Les instances politiques ne seront plus un boulet pour la Banque centrale : elle sen éloigne et disposera désormais davantage dautonomie. La notion dindépendance interdit tout concours au Trésor public, exception faite dune facilité de caisse encadrée. La gestion de la surliquidité a coûté à la Banque centrale près de 700 MDH. Les PME doivent cultiver la transparence financière, mais le devoir de vigilance et de maîtrise des risques ne peut justifier les taux parfois élevés appliqués par les banques à ces petites entités. Cest plein denthousiasme que le gouverneur de Bank Al-Maghrib a reçu la presse, mardi dernier, au siège de létablissement. Abdellatif Jouahri avait visiblement envie de clarifier certaines choses ayant trait notamment à lévolution du microcosme financier en général. Certes, il ny a pas eu dannonces «chocs », mais, guidé par le souci du détail, Jouahri a tenu, entre autres, à expliquer de manière claire et précise les tenants et aboutissants des réformes en cours, les dispositions prises par la Banque centrale pour y faire, de même quil a exprimé ses préoccupations par rapport à certains points ayant trait au financement de léconomie nationale. Sa démarche a ceci de bien quelle a permis un débat riche et franc qui sinscrit désormais dans la nouvelle approche prônée par lInstitut démission, cest-à-dire communiquer autrement, dans un cadre transparent que lui-même exige des autres établissements bancaires. Cette transparence nest plus un luxe auquel on peut se soustraire, mais plutôt une exigence dictée par lévolution de lenvironnement financier international qui a poussé les responsables bancaires à adopter des modalités de gestion plus rigoureuses, surtout après les crises financières qui ont secoué lAsie en 1997, et plus récemment des géants financiers comme Enron et Parmelat. Le Maroc, qui a fait le choix de louverture de son économie, ne peut donc vraisemblablement rester indifférent face à ces changements. Il doit, comme le laisse entendre Jouahri, «profiter des opportunités quoffrent ces évolutions et non les subir». Raison pour laquelle le Royaume est soumis, depuis un plus de deux ans, comme plus de 90 Etats dans le monde, à un programme dévaluation du système financier, mais aussi tend de plus en plus vers une indépendance des organes de contrôle vis-à-vis du politique. Cest dailleurs lune des clés de la réforme des statuts de BAM et de la nouvelle bancaire. Nouvelle conduite de la politique monétaire La réforme des statuts de BAM initiera manifestement une nouvelle approche dans la conduite de la politique monétaire. Les instances politiques ne seront plus un boulet pour la Banque centrale ; elle sen éloigne et disposera désormais davantage dautonomie pour atteindre son objectif premier : la stabilité des prix. Les premiers signes de cette indépendance se ressentent dores et déjà au niveau du Conseil de la banque qui est réaménagé, et au sein duquel ne siègent plus des personnalités publiques, hormis le directeur du Trésor. Cette exception est surtout guidée par le souci de renforcer le dialogue et la concertation, dautant plus que le directeur du Trésor ne dispose pas dun droit de vote au niveau du Conseil en cas de prise de décision. Tout autant, cette notion dindépendance interdit tout concours au Trésor public, exception faite dune facilité de caisse encadrée. Par ailleurs, en ce qui concerne la supervision bancaire, les compétences de BAM sont élargies en matière dagrément et de réglementation, tout comme il renforce ses moyens dintervention «pour prévenir les crises bancaires». Dans le cadre de cette réforme, la Banque centrale se voit également octroyer de nouvelles missions. Elle aura ainsi la responsabilité, dorganiser, réguler et contrôler lensemble des systèmes de paiement, lesquels sont des instruments de modernisation de léconomie nationale. À ce titre, un plan daction a été élaboré conjointement avec la communauté bancaire. Il vise notamment «à poursuivre lélargissement de la télécompensation et mettre en place un système de règlement de gros montants». Pour soutenir cette mission, des structures dédiées ont été mises en place par BAM. Tout comme la réforme des statuts de BAM, la nouvelle loi bancaire est un texte fondateur. Elle permet certes aux établissements bancaires de se soumettre aux exigences de Bâle II, mais octroie par ailleurs davantage de prérogatives à la Banque centrale en terme de contrôle. Ce contrôle, élargi désormais à lensemble du système bancaire, va amener BAM, comme le souligne Jouahri, «à coordonner et organiser léchange dinformations entre les différents organes de contrôle et de régulation des autres compartiments du marché financier». Bien évidemment, pour faire face à ses nouvelles missions, la Banque centrale a été obligée de mettre en place un plan stratégique sur trois ans, sétalant sur la période 2004-2006. Celui-ci se décline en trois axes, notamment une modernisation de lorganisation et du fonctionnement de la banque; lintroduction et le développement de la prévention et la maîtrise des risques; et la recherche de loptimisation et de la qualité