* Même des personnes soi-disant cultivées n'éprouvent aucune géne ni crainte à s'aventurer dans la médecine «traditionnelle». * Le facteur économique aussi explique, en grande partie, pourquoi toute une tranche sociale recourt aux charlatans. Soulagement du froid, de la grippe, du rhumatisme, de la goutte, du mal de tête, de la rage de dents, des morsures de moustique et des piqûres d'insectes, Hana, cette pommade miraculeuse à 10 DH seulement : «laghla aala meslem». Et avec la baraka de Sidna Mohamed, Dieu vous guérira !». Cette phrase a été scandée non-stop dans un haut-parleur ce dimanche matin à la Joutia de Kénitra. Le temps de faire les centaines de mètres que couvre ce marché aux puces hebdomadaire, pas moins de quatre estafettes d'herboristes et de prétendus guérisseurs préparent leur étalage tôt le matin en cette journée ramadanesque. Une fois arrivé au niveau de la source de cette voix rauque qui s'est égosillée depuis plusieurs minutes, c'est Lhaj Oueld Omar herboriste héritier d'une grande famille de guérisseurs du Sud, c'est ainsi qu'il se présente, qui propose remède à tous les soucis de santé. Il exhibe un petit coffret vert, la solution miracle n'est qu'une pommade chinoise, Essental Balm, à base de menthol et de camphre. Le hic est que sur la boîte de la pommade il n'est indiqué aucune date de péremption. Pis encore, Haj Oueld Omar propose, entre autres remèdes, une poudre à base d'une graine noire. Mélangée au miel ou à d'autres huiles, il la conseille pour, tener-vous bien, la toux, l'asthme, la fatigue, l'amnésie, le cholestérol, l'insuffisance rénale, la vessie, l'arythmie cardiaque, le rhumatisme, les dysfonctionnements sexuels le tout pour 20 DH. Jusque là rien de bien alarmant, ce sont des produits qui pullulent chez les herboristes. Plus loin, un autre charlatan qui place la barre encore plus haut. Dans des petits sachets, il vend une poudre marron puante contre les vers blancs, qui infectent les intestins. Non seulement l'origine de cette poudre est inconnue et peut être toxique, mais en plus il recommande à ses « patients » de la prendre juste après la rupture du jeûne, ou même à jeun. 10 DH le petit sachet, avec en prime une carte de visite de notre «médecin». Il vend également un k'houl d'origine saoudite pour les problèmes de vue et d'allergie. Le comble, c'est qu'en entament son speech, du reste très convaincant puisque à tout bout de champ il cite Allah et le Prophète, plus d'une dizaine de personnes se sont empressées d'acheter cette poudre magique. Plongée dans l'exposé, bien peu scientifique de ce jeune homme, une voix de femme retentit plus loin. «Hal aar alla Moulay «machin», je suis venue exécuter la volonté de Dieu et guérir mes frères qui souffrent de diabète. Ce mélange sur lequel sont cités les noms d'Allah et mixé avec du miel pur, vous soulagera en ce mois sacré et grâce à la volonté de Dieu», répète à tue-tête une certaine Hajja Fatima. Le test est effectué sur place sur un enfant qui accompagne cette sexagénaire. Les bracelets d'or ornant ses bras, elle exhibe sa carte d'identité et un carnet médical qu'elle fait passer pour un permis d'exercice de guérisseur. Là encore, les mains se tendent vers les poches et beaucoup de personnes, bien intègres d'apparence, se laissent séduire par les prétendues vertus de cette mixture. Une dizaine de mètres plus loin, une autre guérisseuse vend des sirops, des bouteilles brunes sans aucune étiquette dessus à 20 DH pour les problèmes respiratoires. Même scène qui se répète, des hommes et des femmes qui n'hésitent pas à acheter ces médicaments, d'origine très douteuse. une culture populaire tenace Mais il serait faux de dire que les clients de ses charlatans sont tous des ignorants. «Le Marocain, bien qu'il ait acquis un certain niveau d'éducation, reste très imprégné de la culture populaire au sein de laquelle il a été bercé tout jeune ; c'est ce qui peut influer sur sa décision de refaire la même chose que ses parents ou son entourage», explique Ibrahim Labdi, licencié et chercheur en sociologie. Et ce d'autant plus que certaines personnes ont essayé ces remèdes sans subir de «dégâts». «Ce sirop que vous voyez, je l'ai utilisé une ou deux fois, et il a effectivement soulagé ma toux du soir», nous avoue une jeune dame, enseignante de son métier. Elle est convaincue des effets bénéfiques de la médecine traditionnelle. «Quand vous avez une douleur au ventre, je pense que comme tout le monde, vous allez vous préparer une tisane et non pas vous diriger vers un médecin», argue-t-elle. Pour Ahmed, un vieillard, le choix de venir se soigner au souk est justifié par son manque de moyens pour aller à l'hosto et acheter des médicaments à la pharmacie. De plus, «Ici, ce sont des gens comme nous qui parlent notre langue, à la pharmacie, je n'ai jamais été vraiment à l'aise», explique-t-il. En l'absence d'un contrôle sanitaire, avec l'ancrage à de la culture populaire et face à la cherté des traitements, ces médecins charlatans continueront à sévir. Ils ont encore de beaux jours devant eux.