* Le Maroc dispose dun arsenal juridique non négligeable en matière de protection des droits des minoritaires, mais il reste perfectible. * La jurisprudence marocaine nest pas suffisamment développée en matière dabus de majorité. * Tour dhorizon avec les experts-comptables Abdou Diop et Rachid Bidiagh, du Cabinet Mazars Masnaoui. Finances News Hebdo : Lon constate, malgré le développement considérable du marché financier, que les actionnaires minoritaires demeurent très faiblement protégés même sils jouissent dun certain nombre de droits. En la matière, où en est le Maroc par rapport aux pays à développement similaire ? Abdou Diop & Rachid Bidiagh : Tout dabord, il faut distinguer au Maroc deux types de minoritaires : -lactionnaire minoritaire de base qui veut profiter dune introduction en Bourse et en tirer une plus-value immédiate et qui ne sintéresse pas du tout à des droits autres que celui de vendre ses actions et faire de la plus-value; -le vrai minoritaire qui a pris une participation dans lentreprise dans une vision à long terme et qui nest minoritaire que parce que sa surface financière ne lui permet pas davoir plus de parts ou parce quil a, par le truchement des héritages, une part qui représente une minorité. Cest ce dernier, nous pensons, qui est concerné par cet enjeu des droits des minoritaires. Le Maroc sest doté dun dispositif juridique non négligeable en matière de protection des droits des minoritaires, aussi bien dans le cadre des dispositions de la loi 17-95 régissant la société anonyme que celles de la loi 5-96 régissant les autres formes de sociétés. Dailleurs, une des raisons dêtre de la mission du commissaire aux comptes est la protection de légalité des actionnaires. Par ailleurs, la nouvelle réforme de la loi sur la SA a apporté beaucoup déléments de protection des minoritaires à travers un ensembles dobligations dinformation du Conseil Déontologique des Valeurs Mobilières dans le cadre de la refonte de la loi sur la SA. Cependant, il y a lieu de relever avec insistance la problématique liée à la mise en uvre pratique de ces dispositions par les actionnaires minoritaires marocains, lesquels, dans la plupart des cas, nont aucune maîtrise de leurs droits légaux. Dans ce cadre, le Maroc est pratiquement au même niveau que les autres pays à développement similaire qui nont pas encore pu faire ressortir, et de manière concrète, le droit de protection du minoritaire quant à son exercice comme un droit fondamental dans la vie des affaires. F. N. H. : Est-ce que, par ailleurs, les minoritaires sont conscients de leurs droits (information, participation et vote aux assemblées générales ) et lenvironnement réglementaire actuel leur permet-il de les exercer efficacement ? A. D. & R. B. : Lenvironnement légal peut sans doute faire lobjet daméliorations, mais celles-ci ne peuvent être prévues que si les dispositions actuelles sont maîtrisées, entièrement mises en uvre; et noublions pas que ces dispositions ont présenté des limites notables justifiant la proposition damendements. A lheure actuelle, et de manière générale, on ne peut pas affirmer que lactionnaire minoritaire marocain nest pas conscient de ses droits et de la portée de ceux-ci. On le voit bien dans certaines assemblées où des minoritaires font clairement entendre leurs droits, et très souvent en brandissant un exemplaire du texte de loi sur la SA. Bien entendu, il sagit bien de cette deuxième catégorie de minoritaires et non des chercheurs de plus-values immédiates. F. N. H. : Néanmoins, la majorité des petits porteurs ne demande quà faire des plus-values et ne semble pas avoir cette culture de participer aux assemblées générales. Les organes dirigeants des entreprises ne les y encouragent pas non plus. Selon vous, que faut-il faire pour remédier à cette situation et qui a le plus à perdre en létat ? A. D. & R. B. : Cette situation est certes ressentie dans la réalité de tous les jours et il y a un grand effort de sensibilisation qui doit être fourni à cet égard sur la base dun plan daction par tous les intervenants institutionnels, et notamment le CDVM, Bank Al-Maghrib, la SBVC (Bourse de Casablanca), le ministère de la Justice, lOrdre des