En 2015, le phénomène food tech a généré près de dix milliards de dollars d'investissements dans le monde. Comment se développe le secteur, alliant nouvelles technologies et alimentation, plusieurs années après son apparition au royaume? « La food tech au Maroc est un marché naissant », tranche d'emblée Maria EL Fassi, directrice générale de Jumia Food, entreprise anciennement appelée Hello Food. Pour elle, lorsqu'on investit dans une entreprise technologique reliée au secteur alimentaire, « il ne faut pas s'attendre à une rentabilité immédiate ». C'est le cas d'ailleurs pour l'entreprise qu'elle dirige, et qui est installée au Maroc depuis quatre ans. Le service Jumia Food, présent dans quatre villes marocaines (Tanger, Rabat, Casablanca et Marrakech), est devenu avec le temps le « leader de la commande de repas en ligne au Maroc ». Mais ce n'est pas pour autant que l'entreprise gagne de l'argent. « Nous espérons être rentables cette année, nous confie la DG. Pour le moment, nous avons connu une croissance assez importante. » Cette croissance se manifeste notamment à travers l'extension sur plusieurs villes, ainsi que la multiplication de restaurants partenaires, mais également par les investissements importants dans Jumia Food. Parmi eux, l'entreprise de télécommunications française Orange, le géant des assurances Axa ou encore la banque d'investissement Goldman Sachs. Et si la « success story » de Jumia Food a poussé plusieurs jeunes entrepreneurs à se lancer dans la livraison de repas à domicile, ce n'est pas gagné d'office. Le site Maddyness, spécialisé dans l'entrepreneuriat et l'innovation explique que se lancer dans un service de livraison de repas à domicile « est extrêmement coûteux : il faut à la fois financer le développement d'une offre de repas, la livraison via une flotte dédiée ou des prestataires et enfin un marketing de plus en plus concurrentiel ». En somme, ces entreprises sont plus orientées « vers l'exécution et la logistique, que l'alimentaire ». De la simple livraison au restaurant entièrement numérique Mais les obstacles, qui réduisent de plus en plus le taux de réussite de ces start-up de gourmets, n'ont pourtant pas découragé le jeune entrepreneur Hamza Aboulfeth. Lui, à l'inverse de Jumia Food, qui capitalise sur des prestataires pour assurer la livraison et se concentrer sur le volet technologie et développement, a choisi d'ouvrir un restaurant dédié uniquement à la livraison à Marrakech. Sur Food on Demand (FOD), on peut trouver des pizzas, des plats asiatiques, des desserts ou encore des plats de pâtes. Bref, un restaurant international qui ne fournit ses services qu'en livrant des repas à travers une application et un service téléphonique. « Nous avons fait ce choix pour avoir le contrôle complet et minimiser ainsi les dégâts », résume-t-il. FOD maitrise en effet la chaîne de transformation depuis le ravitaillement en aliments jusqu'à la livraison du repas, en passant par la cuisine et la livraison. En cinq mois, le service a réussi à fidéliser près de 1.800 clients selon son co-fondateur, et emploie une vingtaine de personnes, entre cuisine et service de livraison. Pour mettre au monde ce projet, un investissement de 1,6 million de dirham a été nécessaire. « La manière dont les gens consomment a changé. Les gens ne sortent plus comme avant et font de plus en plus appel à la livraison », explique le co-fondateur de FOD. En effet, depuis le lancement de la start-up en septembre, l'entreprise assure entre « 50 et 60 livraisons pendant la semaine, et environ 80 entre vendredi et dimanche », indique Hamza Aboulfeth. En période de rush, la start-up permet à des étudiants de travailler à mi-temps au service de livraison, afin de renforcer ses effectifs. Une offre diversifié, pour peu de demande ? « La maturité du marché de la food tech a besoin d'au moins cinq ans pour arriver à maturité au Maroc », estime Othman Tsouli Mdidech, co-fondateur de la start-up Infinitable, qui propose depuis 2014 des abonnements pour bénéficier de réductions dans les restaurants partenaires. Le concept de cette jeune entreprise? Créer un club de gourmets abonnés en ligne, qui bénéficie systématiquement de 20 à 25% de remise sur les repas. « Aujourd'hui, nous avons deux types de clientèles : des particuliers qui ont compris que nous sommes là pour optimiser leur expérience au restaurant, et des entreprises qui veulent que l'on améliore leur visibilité sur le web et les réseaux sociaux parce que c'est notre coeur de métier », indique le jeune entrepreneur. Et si aujourd'hui Infinitable est parvenue à l'équilibre financier, c'est que la start-up a dû adapter son offre à la demande du marché. « Au départ, nous proposions uniquement des cartes d'abonnement permettant des réductions sur les repas. Nous avions rencontré notre clientèle, mais elle était malheureusement limitée. Aujourd'hui, en assurant des services de communication digitale aux restaurants, nous avons pu rencontrer une clientèle plus ample », indique Othman Tsouli Mdidech. Car pour lui, si l'offre évolue rapidement au Maroc, dans le domaine de la food tech, la demande, elle, progresse à une cadence moins rapide. « On doit être bien solide financièrement pour attendre que ça marche », dit celui qui a commencé avec un investissement en fonds propres avoisinant les 150.000 dirhams. Le Airbnb de la tech food Et les idées ne manquent pas à nos entrepreneurs nationaux, nombreux à se ruer sur le secteur de la tech food. C'est le cas de Marya Benzakour, qui a longtemps opéré dans les finances, avant de se consacrer à sa passion pour la cuisine, le voyage et l'entrepreneuriat. Ce janvier 2017, elle lance Cookiz, une start-up qu'elle présente comme le « Airbnb de la cuisine ». L'idée derrière ? « Proposer des cours de cuisine et des voyages à thématique culinaire au Maroc à destination des touristes ». Avec son projet, elle souhaite cibler une clientèle étrangère, certainement plus réceptive à ce genre de business. « J'ai lancé des ateliers tests pour l'instant, et la demande est importante », nous confie celle qui assume que « le marché de la food tech du Maroc est encore naissant, et qu'il faut être patient pour remplir ses objectifs ». En somme, si nos entrepreneurs s'accordent sur le fait que la tech food n'en est qu'à ses débuts au Maroc, ils restent tous optimistes sur l'évolution des habitudes des consommateurs. Aujourd'hui, Jumia Food assure plusieurs centaines de livraisons quotidiennes et enregistre un taux de croissance de 9% environ par mois, selon sa directrice générale. Et c'est bon signe pour l'ensemble des entrepreneurs actifs dans le secteur.