* Le Cercle dAnalyse Economique de la Fondation Abderrahim Bouabid a présenté son rapport sur la stratégie de développement économique. * Si lanalyse na pas pu prouver linexistence dune telle stratégie, aucun indicateur natteste quelle existe non plus. * Au lieu de se comparer à ses concurrents, le Maroc compare ses indicateurs présents à ceux passés, ce qui biaise lanalyse. * Léconomie politique du pays et lignorance économique sont deux métacontraintes à un décollage économique. Le Maroc dispose-t-il dune réel stratégie économique à même de lui permettre un véritable décollage économique et social ? Cette question a fait lobjet dun travail de recherche et danalyse entrepris par le Cercle dAnalyse Economique (CAE) de la Fondation Abderrahim Bouabid. Lélaboration de ce rapport sur la situation actuelle a pris quelque six mois pour bien analyser les fondements de la croissance économique marocaine, les obstacles à lémergence dune telle stratégie et, surtout, ce rapport sans vouloir porter de jugement, a proposé quelques pistes de réflexion pour une croissance meilleure. Ali Bouabid, membre permanent du CAE, a tenu dabord à souligner que le principal objectif de ce rapport est de stimuler la discussion et le débat sur les grands sujets ayant trait à la politique économique du Maroc, en adoptant une perspective et un éclairage différents sur la performance économique du pays. Pari réussi puisque la présentation de ce rapport a donné lieu à un long et passionnant débat sur les principaux points rapportés et sur lapproche adoptée par les instigateurs de ce rapport. Le travail de recherche part de deux postulats. Le premier est que le Maroc est un pays qui doit avoir une ambition forte en matière de développement : le but des politiques économiques mises en ?uvre doit être de réussir le décollage économique du Maroc de manière à lui permettre, en lespace dune génération, de se hisser au rang dun pays à revenu intermédiaire élevé et à fort niveau de développement humain. Le deuxième postulat est que lévaluation des progrès et des déficiences doit se faire à partir dune base intellectuelle honnête et non biaisée. Il est important de se comparer systématiquement aux concurrents les plus dynamiques pour mesurer ses progrès et de prendre un point de référence adéquat. Et bien quil sagisse de répondre à une question simple, celle de savoir si le Maroc va vers un progrès économique, le parti pris de cette contribution est de refuser toute vision manichéenne en rejetant le faux dilemme présenté aux citoyens sincèrement intéressés par la chose publique : applaudir sans réserve ou se retrouver accusés de «nihilisme». «Autrement dit, nous sommes convaincus que la critique constructive, et le débat didées sur la base dune évaluation sans complaisance de la réalité, sont essentiels à la mise en uvre dune stratégie de développement efficace», estime-t-on du côté du CAE. Les membres du CAE insistent également sur le fait quils sont conscients que le Maroc a réalisé dimportants progrès économiques depuis la fin des années 90. Ceci étant, cest le rythme et la nature de ces progrès quils proposent danalyser car la seule comparaison avec les performances passées nest pas à leurs yeux un test suffisamment exigeant au regard des besoins et des potentialités de ce pays. Une question, ô combien complexe Le Maroc est-il sur la bonne voie et, surtout, leffort actuel est-il suffisant ? La première partie de ce rapport discute justement de lexistence dune stratégie de développement économique en essayant de voir si les politiques publiques permettraient au Maroc de croître à un rythme tel quen lespace dune génération, il puisse devenir un pays à revenu intermédiaire et niveau de développement humain élevé. Une analyse fine de la croissance économique marocaine sur la dernière décennie montre que cette croissance est intervenue dans une conjoncture internationale favorable et avec laide de conditions pluviométriques clémentes. Et que malheureusement, le Maroc na pas profité de cette conjoncture favorable autant quil aurait dû le faire, ses voisins et ses concurrents directs ont quasiment tous crû à un meilleur rythme que le nôtre. Lanalyse montre également que la volatilité de la croissance marocaine (même si elle sest atténuée) demeure forte. Et même si le niveau des investissements directs étrangers sest sensiblement amélioré, ces derniers restent néanmoins concentrés dans quelques secteurs et sont peu représentatifs dune quelconque meilleure attractivité du pays puisquil y a eu une forte corrélation des IDE avec la conjoncture internationale qui était favorable. Et encore une fois, le Maroc a fait moins biens que ses concurrents. Lautre élément que démontre cette première partie du rapport est que la productivité et les gains de productivité du Maroc demeurent très faibles. Sans oublier le déficit de la balance commerciale qui atteint des niveaux alarmants du fait justement dun déficit de compétitivité. Enfin, le Maroc régresse ou stagne dans la plupart des classements internationaux. Les analystes attirent lattention sur le fait que le point de référence utilisé pour la comparaison avec les années 90 est peu exigeant. Cette décennie, post-ajustement structurel, a marqué le point bas de la croissance marocaine. Donc, la moindre amélioration semblerait comme un exploit alors quelle ne serait quun retour à la normale. «Il faut garder en tête que la seule comparaison qui vaille est celle de nos progrès par rapport à ceux de nos compétiteurs», insiste Yasser Charafi, membre permanent du cercle. Le rapport ne manque pas de relever que leffet retard, sil est acceptable jusquà une certaine limite, ne peut tout justifier. Lautre argument souvent érigé comme indicateur de lexistence dune stratégie et que le Rapport met en brèche rapidement est le dynamisme du triptyque «tourisme immobilier infrastructures». Ainsi, si pour les économistes, le dynamisme du tourisme est à encourager et linvestissement raisonne dans des infrastructures utiles à développer, il nen demeure pas moins quaucun argument économique sérieux ne justifie den faire lalpha et loméga de la croissance économique. Quant au secteur de limmobilier résidentiel, il sagit-là dun secteur ne générant pas