dans la gestion et le fonctionnement de la banque. Ce plan stratégique est soutenu par une réorganisation de la banque sous-tendue, entre autres, par un meilleur contrôle des banques à travers le renforcement des moyens humains et techniques, et ce afin dassurer une prévention et une maîtrise des risques optimales. Financement de léconomie «Une politique monétaire (PM) ne peut se décliner toute seule, abstraction faite de la politique budgétaire et du régime des changes», dixit Jouahri. Il faut nécessairement, selon lui, une cohérence et une convergence entre ces deux éléments pour assurer une politique monétaire efficiente. La PM menée, à cet effet, par la Banque centrale, a pour objectif principal la «stabilité des prix et le maintien des taux dintérêt à un niveau à la fois incitatif pour lépargne et encourageant pour linvestissement». Cest la raison pour laquelle BAM fixe chaque année des normes monétaires qui tiennent compte «des besoins de financement de lactivité économique, de lévolution prévisionnelle de la balance des paiements, ainsi que des finances publiques». Néanmoins, le cadre opérationnel de la PM a été réaménagé, eu égard à la surliquidité qui a prévalu ces dernières années et à lobjectif de maintenir les taux dintérêt à un niveau approprié. Cette surliquidité nest pas cependant un phénomène nouveau. Comme le note le gouverneur de la Banque centrale, «elle date de 1999 et est tributaire des opérations de privatisation». Aussi, poursuit Jouahri, «il importe, à lheure actuelle, de la gérer; ce que BAM fait à travers les opérations de reprises de liquidités et les facilités de dépôt». Ces opérations ne sont pas néanmoins sans coût : «elles ont coûté à la Banque centrale près de 700 MDH», précise Jouahri. Notons par ailleurs que les nouveaux statuts de BAM lui permettent de procéder à lémission et au rachat de ses propres titres. Toutefois, selon Jouahri, «il importe également de ne pas inhiber leffort de mobilisation de lépargne des établissements bancaires». Le bras de fer banques/PME La décrue des taux ne bénéficie pas à lensemble des opérateurs. Ce constat fait par Abdellatif Jouahri ne date pas daujourdhui; le discours est le même depuis quelques années. Lors de la dernière réunion du Conseil National de la Monnaie et de lEpargne (CNME) tenue en avril, Jouahri avait fait la même remarque en ces termes : «la Banque centrale a, à de maintes reprises, sensibilisé le système bancaire quant à la nécessité de poursuivre les efforts tendant à relever le niveau de bancarisation et à améliorer les conditions de financement de léconomie en général et des PME en particulier ( ) La politique de baisse des taux dintérêt menée ces dernières années par lInstitut démission a profité davantage aux grandes entreprises quaux PME, dont une frange importante continue à supporter des taux dintérêt relativement élevés». Aujourdhui, la situation na vraisemblablement pas changé. En fait, laffaire se résume à une guéguerre entre banquiers et PME. Les premiers, qui se font taper du doigt par BAM face à la montée en puissance des créances en souffrance, estiment non seulement que les PME sont en partie responsables de cette situation, mais en plus quelles ne sont ni transparentes ni crédibles. Pour leur part, les PME décrient la politique sélective de financement des banques, lesquelles les boudent et se tournent davantage vers les grandes entreprises. En réalité, les deux parties nont pas tort : les PME doivent cultiver la transparence financière, mais le devoir de vigilance et de maîtrise des risques ne peut justifier les taux parfois élevés appliqués par les banques à ces petites entités. Néanmoins, les deux parties veulent visiblement faire sauter le verrou du financement. Cest ce qua laissé entendre le gouverneur de BAM qui a, à ce titre, reçu la Fédération de la PME, laquelle souscrit volontiers à une démarche qualité pour distiller une information viable et transparente. Dans ce sens, elles devront procéder à un rating interne qui permettra aux banques de disposer déléments objectifs leur permettant de mieux apprécier le risque crédit. Par ailleurs, «BAM a mandaté la Société Financière Internationale pour conduire un projet détude visant lamélioration des dispositifs dinformation financière sur les entreprises au Maroc en vue du développement dune centrale de bilans, dont un premier rapport a été livré». Parallèlement, les structures de financement étant atomisées (Caisse Centrale de Garantie, Dar Adaman ), une réflexion est en cours pour la mise en place dun organisme national de garantie. De toute évidence, «le développement du financement de léconomie sur des bases saines nécessite que notre système bancaire soit solvable et efficient», précise Jouahri. Cest sous cet angle quil faut apprécier lassainissement du pôle public financier et les restructurations entreprises par les banques commerciales. Cette nouvelle dynamique épouse les contours de Bâle II (entrée en vigueur en 2007) qui impose une maîtrise de tous les risques (marché, opérationnel ), un contrôle interne étoffé, ainsi quune certaine discipline financière.