* Les fluctuations des cours des matières premières sont un véritable casse-tête pour Lesieur. * La stratégie initiée par la filiale de lONA lui permet cependant de gérer, au mieux, cette situation, comme en attestent dailleurs les résultats dégagés au titre de lexercice 2008. * Ahmed Rahhou, PDG de Lesieur, répond aux questions de Finances News Hebdo. - Finances News Hebdo : 2008 a été une année particulière. Elle a connu une forte volatilité des cours des matières premières, avec des tendances à la hausse durant le premier semestre et à la baisse durant le second. Quel a été limpact de ce phénomène sur vos résultats ? - Ahmed Rahhou : Il est vrai que nous avons vécu des situations différentes entre le 1er et le second semestre, mais nous avons pu gérer efficacement les fluctuations des cours des matières premières. Ce qui nous a permis de réaliser des résultats meilleurs que ce que nous avions prévu. Ainsi, le résultat dexploitation a atteint 190 MDH, en nette augmentation par rapport à lannée dernière. - F.N.H. : Donc, vos objectifs ont été atteints - A. R. : Nous les avons même dépassés. Mais nous ne les avons pas réalisés dune façon linéaire, car nous nous attendions à une gestion complexe durant les périodes de fluctuation. Nous devons adapter notre réaction pendant les périodes de hausse ou de baisse, tout comme lorsque nous sommes au tout début dune phase de baisse ou de hausse. Dailleurs, nous ne sommes pas les seuls à être confrontés à une telle situation : tous les industriels sont sensibles aux fluctuations des cours des matières premières, surtout lorsquelles sont rapides. Dun côté, vous ne pouvez pas répercuter automatiquement la hausse des matières premières sur les consommateurs. Et, dun autre, vous êtes contraints découler des stocks que vous avez pourtant payés au prix fort lorsque les prix baissent. Toutefois, lorsquil y a des tendances à la hausse ou à la baisse durables, nous sommes plus à laise puisque nous suivons le marché. Cest au moment des fluctuations brutales que nous devons faire certains ajustages. - F.N.H. : Mais pourquoi le volume des ventes dhuiles de table a-t-il pratiquement stagné, surtout à la fin de lannée 2008 ? Est-ce que le marché était saturé ? - A. R. : Cest conjoncturel. Le quatrième trimestre de 2008 a été très spécial : il y a eu une baisse importante des matières premières. Nous, nous vivons avec les stocks, tout comme nos clients. Il faut savoir que nos clients sont, non pas le consommateur final, mais plutôt les grossistes, supermarchés et détaillants Tout ce circuit-là ne vit pas au jour le jour; chacun gère un stock. En phase baissière, ils préfèrent liquider leurs stocks avant de renouveler leurs achats. Nous avons ainsi eu, pendant un certain temps, un déstockage massif au niveau des intermédiaires : ils ont préféré écouler leurs stocks avant de revenir sapprovisionner chez nous; ce qui a un peu impacté notre activité. Mais ce qui est important pour Lesieur, cest le comportement du consommateur final. Ainsi, la consommation de nos produits na pas baissé pendant le quatrième trimestre. Par ailleurs, quand nous avons annoncé la baisse des prix au mois de décembre, lessentiel du stock existant sur le marché avait déjà été écoulé; la répercussion de la baisse sur le consommateur a ainsi été immédiate. - F.N.H. : Les résultats de lONA concernant le premier trimestre révèlent un ralentissement du chiffre daffaires du pôle agroalimentaire; cest le cas notamment de Lesieur ou Cosumar. Est-ce que vous pensez que cette tendance va se poursuivre ? - A. R. : En baissant les prix, le chiffre daffaires baisse même si le volume des ventes augmente. Nous avons baissé les prix de 1 DH, ensuite de 1,5 DH, soit 2,50 DH sur 15 DH. Ce qui fait quelque chose comme 16%. Nous ne nous attendons pas à une hausse du chiffre daffaires car les prix ont sensiblement baissé. Et même une augmentation de volume de 4, 5, 6 ou 10% ne compensera pas cette baisse des prix. Néanmoins, il ne faut pas tirer des conclusions hâtives concernant lagroalimentaire. Il faut attendre les résultats de juin pour voir lévolution de nos marges. - F.N.H. : Avez-vous une stratégie précise pour contrer la volatilité des prix ? - A. R. : La réponse se trouve dans les résultats de 2008 : si nous navions pas mené une stratégie bien réfléchie, nous naurions pas pu obtenir ces résultats. Depuis 2006, nous évoluons dans un environnement assez