Me Firdaous, membre du bureau politique de l'Union Constitutionnelle, estime que le projet de loi de Finances présenté par le gouvernement est très fragile puisqu'il souffre de plusieurs déséquilibres budgétaires et entre dans le cadre d'une campagne électorale anticipée. La Gazette du Maroc : Le gouvernement vient de présenter le projet de Loi de Finances pour 2007. Quelle lecture faites-vous de ce projet ? Abdellah Firdaous : D'abord, il faut signaler que toutes les lois de Finances qui ont été présentées depuis 1998 jusqu'à maintenant manquent de vision stratégique puisqu'elles n'entrent pas dans le cadre de plans de développement à moyen et long terme. Et même les lois de Finances qui ont été présentées dans la période du plan quinquennal 2000/2004 n'ont pas fait de référence à ce dernier. Ce qui fait que tous les budgets n'ont été qu'une copie conforme de ceux qui les ont précédés. En plus la gestion étroitement comptable du budget et le souci excessif du maintien des équilibres budgétaires ont privé les lois de Finances de leur rôle d'incitation au développement. En ce qui concerne ma lecture du projet de loi de Finances 2007, je dois dire qu'il a gardé la même structure que celle des années précédentes. Une analyse de ce projet de budget permet de déceler plusieurs déséquilibres. La loi de Finances est formée de deux volets : les dépenses et les recettes. Au niveau des recettes fiscales, il est à rappeler que, pour connaître le degré de l'équité dans un système fiscal, il suffit de comparer les impôts directs et indirects. Ce faisant, on constate que les impôts directs représentent moins d'un tiers des recettes fiscales alors que les impôts indirects dépassent les deux tiers ce qui est une injustice fiscale dont sont victimes les classes sociales défavorisées. Un problème auquel aucune des lois de Finances présentées ces dernières années n'a pu remédier. Les gouvernements qui se sont succédés depuis 1998 n'ont pas réussi à réduire la charge fiscale dont souffre cette couche de la société et ont été incapables d'élargir l'assiette fiscale pour garantir l'allégement du poids des impôts sur les contribuables. En plus, on remarque un rétrécissement des recettes non fiscales à cause de l'accélération du rythme de la privatisation des entreprises publiques ce qui va conduire – en l'absence de l'élargissement de l'assiette fiscale – à l'aggravation du déficit budgétaire. En ce qui concerne les dépenses, on constate que les dépenses de fonctionnement continuent à être supérieures aux dépenses d'investissement et que la masse salariale est toujours très grande malgré le fameux plan de départs volontaires étant donné qu'elle va atteindre, en 2007, quelque 62 milliards de dirhams. Cela nous incite à exiger une commission d'enquête sur l'opération «Départs volontaires» lancée par le gouvernement pour vérifier s'il s'agissait de la solution idéale sachant que le taux de fonctionnaires par rapport aux nombres d'habitants au Maroc est le plus faible de la région. Il s'agit du dernier budget élaboré par le gouvernement Jettou. Peut-on dire, à quelques mois des élections législatives, que la majorité a tenu ses engagements tels que définis par le Premier ministre lors de son investiture en 2002 ? Si l'on se contente des principales priorités telles que définies par la déclaration du gouvernement en 2002 et qui concernent l'amélioration des conditions de l'investissement, la promotion du secteur de l'exportation, la réforme fiscale notamment en ce qui concerne l'élargissement de l'assiette fiscale, il est facile de démontrer tous les aspects de l'échec du gouvernement en ce qui concerne ces volets. Ainsi, pour ce qui est du soutien au secteur de l'exportation, il suffit de se référer au rapport de la Banque mondiale concernant le climat des affaires (Doing Business). On remarque que le Maroc est passé de la 70ème position qu'il occupait en 2005 à la 77ème position cette année. La situation du Maroc s'est aussi empirée en ce qui concerne le taux des faillites d'entreprises puisqu'il est passé de la 58ème position qu'il occupait l'année dernière à la 61ème position en 2006 ce qui atteste de la détérioration d'environnement de l'investissement dans notre pays. S'agissant de l'élargissement de l'assiette fiscale, nous n'avons constaté aucune mesure concrète ayant pour objectif d'intégrer le secteur informel ou certains secteurs bénéficiant d'avantages fiscaux dans l'assiette fiscale. Sans oublier les allègements de certaines procédures administratives que le gouvernement s'était engagé à réaliser dans un délai de six mois. Ce qui n'a pas été le cas. La reprise du dialogue social, la réduction du taux de l'IGR, la promesse de réduction de l'IS en 2008, la décision d'embaucher les diplômés chômeurs…On a l'impression que le gouvernement prépare les élections de 2007. comment réagissez-vous à cela ? Effectivement, les décisions concernant la fiscalité dans le projet de loi de finances ne peuvent être abordées en dehors de la préparation des prochaines élections législatives. Sinon, comment peut-on expliquer le fait de reporter ces réformes pendant trois ans alors que l'on s'attendait à une baisse de l'IGR en 2004 avant de reporter cette mesure à deux reprises. Pourquoi donc attendre jusqu'à une année électorale si ce n'est pour l'exploiter dans le cadre de la campagne pour les législatives ? Il faut aussi signaler que le fait que le ministre des Finances présente le projet de la loi de Finances 2007 comme étant un projet à vocation sociale alors que les budgets sectoriels ont enregistré une baisse, signifie que les slogans se sont substitués au travail concret afin de faire croire à la classe défavorisée qu'il y a eu un changement ou que l'on s'apprête à le faire. Et même si on veut fermer les yeux sur cette campagne électorale anticipée du gouvernement, il est difficile de ne pas réagir aux fausses données qu'elle véhicule en faussant les chiffres et les indicateurs socioéconomiques pour séduire l'électorat. Elle utilise ainsi la démagogie au lieu de la pédagogie que nécessite l'étape de décollage du pays, que nous vivons actuellement. En quatre ans de gouvernement, quels reproches faites-vous à la politique financière du gouvernement Jettou ? Au niveau de la politique financière, je dois vous dire que la réforme du secteur bancaire avait été entamée au début des années 90. Ainsi, en 1993, il y a eu la loi portant règlementation et organisation du secteur bancaire. Il y a eu aussi l'adoption de plusieurs lois concernant la Bourse des valeurs, l'assurance et d'autres domaines des finances. Aussi, on peut dire qu'il y a eu régression à plusieurs niveaux. La structure du budget est devenue fragile car les dépenses courantes qui étaient financées à 80% grâce à des recettes stables ne le sont plus qu'à 60%. En plus, le budget est devenu très dépendant de recettes exceptionnelles comme la privatisation. Je vous rappelle que plus de deux tiers des recettes de la privatisation ont été collectées entre 1998 et 2006 ce qui traduit le besoin du gouvernement de ces recettes afin de pouvoir maintenir l'équilibre budgétaire. Cela se voit d'ailleurs très clairement quand on calcule le déficit budgétaire avec ou sans prendre en considération les opérations de privatisation. L'écart est entre 1 et 2 points. En général, ce que l'on reproche à la politique financière du gouvernement c'est le fait de s'embourber dans des comptes de recettes et de dépenses et d'équilibre budgétaire sans passer à d'autres chantiers comme l'instauration d'une base de décollage économique et gagner ainsi le pari de l'investissement et du développement. Ce qui va au-delà des petits calculs comptables et budgétaires d'une loi de finances fragile et qui ne correspond pas aux aspirations des citoyens à un développement durable que garantissent des infrastructures solides, une économie forte, des entreprises structurées et une force suggestive et créative du gouvernement.