dexternalités économiques globalement positives. En conclusion de cette première partie, il apparaît difficile de trouver des éléments factuels soutenant la thèse que le Maroc possède effectivement une stratégie de développement économique ; «Depuis le début des années 2000, nous navons pas réalisé de performances particulièrement exceptionnelles. Nous avons bénéficié, comme beaucoup, dune conjoncture internationale favorable et en avons profité, mais pas mieux que nos concurrents, loin sen faut. Le chemin à parcourir reste long : notre croissance demeure beaucoup trop faible, et nos indicateurs de développement humain insuffisants», conclut le rapport. La politique économique : une métacontrainte Pour passer à un palier de croissance supérieur, celui à même dassurer à la prochaine génération un niveau de vie meilleur (comparable à celui des Malis par exemple), le rapport sinterroge sur les causes profondes de cette croissance insuffisante. La deuxième partie du rapport élaboré par le CAE de la Fondation Abderrahim Bouabid sest attelée a suivre les modèles danalyse économique dits de recherche des « déterminants profonds de la croissance » (institutions, géographie, intégration dans léconomie mondiale). Dans le cas du Maroc, deux métacontraintes ont été identifiées par ce rapport. La première est celle de léconomie politique du pays. Il convient tout dabord de reconnaître quil ny a pas de relation empirique entre démocratie/autocratie et croissance. Pour le Maroc, après analyse, le rapport conclut que lorganisation politique est considérablement défavorable au développement économique car le pays est bloqué dans un équilibre politique stable de bas niveau qui ne permet de bénéficier pleinement ni des avantages économiques, de la démocratie, ni de ceux de lautocratie. Le rapport relève que le système électoral marocain favorise des coalitions hétéroclites au détriment de la cohérence. Larchitecture gouvernementale est jugée inadéquate. Elle semble régie par deux contraintes, à savoir le mimétisme français et les impératifs de répartition des postes gouvernementaux. La multiplicité dacteurs publics non gouvernementaux aux prérogatives étendues et échappant au contrôle gouvernemental et parlementaire est un autre élément handicapant cité dans le rapport. Comment donc lever cette métacontrainte déconomie politique ? Pour les rédacteurs du rapport, seule une marche accélérer vers une démocratisation complète peut apporter un début de solution. «Bien entendu nous ne pensons pas quune démocratisation complète serait suffisante en soi pour transformer le pays en tigre nord-africain. Notre raisonnement est simplement le suivant : il faut un système de gouvernance économique qui permette lagrégation des préférences (quelles doivent être nos priorités ?), larbitrage entre des intérêts économiques parfois divergents (subventionner un producteur agricole ou un consommateur) et qui donne une légitimité claire à laction publique, surtout lorsque cela implique des transformations structurelles fortes et la lutte contre léconomie de rente. Cest là tout lintérêt économique dun système démocratique qui permet datteindre ces objectifs de manière pérenne et durable ». La seconde métacontrainte identifiée est celle définie sous le vocable générique danalphabétisme économique. Celui-ci se caractérise par une déconsidération des apports de la science économique : au Maroc, celle-ci nest pas considérée à sa juste valeur. On note par exemple que la plupart des rares documents disponibles concernant les politiques publiques mises en ?uvre nintègrent pas les concepts économiques les plus éprouvés tels que lanalyse du rapport «coût-bénéfice», lévaluation rigoureuse des externalités (positives comme négatives) et des coûts dopportunité, le calcul des taux de retours économiques des projets proposés, ou encore lidentification et lanalyse des options alternatives. Cet analphabétisme se traduit également par une ignorance des leçons du passé. Ainsi, en labsence dinstances et de programmes rigoureux dévaluation des politiques publiques mises en uvre, le Maroc manque doutils de décision et dindicateurs nécessaires pour éviter la répétition des erreurs du passé. Les conséquences fâcheuses de cette ignorance économique se traduisent par ladoption de politiques publiques vouées davance à léchec (Moukawalati ou lillusion de créer des entrepreneurs ex nihilo, le premier Plan Emergence 1.0 sur des a priori économiques contestables, limportance démesurée accordée à linfrastructure, etc) Et sil nest pas question de remettre en cause le rôle de lEtat, mais face à lexpansion de lEtat et des entreprises publiques, il est important de noter que la théorie économique a déjà caractérisé abondamment les conditions dans lesquelles lintervention de lEtat est justifiée et soutient que celui-ci doit intervenir lorsque le marché est dysfonctionnel ou lorsque les retours économiques dun projet sont nettement supérieurs aux retours financiers. Lautre point critiqué dans ce rapport est la politique de libre-échange estimée naïve et inefficace, dont il était possible de prévoir léchec puisque lorsquil a négocié ces accords, le Maroc avait lavantage de lexpérience cumulée de beaucoup de pays émergents. Critiques, mais suggestions Dans une démarche de critique constructive, le rapport dresse un certain nombre de réflexions pour un véritable décollage économique et social. «Personne aujourdhui ne peut prétendre détenir la clé du développement économique du Maroc, car cette clé est détenue collectivement par les Marocains, leur classe politique et leur dirigeants économiques et administratifs», souligne-t-on au niveau du Cercle. A minima pour commencer, il serait possible dexiger la transparence sur toutes les politiques mises en ?uvre et denvisager que les responsables gouvernementaux exercent complètement leurs prérogatives. Lautre piste proposée est dimaginer un processus formel permettant dorganiser des débats sur les grandes orientations économiques avant quelles ne soient figées dans un contrat-programme signé devant le Roi. Le rapport conclut quil faut exiger surtout des dirigeants économiques dinclure des indicateurs dimpact appropriés et des outils dévaluation rigoureux de leurs politiques