particulier, avec notamment les cours des produits agricoles qui connaissent des variations assez importantes dans un laps de temps très court. La crise de lété 2008 a engendré une correction à la baisse encore plus rapide. Ce qui a été enregistré, comme hausse, en un an et demi sest évaporé en 3 mois. Nous avons alors adopté une stratégie de couverture et danticipation des achats; ce qui nous a permis de limiter les conséquences négatives. Mieux, notre démarche nous a permis daméliorer nos marges entre 2007 et 2008. - F.N.H. : Linstabilité des cours des matières premières a remis sur le tapis la question du renforcement de la production nationale des cultures oléagineuses. Est-ce que vous avez soumis des propositions au gouvernement dans ce sens ? - A. R. : Nous avons encore des discussions avec le gouvernement à ce sujet. Il est clair que dans un pays qui assure lui-même la production de ses produits alimentaires, il est plus facile de réguler le marché. Mais sil importe ces produits de létranger, il est toujours à la merci des aléas des marchés internationaux. Dans le cas du sucre, par exemple, la production nationale permet darbitrer sur le prix à travers les droits de douane et la compensation. Cette dernière profite soit aux producteurs, soit aux consommateurs nationaux. Lhuile ne se situe pas dans la même configuration. Elle évolue dans un environnement libéralisé. La hausse a été étalée dans le temps. Elle a permis au consommateur de la supporter. En contrepartie, nous avons annoncé des baisses significatives, mais aussi rapides. Cette gestion montre le bien-fondé de la politique de libéralisation menée jusquà aujourdhui. Si nous avions pu nous appuyer sur un secteur agricole oléagineux national, nous aurions opté pour une autre équation, en ce sens que nous aurions stabilisé les prix dachat à la production, et assuré ainsi une certaine stabilité des prix à la consommation. Malheureusement, le secteur des oléagineux est un secteur mondialement assisté; le soutien de lEtat existe de façon directe ou indirecte. En cela, une production oléagineuse me paraît impossible sans les subventions. Seulement, il faut savoir jusquoù lEtat peut aider le secteur. Cependant, nous pouvons quand même atteindre 30 à 40% de production dhuile sur la base de produits locaux; ce qui permettrait dassurer un certain niveau déquilibre pour les prix. Il faut aussi mettre en place le mécanisme pour gérer cet équilibre. - F.N.H. : Outre les huiles de table, comment se présentent les autres activités ? - A. R. : Les autres activités se portent bien. Nous avions une activité mineure que nous avons choisi dexternaliser parce que nétant pas stratégique pour le groupe : ce sont les détergents qui ne représentent que 2% de notre chiffre daffaires. Nous avons ainsi cédé les marques Maxis à Distra qui en fait son cur de métier. - F.N.H. : Comment sest faite la transaction ? - A. R. : Le chiffre en soi nest pas important. Nous avons procédé à un montage financier : il y a une partie cash et une partie actions Distra. Toujours est-il que nous sommes dans les périmètres de valorisation classiques. w F.N.H. : Quen est-il de lactivité aliment de bétail ? w A. R. : Vous faites sans doute allusion aux tourteaux de soja, lun des intrants de laliment de bétail : cest une activité un peu difficile car il y a eu un démantèlement assez rapide. Nous sommes, malgré tout, pour la libéralisation, même si nous restons pénalisés dans cette activité par le coût de production. Dans les pays où cette activité est dominante, le coût de lénergie et celui de la logistique sont très compétitifs. Nous demandions une mise à niveau cohérente, une visibilité de la logistique. A titre dexemple, au port de Casablanca, on ne peut pas recevoir des bateaux de 60.000 T. Entre les bateaux de 30.000 T que peut recevoir ce port et ceux de 60.000 T, il y a un surcoût de 10 à 15 dollars par tonne. La marge admise dans ce secteur est minime et cette contrainte logistique nous pénalise. w F.N.H. : Quen est-il de la modernisation de vos unités de production ? w A. R. : Nous avons un programme dans ce sens. Nous avons regroupé toutes les activités similaires pour avoir des économies déchelle, car cest plus facile à gérer. Nous avons un programme dinvestissement de 80 MDH concernant les groupes de raffinage. Nous en avons un autre de 10 MDH pour une chaudière qui permet de brûler le grignon et doptimiser le