LHaj. Cest comme cela quon lappelle dans le quartier depuis quil est allé à la Mecque il y a plusieurs années de cela, par la grâce dun bienfaiteur. Petit commerçant de son état, il fait la fierté du patelin où il vit avec sa femme et ses six enfants. Normal; il est le seul, dans une population de 350 personnes qui bataille tous les jours pour survivre et qui a pour fidèle compagne dame misère, à avoir accompli le pèlerinage; ce que tout bon musulman rêve de faire avant de rendre lâme. Dans ce quartier populaire de Casablanca, LHaj est manifestement très populaire. Pas seulement parce quil est allé à la Mecque, mais surtout parce que le paraître, pour LHaj, est trop important. Chapelet à la main, du haut de ses 1,65 m, il est ainsi tout le temps bien sapé. Chacun de ses passages pour se rendre à son commerce sis au coin de la rue suscite des commentaires flatteurs. Il aime les compliments. Et même lorsquon ne le croise pas, on sait, sans risque de se tromper, que LHaj est passé par là. Son parfum, dont personne na jusquà présent réussi à lui faire dire le nom, est unique. Dans tout ce quil fait dailleurs, LHaj adore être distingué. Il ne fait jamais rien comme les autres habitants du quartier, quand bien même il partage avec eux la galère quotidienne et les dures épreuves dune vie de bidonvillois. LHaj est surtout connu pour un rituel qui, aujourdhui, fait sa popularité : lAïd El Adha. Il sest, en effet, approprié la Fête du mouton comme si elle était sienne. Dans son quartier en tout cas, dès quon évoque lAïd, immanquablement, le nom de LHaj est cité. Et pour cause. Chaque année, 10 jours avant lAïd, tous les habitants ont les yeux rivés sur le piquet planté devant la baraque de LHaj. Ils savent que, dici peu, y sera attaché la bête. Un beau bélier tout blanc, bien lavé, avec ses cornes de 18 cm minimum. Et depuis quil est LHaj, il na jamais dérogé à la règle. Il expose, pendant une semaine, à ses voisins, une année déconomie, pendant que les autres habitants ramènent leur mouton la veille de lAïd, en pleine nuit. Et pendant une semaine, tous les habitants parlent du «bélier de LHaj». Il se sent fier. Il aime ça. Plus que la fête elle-même. Durant cette période dailleurs, LHaj termine son travail plus tôt que dhabitude. On le voit, dès 17 heures, sur une petite chaise, assis à côté de son bélier, très disposé à saluer les passants. Ils font, lespace dun certain temps, partie du décor de ce bidonville. Et tous les soirs, avant daller au lit, Lhaj sassure que le couteau qui doit servir au sacrifice est bien tranchant, et au demeurant, laiguise encore mieux. Il affectionne tout ce cérémonial qui entoure lAïd. Son Aïd. Pourtant, ce matin dAïd nétait pas comme les autres. Ce sont des cris qui ont réveillé le quartier. En à peine 5 mn, les habitants ont pris dassaut la maison de LHaj. Il était là, hagard, les yeux vitreux, incapable de sortir un mot de la bouche. Un silence qui contrastait avec les pleurs et cris de ses enfants. Les habitants étaient aussi dans lémoi. Le bélier, le beau bélier de LHaj était mort. La femme de LHaj ny est pas allée par quatre chemins pour désigner le coupable : le mauvais il et les mauvaises langues. Mais, de source sûre, nous avons pu apprendre quà force de voir LHaj aiguiser son couteau, le mouton sétait suicidé. Allez savoir la vérité !