* Du diagnostic du ministère de lEmploi, il ressort que les entreprises ont du mal à mettre en place le comité dhygiène et de sécurité, une nouveauté dans le Code du travail. * Face au spectre de la mondialisation, les entreprises considèrent cette mesure comme pénalisant leur avantage compétitif. Dire que le Maroc est aujourdhui à la croisée des chemins est une réalité. Dire que son développement économique dépend de sa capacité à absorber les chocs externes est, certes, un fait indéniable. Mais cela ne va pas sans dire que ses ressources humaines sont au cur de toute stratégie de croissance entamée. Dans sa nouvelle mouture, le Code du travail essaie de concilier entre les intérêts des employeurs et ceux des employés. Ce nouveau code a suscité des polémiques : daucuns estiment quil est draconien et pouvant porter atteinte à la compétitivité de lentreprise, et ce nest pas ce qui manque dans un contexte aussi hostile. Dautres estiment que la lecture entre les lignes fait ressortir que lemployé reste à la merci de son employeur. La page semble aujourdhui tournée parce que le Code du travail est entré en vigueur. Sans vouloir verser dans aucun des courants, il savère par contre important de voir jusquà quel degré le tissu productif national respecte certaines normes sociales, en loccurrence la sécurité au travail qui se veut une nouveauté en la matière. Sécurité au travail : ce que le Code stipule Les comités dhygiène et de sécurité ont été institués par le nouveau Code du travail. Ils sont obligatoires pour les entreprises de plus de 50 salariés. Cest une structure qui veille au maintien du bien-être et de la santé au travail. La loi n° 65-99 relative au Code du travail stipule dans son article 336 que les comités de sécurité et dhygiène doivent être créés dans les entreprises industrielles, commerciales et dartisanat et dans les exploitations agricoles et forestières et leurs dépendances qui occupent au moins 50 salariés. Ce comité est chargé de détecter les risques professionnels auxquels sont exposés les salariés de lentreprise, dassurer lapplication des textes législatifs et réglementaires concernant la sécurité et lhygiène, de donner son avis sur le fonctionnement du service médical du travail A noter par ailleurs que le comité est tenu de se réunir à la suite de tout accident ayant entraîné ou qui aurait pu entraîner des conséquences fâcheuses. Et le temps passé aux réunions est rémunéré comme temps de travail effectif. Il est aussi tenu détablir un rapport annuel à la fin de chaque année grégorienne sur lévolution des risques professionnels dans lentreprise. Ce rapport doit être adressé par lemployeur à lagent chargé de lInspection du travail et au médecin chargé de lInspection du travail au plus tard dans les 90 jours qui suivent lannée au titre de laquelle il a été établi. Ce sont désormais les nouvelles exigences du ministère de lEmploi. Les entreprises marocaines nont plus le choix, dailleurs, que dadhérer à ce nouveau dispositif. Reste quune telle obligation nest pas vue du même il par les patrons. Les hors-la-loi : quel jugement ? En vue de palper le pouls des chefs dentreprise, nous avons interrogé M. Khalil, PDG de Dari Couspate, société cotée en Bourse : « En ce qui nous concerne, nous avions déjà adopté des mesures de sécurité au travail en ayant un médecin attitré depuis 8 ans. Ce dernier soccupe du contrôle, notamment au niveau du recrutement et par la suite du suivi des visites médicales du personnel. Ce même médecin rédige tous les six mois un rapport sur la sécurité du travail incluant des mesures à prendre et quil remet immédiatement à linspecteur au travail». Il sempresse dajouter : «La généralisation de ces mesures par le nouveau Code du travail est en soi une excellente chose et tout le monde doit sy mettre». « Cependant, pour une entreprise dont le nombre de salariés dépasse 50, le Code stipule une présence permanente dun médecin sur les lieux de travail. Ce qui est en soi une chose difficile pour les PME, notamment par les frais quelle engendre mais aussi parce quil est très difficile de trouver un médecin du travail qualifié. Nous- mêmes, à lépoque, avions reçu plusieurs candidats mais qui manquaient de qualifications en matière de réglementation et de médecine du travail», martèle le PDG de Dari Couspate. La nouveauté réside aussi dans la mise en place, au niveau de chaque entreprise, dun comité de sécurité composé dun médecin du travail, du management et du délégué du personnel. Cette nouveauté du Code du travail nest pas appréciée par les chefs dentreprise parce que la plupart dentre eux estiment quelle engendre un coût pour une entreprise qui se débat dans les filets dune mondialisation en marche. Inutile de rappeler que notre tissu productif national se compose à plus de 80% de PME qui, malheureusement, narrivent pas, pour une raison ou une autre, à être compétitives. Ces PME se plaignent de la cherté des coûts des intrants (transport, hausse du smig, énergie ) et dune fiscalité qui, en dépit des réformes déployées, reste pénalisante. Pis encore, la multiplication des accords de libre-échange a mis à nu bon nombre dentreprises habituées à la protection. Et par ricochet, ladhésion à ce dispositif ne fait que grever une trésorerie qui souffre déjà dun problème de recouvrement. «Les arguments avancés par les chefs dentreprises sont de trois types : dabord juridique, ensuite structurel, vu le nombre insuffisant de médecins du travail et finalement laugmentation des charges», précise le ministre de lEmploi. Les arguments avancés par les chefs dentreprise ne semblent pas dissuader le ministère de lEmploi qui parle déjà de sanctions. Le département de lEmploi est conscient que les entreprises peinent à mettre en place un comité dhygiène et de sécurité. Il avait organisé au départ des réunions avec les chefs dentreprise, et ce pour une meilleure sensibilisation. Le législateur a prévu une amende de 2.000 à 5.000 DH aux entreprises nayant pas souhaité adhérer dune manière ou dune autre à cette disposition. On peut citer à titre dexemple : la non création dun service médical indépendant conformément aux dispositions de larticle 304, la non disponibilité dun médecin à plein temps contrairement aux dispositions de larticle 306, et la liste est longue. « Après avoir opté pour la sensibilisation, le ministère ne ménagera aucun effort pour appuyer linspecteur du travail pour chercher les moyens appropriés prévus notamment par la législation pour obliger les entreprises à se conformer à la loi», explique Mustapha Mansouri, ministre de lEmploi. Le résultat est aujourdhui mitigé : dans certaines branches dactivité, leffort déployé est ressenti, dans dautres par contre cest lignorance totale. Les résultats dune enquête menée par le ministère de lEmploi font ressortir que 58% des entreprises métallurgiques lont mis en place contre 53% relevant de lindustrie chimique et 46% dans le textile-habillement. Dans les autres secteurs, le nouveau dispositif est quasi inexistant. Il ressort par ailleurs que 67% des entreprises disposent dun service médical, sans compter les médecins permanents, un point sur lequel insiste le Code du travail. En effet, dans le long terme, cette mesure semble a priori intéressante parce quelle permet au capital humain duvrer en toute quiétude. Toutefois, à court terme, elle paraît néanmoins hasardeuse, voire pernicieuse, surtout lorsque lon constate que bon nombre de nos PME fuient limpôt et dautres normes sociales. Face à une maturité du marché en Europe, aux Etats-Unis et dans dautres pays où le travail nest plus lié au coût de la main-duvre mais aux compétences de lindividu et à la qualité du travail, la sécurité au travail revêt un intérêt primordial. Elle lest dautant plus pour les investisseurs étrangers qui souhaitent travailler dans de bonnes conditions. Au Maroc, la résistance au changement est palpable à plus dun niveau. La volonté de changement est donc nécessaire pour accompagner les chefs dentreprise sur cette nouvelle voie.