coût. Nous avons également un programme déconomie dénergie très lourd. Cela nous permet des gains dénergie de 15 à 20% sur lensemble du process. Le programme permet aussi de répondre à des préoccupations de type environnemental. Nous cherchons à optimiser les rejets de CO2 et autres rejets gazeux. Nous visons ainsi la certification concernant le respect de lenvironnement, sachant que nous avons déjà la certification qualité et celle concernant la sécurité alimentaire. Nous sommes la plus grosse structure industrielle du pays à lavoir obtenue. w F.N.H. : Parmi vos objectifs tracés durant lannée 2008, vous visez la rationalisation des circuits de distribution. Pouvez-vous nous donner plus de précisions sur cet élément ? w A. R. : La rationalisation concerne léquipe de distribution. Nous avons poussé au maximum le processus avec, aujourdhui, un circuit de prévente rationalisé. Léquipe ne distribue pas de marchandises, mais prend des commandes et étudie les besoins du client. Les camions se présenteront ensuite pour livrer et se faire payer. Avant, les camions faisaient en même temps la vente et la livraison. Ce choix leur permet désormais de se concentrer sur la livraison et génère ainsi une rationalisation de la consommation de carburant. Par ailleurs, nous sommes passés à une gestion encore plus rationnelle grâce à un système de suivi par GPS lié à un système informatique centralisé qui nous permet de savoir, à tout moment, la position du camion. Lobjectif est de savoir, dans un délai donné, si lacte de vente est optimisé ou pas. Nous pouvons donc optimiser par quartier, par marque ou par épicier. w F.N.H. : LONA a engagé une analyse prospective de léconomie nationale pour définir son portefeuille optimal à long et moyen termes à travers lidentification des secteurs à forts potentiels où il compte sinvestir davantage. Comment le pôle agroalimentaire va-t-il sarrimer à tout cela ? Y a-t-il une stratégie particulière définie pour Lesieur ? w A. R. : Le Président de lONA a déjà répondu à ces questions. Mais il faut dire que le secteur agroalimentaire est important, car il est générateur de chiffre daffaires et de résultats. Il joue aussi un effet damortisseur dans les périodes de crise. Lagroalimentaire a lavantage de la régularité. Ya-t-il une stratégie spécifique pour telle ou telle filiale ? Pas à ma connaissance. w F.N.H. : Tous les analystes et opérateurs économiques estiment que lannée 2009 sera difficile. Quen pensez-vous ? w A. R. : Nous abordons cette année comme les années précédentes. Nous ne gérons pas la société avec une boule de cristal, dautant plus que nous sommes dans un environnement marqué par le manque de visibilité et de prévisibilité. En tant que manager, on ne ramène pas la gestion au jour le jour, mais plutôt lactivité aux fondamentaux. Pour 2009, nous souhaitons que les consommateurs continuent à acheter nos produits au meilleur prix. En dépit de la hausse ou de la baisse des prix, nous visons un excédent dexploitation et un résultat net corrects. Mais, dune manière générale, nous allons suivre les grandes tendances tout en limitant les conséquences sur notre activité. Nous avons montré notre capacité à gérer les situations dinstabilité w F.N.H. : A propos des élections de la CGEM, est-ce que vous avez un mot à dire à ce sujet ? w A. R. : En tant quentrepreneur, je dirais que la CGEM est un organe très important. Je ne pense pas que tel ou tel groupe puisse faire la politique de la CGEM. Il y a des tensions dues aux enjeux des élections. Je crois que nous avons besoin dun bon binôme, même si jaurais souhaité quil y ait un débat didées entre les différents candidats. Néanmoins, un tandem très respectable et sérieux qui a un programme bien ficelé a été élu. Les deux hommes sont déjà à la tête dentreprises et de fédérations importantes. Ils ont donc lexpérience et le savoir quil faut pour assurer leur mission. w F.N.H. : Mais Moulay Hafid ElAlamy a affirmé quil y aurait une continuité, faisant référence au binôme Chaibi-Alami qui étaient ses vice-présidents. Avec le binôme Horani-Tamer, vous ne pensez pas que ce sera plutôt la rupture ? w A. R. : Les chantiers de la CGEM sont des fondements de lentreprise marocaine. On peut différer plutôt sur les priorités et quelques détails. Mais chaque président a son propre style. Toutefois, globalement, la CGEM a un seul thème : comment rendre lentreprise marocaine compétitive ?