DNES Salma Moukrim.. L'affaire du jeune marocain Saber Azzouz décédé lundi 17 mai 2021 lors de sa traversée en mer vers le préside occupé de Sebta continue de faire des remous. Le jeune marocain faisait partie de la déferlante vague de migrants marocains qui tentaient de rejoindre Sebta. L'équipe de 2m.ma s'est déplacée à la ville de Fnideq (près de 8 km au sud de Sebta) où elle a rencontré sa famille éplorée par ce drame survenu en pleine crise politique entre le Maroc et l'Espagne. Reportage.
Saber Azzouz (19 ans), originaire de Fnideq, est décédé lors de sa traversée vers Sebta le lundi 17 mai. Il a été déclaré mort « noyé » par les autorités espagnoles. Une version que conteste la famille du défunt qui accuse la Guardia Civil espagnole d'avoir fait usage de la force contre lui, et insiste à ce que les circonstances ayant conduit à sa mort soient dévoilées. Ses proches exigent également le rapatriement au Maroc de la dépouille du défunt.
Aussi, ils avaient demandé l'assistance de l'Observatoire du nord des droits de l'Homme (ONDH) pour faire pression sur les autorités espagnoles en vue d'accéder à leur requête aussi légitime qu'humanitaire. A son expectative extrême, la famille de feu Saber Azzouz a reçu des appels téléphoniques suspects de la part d'une personne se présentant comme responsable au sein d'un tribunal de Sebta, leur faisant pression pour abandonner leur demande de rapatriement du corps et de son autopsie.
C'est au domicile de la famille de Saber Azzouz à Fnideq que nous avons été reçus. Pleurs qui fusent de partout et visages attristés, les membres de la petite famille regroupés reçoivent les condoléances des proches, des voisins et des personnes venues partager avec eux leur douleur et leur souffrance. Sorte de funérailles de l'absent, mais quel absent et quelles circonstances de sa disparition. L'absent n'est autre que Saber Azzouz décédé mystérieusement et sans la moindre preuve d'une mort par noyade comme avancé par les autorités espagnoles.
Selon sa mère, Saber n'aurait jamais mis les pieds à Sebta de sa vie. Comme tous les jeunes de son quartier, la curiosité aura été le plus grand motif de sa participation à cet exode massif. « On n'a pas eu de ces nouvelles depuis lundi 17 mai. Quelques jours plus tard, j'ai demandé à son frère de lancer un appel via Facebook, espérant que quelqu'un puisse le reconnaître et nous donner de ses nouvelles », raconte-t-elle les larmes se déversant de ses yeux comme une fontaine. La nouvelle funeste ne tarde pas à tomber, le frère du défunt, Youssef, identifie les vêtements de son frère sur des photos reçues, et que la mère affirme avoir reconnus. « J'ai bel et bien reconnu les vêtements de mon fils. Cela ne fait aucun doute qu'ils sont ceux de Saber », affirme la mère, à peine la cinquantaine, habillée en blanc.
Sur les vêtements figurant sur les photos reçues par son frère, des traces de sang sont visibles, ce qui porte fortement à croire, selon sa famille, que la mort de Saber n'est pas survenue à cause de sa noyade. Cette thèse est confortée par les nombreuses vidéos et photos publiées par des médias ou postées sur les réseaux sociaux. Parmi ces photos, une oú la famille a réussi à identifier clairement le défunt grâce au t-shirt et à la veste orange qui y figurent. Sur cette vidéo,on y voit la Guardia Civil recourir à ses matraques contre les migrants tout en les jetant en mer. Le corps de Saber est repêché jeudi en mer. Pour la famille, la priorité est de rapatrier la dépouille pour effectuer une autopsie et partant, jeter la lumière sur les vraies circonstances de sa mort. Elle demande l'intervention de l'ONDH, comme nous le confirme son président, Mohamed Ben Aissa. « Nous disposons de vidéos qui montrent un recours démesuré à la violence par la Guardia Civil contre les migrants. Ils sont roués de coup de matraques et jetés en mer. Déjà, utiliser la violence contre les migrants est une violation des conventions et pactes internationaux relatifs au droit humanitaire, sachant que Saber Azzouz n'était pas armé », argue-t-il. « Nous sommes actuellement en train de faire pression pour que le corps soit rapatrié, ainsi que pour l'ouverture d'une enquête sur les circonstances du décès de Saber Azzouz », ajoute M. Ben Aissa.
Des pressions de parties étrangères
D'après le frère de Saber Azzouz, la famille subit actuellement des pressions de la part d'un inconnu, qui se présente comme « responsable au sein du tribunal de Sebta », et qui exige, avec un ton hautain, de la famille de céder pour que le corps de Saber soit enterré à Sebta. Ce soi-disant responsable utilise un numéro de téléphone marocain et parle couramment le dialecte marocain (la darija). Youssef Azzouz nous a fait parvenir l'enregistrement téléphonique où celui qui se passe pour un responsable judiciaire lance des propos irrespectueux à l'égard d'une famille éplorée. « Au début, il a commencé par nous informer que des ONG musulmanes à Sebta allaient se charger d'enterrer le corps et quand nous avons refusé sa requête et insisté pour qu'une enquête et une autopsie soient faites, il est devenu plus virulent en nous signifiant que le fait de croire que l'Espagne a tué Saber est une fausse allégation. Pour lui, la responsabilité incombe à la famille qui a permis à son fils d'affronter la mer », raconte Youssef Azzouz.
L'enregistrement a été remis au responsable de l'ONDH. « C'est en effet très suspect, qu'il y ait autant d'insistance de la part de l'autre partie pour que les proches de Saber renoncent aux procédures d''enquête et d'autopsie. On ne peut donc pas s'empêcher de penser qu'il a y un manque de transparence derrière tout cela et une tentative de clore cette affaire », selon M. Ben Aissa.
Les médias espagnols ajoutent leur grain de sel
Dans un article publié au site électronique « La Vanguardia », un service funéraire de Sebta est mis en avant. En toute ironie, le titre écrit que ce service funéraire "chouchoute" les morts. Mais il ne s'arrête pas à ce stade affirmant que Saber Azzouz est mort noyé après s'être « délibérément » jeté à l'eau alors qu'il ne savait pas nager.
La Vanguardia révèle également que Saber a été enterré le 22 mai à midi au cimetière musulman de Sidi Embarek. La famille de Saber nous fait savoir qu'elle n'a en aucun cas donné son consentement pour ce présumé enterrement.
La Vanguardia écrit que lors de son enterrement, Navil Rahal, qui dirige le service funéraire musulman de Sebta, aurait envoyé des photos à sa famille avant de l'enterrer et que certains des amis de Saber seraient même entrés à Sebta pour assister aux funérailles. Des informations catégoriquement démenties par la famille du défunt. ...Affaire à suivre...