experts-comptables, la CGEM et, pourquoi pas, envisager la création dune association des petits porteurs à la Bourse En létat actuel des choses, cest lentreprise marocaine qui subit les conséquences de cette situation, car lexercice réel des droits des minoritaires permet de renforcer la responsabilisation des membres des organes de gestion; renforcer la responsabilisation des organes de contrôle interne et externe (commissaire aux comptes et auditeur contractuel); renforcer la valeur de lentreprise sur les marchés financiers; renforcer limage de la société vis-à-vis de ses partenaires et vis-à-vis de ladministration (investisseurs potentiels, banques, administration fiscale) F. N. H. : Aujourdhui, les AGO sont toujours présidées par les deux administrateurs principaux au moment où les actionnaires minoritaires nexercent pas convenablement leurs droits. Peut-on alors brandir fièrement la carte de la transparence et de la bonne gouvernance comme le font la plupart des sociétés cotées ? A. D. & R. B. : Sil y a un reproche à faire, cest avant tout aux minoritaires et aux actionnaires de manière générale qui ne soulèvent, le cas échéant, aucune réserve en relation avec la gouvernance de la société et ne sassurent pas que toutes les obligations dinformation des actionnaires sont respectées conformément aux dispositions légales; sans oublier que lactionnaire peut se faire assister par un conseil dans lexercice de ses droits. Les actionnaires pourraient ainsi, par des actions relativement simples, contribuer au renforcement de la gouvernance de la société en sassurant que les avis de convocation sont publiés dans les délais légaux; en vérifiant que les documents sociaux sont mis à leur disposition à compter de la convocation et 15 jours au moins avant la tenue de lassemblée ordinaire annuelle; en procédant à la consultation et à lanalyse des documents sociaux mises à leur disposition avant la tenue de lassemblée et en réalisant de manière collégiale une revue des actes de la société au titre des trois derniers exercices. De même, ils pourraient analyser les données du rapport de gestion et sassurer de leur pertinence de telle sorte à fournir toutes les informations utiles aux actionnaires; débattre de toutes les questions à lordre du jour et demander des compléments dinformation sur des points spécifiques; demander lassistance de conseils spécialisés pour des opérations particulières et analyser toute situation qui pourrait être considérée comme étant un abus de majorité F. N. H. : Actuellement, seuls les actionnaires détenant au moins 5 % du capital ont le droit de présenter des projets de résolutions. Comment jugez-vous cette réglementation et pensez-vous quil est nécessaire de la modifier afin de pouvoir prendre en compte, éventuellement, les avis des autres actionnaires ? A. D. & R. B. : Compte tenu de la structure de lactionnariat de lentreprise marocaine, nous ne pensons pas que cette disposition puisse être de lefficacité escomptée, tout en sachant quelle est rarement mise eu uvre, notamment chez les sociétés cotées. En effet, la majorité peut, le cas échéant, rejeter la résolution proposée et les minoritaires seront amenés à démontrer quil sagit dune situation abusive au cas où ils le jugeraient nécessaire. Ce point permet de rappeler, en outre, le fait que la jurisprudence marocaine nest pas suffisamment développée en matière dabus de majorité. F. N. H. : En matière de droits des actionnaires minoritaires en particulier et de pratiques de bonne gouvernance en général, quelles sont les mesures prioritaires à prendre pour hisser le marché au niveau des standards internationaux ? A. D. & R. B. : En plus des mesures précédemment soulignées, il est nécessaire daccompagner celles-ci, et de manière progressive, par dautres pratiques qui ont vu le jour sur les grands marchés financiers; et là, nous insistons sur le rôle capital que sera amené à assurer la réglementation financière dans les années à venir. A titre dexemple, aux Etats-Unis, des procureurs généraux se sont spécialisés dans la défense des droits des minoritaires et ont joué un rôle bouleversant lors des Assemblées générales de grandes entreprises américaines.