de dépendance, aux conséquences négatives sur le parcours scolaire de leurs enfants. Ainsi, la CSMD ambitionne de généraliser en 2035 la scolarisation des filles mineurs et leur dispense du travail. Actuellement, 10% des filles 7-12 ans sont non scolarisées en milieu rural et 14,8% des jeunes filles de 15-24 ans sont analphabètes.
8- Mariage des mineurs: la fin du cauchemar ? En 2035, la CSMD s'est tracée comme cible: 0 mariage de mineurs. Ainsi, pour mettre en cohérence l'ensemble du corpus juridique et légal avec les principes constitutionnels, la Commission veut préciser et limiter le pouvoir donné aux juges en ce qui concerne les dérogations au mariage des mineures. Cette question, entre autres, des espaces de débat socio-théologique pour faire avancer la réflexion, en s'appuyant notamment sur l'Ijtihad, tel que prescrit par le Coran et la Sunna, et d'autres fondements comme le cadre général des finalités premières (maqasid) de l'islam et au concept de l'intérêt général (maslaha) tel que prôné par l'école Malékite.
9- IVG, héritage, ADN pour enfant hors-mariage... enfin le vrai débat ? Dans le même esprit, et en s'appuyant encore une fois sur l'Ijtihad, la CSMD veut faire évoluer le débat sur certaines questions sociétales, comme le Ta'ssib dans l'héritage, l'interruption volontaire de grossesse (IVG), le statut social des mères célibataires, et la tutelle juridique des enfants. En ce qui concerne la question de l'avortement, particulièrement, ces espaces pourront constituer une plateforme appropriée pour reprendre de manière sereine et scientifique les débats de 2015 autour de cette question, et ce dans la perspective d'aboutir à une législation à la fois souple et éthique, respectueuse des préceptes religieux, du droit à la vie du futur enfant et de la préservation de la santé physique et psychologique de la femme. S'agissant de la tutelle juridique des enfants, il convient de veiller à établir, chaque fois que nécessaire, la responsabilité du père lors d'une naissance en dehors du cadre du mariage, notamment grâce aux technologies et au test ADN, selon la CSMD. Dans le cadre de ce débat, et concernant l'héritage, il peut être envisagé que le Ta'ssib ne soit plus considéré comme option par défaut, mais de le soumettre à une appréciation des juges dans son application suivant une approche au cas par cas, et selon des critères renvoyant notamment à la responsabilité du parent revendiquant le droit à la 'issaba dans le soin et la protection du défunt de son vivant. plus généralement, la CSMD reconnait que les incohérences constatées au niveau de la Moudawana et du Code Pénal, du fait de leur antériorité par rapport à la Constitution rendent cette situation plus complexe à appréhender. 10- L'égalité, une bataille de perception aussi: Face aux stéréoptypes véhiculés dans la société à travers plusieurs canaux pendant des décennies, la CSMD veut renforcer la sensibilisation sur l'égalité Femmes-Hommes, notamment en repensant les représentations du modèle féminin dans les curricula scolaires et dans les médias. Il sera nécessaire de promouvoir un changement de mentalité via des campagnes de sensibilisation sur la parité Femmes-Hommes et de la participation des femmes au travail et au développement économique et social du pays et l'intégration de l'apprentissage de l'égalité au sein de l'école, en cristallisant la culture de la mixité genre dès un âge précoce, comme élément indissociable de la mixité sociale. * Maroc/Egalité des sexes: Voici les trois grands changements préconisés par le CESE